Paul Valéry
@paulValery
L'abeille Quelle, et si fine, et si mortelle, Que soit ta pointe, blonde abeille, Je n'ai, sur ma tendre corbeille, Jeté qu'un songe de dentelle.@paulValery
L'abeille Quelle, et si fine, et si mortelle, Que soit ta pointe, blonde abeille, Je n'ai, sur ma tendre corbeille, Jeté qu'un songe de dentelle.@paulVerlaine
Chevaux de bois Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours, Tournez, tournez au son des hautbois. Le gros soldat, la plus grosse bonne Sont sur vos dos comme dans leur chambre, Car en ce jour au bois de la Cambre Les maîtres sont tous deux en personne. Tournez, tournez, chevaux de leur coeur, Tandis qu’autour de tous vos tournois Clignote l’oeil du filou sournois, Tournez au son du piston vainqueur. C’est ravissant comme ça vous soûle D’aller ainsi dans ce cirque bête : Bien dans le ventre et mal dans la tête, Du mal en masse et du bien en foule. Tournez, tournez sans qu’il soit besoin D’user jamais de nuls éperons Pour commander à vos galops ronds, Tournez, tournez, sans espoir de foin Et dépêchez, chevaux de leur âme : Déjà voici que la nuit qui tombe Va réunir pigeon et colombe Loin de la foire et loin de madame. Tournez, tournez ! le ciel en velours D’astres en or se vête lentement. Voici partir l’amante et l’amant. Tournez au son joyeux des tambours !@paulVerlaine
Impression fausse Dame souris trotte Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte Grise dans le noir. On sonne la cloche, Dormez les bons prisonniers ! On sonne la cloche : Faut que vous dormiez. Pas de mauvais rêve, Ne pensez qu’à vos amours. Pas de mauvais rêve : Les belles toujours ! Le grand clair de lune ! On ronfle ferme à côté. Le grand clair de lune En réalité ! Un nuage passe, Il fait noir comme en un four, Un nuage passe. Tiens le petit jour ! Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus. Dame souris trotte : Debout les paresseux !@paulJeanToulet
Éléphant de Paris Ah, Curnonsky, non plus que l’aube, N’était bien rigolo Il regardait le fil de l’eau. C’était avant les Taube. Et moi j’apercevais – pourtant Qu’on fût loin de Cythère – Un objet singulier. Mystère : C’est un éléphant. Notre maison étant tout proche, On le prit avec nous. Il mettait, pour chercher des sous Sa trompe dans ma poche. Hélas, rue-de-Villersexel, La porte était trop basse. On a beau dire que tout passe Non – ni le riche au Ciel.@paulJeanToulet
La Cigale Quand nous fûmes hors des chemins Où la poussière est rose, Aline, qui riait sans cause En me touchant les mains ; – L’Écho du bois riait. La terre Sonna creux au talon. Aline se tut : le vallon Etait plein de mystère… Mais toi, sans lymphe ni sommeil, Cigale en haut posée, Tu jetais, ivre de rosée, Ton cri triste et vermeil.@pierreCorneille
Source délicieuse en misères féconde Source délicieuse en misères féconde, Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés ? Honteux attachements de la chair et du Monde, Que ne me quittez-vous, quand je vous ai quittés ? Allez honneurs, plaisirs, qui me livrez la guerre, Toute votre félicité Sujette à l'instabilité En moins de rien tombe par terre, Et comme elle a l'éclat du verre Elle en a la fragilité.@pierreDeRonsard
Comme un chevreuil Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit L’oiseux cristal de la morne gelée, Pour mieux brouter l’herbette emmiellée Hors de son bois avec l’Aube s’enfuit, Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit, Or sur un mont, or dans une vallée, Or près d’une onde à l’écart recelée, Libre folâtre où son pied le conduit : De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte, Sinon alors que sa vie est atteinte, D’un trait meurtrier empourpré de son sang : Ainsi j’allais sans espoir de dommage, Le jour qu’un oeil sur l’avril de mon âge Tira d’un coup mille traits dans mon flanc.@sullyPrudhomme
Le cygne Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes, Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes, Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil À des neiges d'avril qui croulent au soleil ; Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire, Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un lent navire. Il dresse son beau col au-dessus des roseaux, Le plonge, le promène allongé sur les eaux, Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe, Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante. Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix, Il serpente, et laissant les herbages épais Traîner derrière lui comme une chevelure, Il va d'une tardive et languissante allure ; La grotte où le poète écoute ce qu'il sent, Et la source qui pleure un éternel absent, Lui plaisent : il y rôde ; une feuille de saule En silence tombée effleure son épaule ; Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur, Superbe, gouvernant du côté de l'azur, Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire, La place éblouissante où le soleil se mire. Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus, À l'heure où toute forme est un spectre confus, Où l'horizon brunit, rayé d'un long trait rouge, Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge, Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit Et que la luciole au clair de lune luit, L'oiseau, dans le lac sombre, où sous lui se reflète La splendeur d'une nuit lactée et violette, Comme un vase d'argent parmi des diamants, Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.@sullyPrudhomme
Les oiseaux Montez, montez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! A vous le jour sans ombre et l’air, à vous les ailes Qui font planer les yeux aussi haut que les coeurs ! Des plus parfaits vivants qu’ait formés la nature, Lequel plus aisément plane sur les forêts, Voit mieux se dérouler leurs vagues de verdure, Suit mieux des quatre vents la céleste aventure, Et regarde sans peur le soleil d’aussi près ? Lequel sur la falaise a risqué sa demeure Si haut qu’il vît sous lui les bâtiments bercés ? Lequel peut fuir la nuit en accompagnant l’heure, Si prompt qu’à l’occident les roseaux qu’il effleure, Qnand il touche au levant, ne sont pas redressés ? Fuyez, fuyez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! A vous le jour, à vous l’espace ! à vous les ailes Qui promènent les yeux aussi loin que les coeurs ! Vous donnez en jouant des frissons aux charmilles ; Vos chantres sont des bois le délice et l’honneur ; Vous êtes, au printemps, bénis dans les familles : Vous y prenez le pain sur les lèvres des filles ; Car vous venez du ciel et vous portez bonheur. Les pâles exilés, quand vos bandes lointaines Se perdent dans l’azur comme les jours heureux, Sentent moins l’aiguillon de leurs superbes haines ; Et les durs criminels chargés de justes chaînes Peuvent encore aimer, quand vous chantez pour eux. Chantez, chantez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs ! A vous la liberté, le ciel ! à vous les ailes Qui font vibrer les voix aussi haut que les coeurs !@robertDesnos
Cheval Cheval de fer et de fumier, mâcheur de paille. Cheval jailli de la tempête et du dégel, Agite le panache à ton front blanc de sel Et, d'un train paresseux, mène les funérailles. Car on conduit en terre au soir de la bataille Un être. Qui est-il ? il est mort et le ciel Montre sa trame et ses accrocs et ses tunnels Et se retourne et se déchire et tonne et bâille. Pas de nom sur la tombe où pourrira ce mort, Pas de légende où faire un jour vivre ce corps Rien que l'oubli, si l'oubli peut avec la haine Se concilier, et si, sans visage et sans nom Ce mort reste un exemple et si, jusqu'aux canons Enfoncé, le cheval le cloue en sa géhenne.@rutebeuf
La grièche d’hiver Quand vient le temps qu’arbre défeuille quand il ne reste en branche feuille qui n’aille à terre, par la pauvreté qui m’atterre, qui de toutes parts me fait guerre, près de l’hiver, combien se sont changés mes vers, mon dit commence trop divers de triste histoire. Peu de raison, peu de mémoire m’a donné Dieu, le roi de gloire, et peu de rentes, et froid au cul quand bise vente : le vent me vient, le vent m’évente et trop souvent je sens venir et revenir le vent. La grièche m’a promis autant qu’elle me livre : elle me paie bien et bien me sert, contre le sou me rend la livre de grand misère. La pauvreté m’est revenue, toujours m’en est la porte ouverte, toujours j’y suis et jamais je ne m’en échappe. Par pluie mouillé, par chaud suant : Ah le riche homme ! Je ne dors que le premier somme. De mon avoir, ne sais la somme car je n’ai rien. Dieu m’a fait le temps bien propice : noires mouches en été me piquent, en hiver blanches. Je suis comme l’osier sauvage ou comme l’oiseau sur la branche ; l’été je chante, l’hiver je pleure et me lamente et me défeuille ainsi que l’arbre au premier gel. En moi n’ai ni venin ni fiel : ne me reste rien sous le ciel, tout passe et va. Les enjeux que j’ai engagés m’ont ravi tout ce que j’avais et fourvoyé et entraîné hors de ma voie. J’ai engagé des enjeux fous, je m’en souviens. Or, bien le vois, tout va, tout vient: tout venir, tout aller convient hors les bienfaits. Les dés que les détiers ont faits m’ont dépouillé de mes habits ; les dés m’occient, les dés me guettent et m’épient, les dés m’assaillent et me défient, cela m’accable. Je n’en puis rien si je m’effraie : ne vois venir avril et mai, voici la glace. Or j’ai pris le mauvais chemin; les trompeurs de basse origine m’ont mis sans robe. Le monde est tout rempli de ruse, et qui ruse le plus s’en vante ; moi qu’ai-je fait qui de pauvreté sens le faix ? Grièche ne me laisse en paix, me trouble tant, et tant m’assaille et me guerroie ; jamais ne guérirai ce mal par tel chemin. J’ai trop été en mauvais lieux ; les dés m’ont pris et enfermé : je les tiens quittes! Fol est qui leur conseil habite ; de sa dette point ne s’acquitte mais bien s’encombre, de jour en jour accroît le nombre. En été il ne cherche l’ombre ni chambre fraîche car ses membres sont souvent nus : il oublie du voisin la peine mais geint la sienne. La grièche l’a attaqué, l’a dépouillé en peu de temps et nul ne l’aime.@sabineSicaud
Au jardin Le bébé, dans le jardin, Comme un petit chat se glisse. « Bonjour ! » dit le romarin. « Je sens bon » dit la mélisse. « Comme il fait beau ce matin ! » Dit le coq aux plumes lisses. « Fait beau ? » disent les poussins. « Beau » dit leur maman nourrice. « Veux-tu nous donner la main ? Vois nos gentilles cabanes ! » Disent les petits lapins. « Vois mon trou » dit le lucane. « Moi » dit l’escargot malin « Je porte ma maisonnette. » « Moi je dors dans le bassin » Dit en sautant la rainette. « Sous ma peau jaune à gros grains, Vois si mon ventre bat vite ! » Dit le crapaud tout chagrin, « Faudra-t-il que je t’évite ? » Mais le bébé du jardin Fait sa voix la plus petite Et dit : « Bonjour, mon copain, Je suis un frère en visite. Un prince, peut-être bien, Sous ta robe jaune habite ? » Le crapaud cligne un oeil fin Et sa main droite s’agite. Un prince, peut-être bien… C’est une fable au jardin.@sabineSicaud
Diégo Son nom est de là-bas, comme sa race. L’œil vif, le pas dansant, les cheveux noirs, C’est un petit cheval des sierras, qui, le soir, Longtemps, regarde vers le sud, humant l’espace. Il livre toute sa crinière au vent qui passe Et, près de son oreille, on cherche le pompon D’un œillet rouge. Sur son front, Ses poils frisent, pareils à de la laine. Rien en lui de ces chevaux minces qui s’entraînent Le long d’un champ jalonné de poteaux ; Ni rien du lourd cheval né dans les plaines, Ces plaines grasses et luisantes de canaux Où des chalands s’en vont avec un bruit de chaînes. Il ignore le turf, et les charrois et les labours, Celui dont le pied sûr comme celui des chèvres, Suivit là-haut les sentiers bleus, dans les genièvres. Sur ses naseaux, larges ouverts, un frisson court. Avec d’autres poulains échevelés, il vint, un jour, De la montagne aux herbes odorantes. Poussé par des bergers en capes de brigands Il vint, petit cheval hirsute à crinière flottante… Il a gardé ses yeux surpris, des yeux d’enfant Qui fixent loin, comme à travers les choses… Et parfois on y voit luire un éclair, sans cause. On dit alors : « Vient-il de Corse ? » Mais il a D’autres regards aussi, pleins de tendresse. La jument du vieux cheik a de ces regards-là Pour le maître en burnous qu’elle aime. « Une caresse Fait l’antilope et le cheval de la maison. » Pas un tournant d’allée, un morceau de gazon, Une porte d’ici qu’il ne connaisse… Et les portes peuvent s’ouvrir imprudemment Le petit cheval noir y secoue, un moment, Sa tête qui dit : « Non, pourquoi fuirais-je ? » Il hennit comme on rit, à mi-voix, en arpège ; Et sa queue, ainsi qu’un éventail, S’agite avec le bruit de feuillages qu’on traîne. Il connaît chaque route au-delà du portail, Et peut-être sait-il où chaque route mène. Se prêtant au harnais, par jeu, derrière lui Il a tiré parfois cette chose qui bouge – Une voiture – et fait tinter le collier rouge Dont les grelots ont le son de clarines la nuit. Parfois, comme pris de folie, On le voit bondissant pour rien, pour un peu d’eau, Un jet de l’arroseur ou trois gouttes de pluie Un papier tournoyant, et ses petits sabots Allument le pavé. Parfois, dans le pré, libre, Il se met à ruer d’un air farouche, exprès ! Il galope en zigzags, ou, pliant les jarrets, Se tient debout, nous défiant, en équilibre… Quand on le mène boire, il saisit, par un coin, Nos tabliers, nos manches, ce qu’il peut, et nous dirige, Lui, le petit cheval sans bride. Un brin de foin Pend de sa lèvre brune – ou quelque tige Arrachée au vieux mur – et son œil songe, au loin… Voici longtemps, longtemps, bien des années, Qu’il est de la maison, le petit cheval noir Dont le poil, fil à fil, en bouclettes fanées, S’argente sur le front. Il se plaît à nous voir, À nous porter, à nous conduire. Il nous appelle Et nous taquine et reste jeune et reste gai… Pourtant, Quand le vent vient du sud, battant des ailes Comme un aigle de la Sierra, quand le printemps A ce parfum de romarin qui nous étonne, Et tous les soirs, et tous les soirs d’été, d’automne, Qu’attend-il, mon petit cheval aux yeux d’enfant, De quoi se souvient-il qui nous étonne, Quand le vent vient du sud ?@sabineSicaud
Fafou Chimère, dromadaire, kangourou ? Non. Rien que cette ombre chinoise, Fafou, sur la fenêtre, à contre-jour, Fafou, Toute seule et pensive… Un fuchsia pavoise L’écran vert derrière elle, et j’entends, à deux pas, Des oiseaux qui l’ont vue et s’égosillent. Fafou se pose en gargouille. Un œil las Semble à peine s’ouvrir dans son profil où brille, Cependant, quelque chose, on ne sait quoi d’aigu… Par là, se cache un nid d’oisillons nus Pour qui la mère tremble – Fafou songe. Un tout petit pétale rouge, qui s’allonge, Marque d’un trait sa gueule fine… Un bâillement. Puis un autre… Fafou dormait innocemment. Fafou dormait, vous dis-je ! Elle s’étire, La queue en yatagan, Puis en cierge; le dos bombé, puis creux. Le pire, C’est qu’elle n’a pas l’air de voir, s’égosillant, La mère-oiseau dans l’if si proche… Une patte en fusil, assise, la voilà Qui se brosse, candide, et sa robe a l’éclat D’un beau satin de vieille dame où se raccroche La lumière du soir. Une dame ? ou quelque vieux diable en habit noir ? Fafou, je n’aime pas ces yeux d’un autre monde, Ces yeux de revenant… Tout à l’heure croissants, Maintenant lunes rondes, Pourquoi ces trous phosphorescents Dans cette face obscure ? Sur la toile Qui se fonce, elle aussi – la toile du jardin Où les pendants des fuchsias sont des étoiles La robe d’un noir vif s’éteint… – Elle n’est plus qu’un badigeon d’encre ou de suie, Un pelage sinistre ! Où l’as-tu pris Ce noir d’enseigne de chat noir lavé de pluie ? – Chat noir ou lion noir ? Chauve-souris, Chouette, quoi ? Je ne sais plus. Sur la fenêtre, Une tête où l’oreille plate disparaît… Lézard, couleuvre ou tortue ? Ah ! Si près, L’oiseau même ne sait qui redouter, quel être Fantastique et changeant va ramper cette nuit Dans le jardin au noir mystère de caverne ! – Du noir, du noir… Un point luit, Deux points… deux vers luisants, vertes lanternes… Fafou, je ne veux pas ! D’où reviens-tu, démon, de quel sabbat, De quelle grotte de sorcière, Lorsque tes yeux me font cette peur, tout à coup ? – C’est l’heure des gouttières, De la jungle ! Foulant, d’un piétinement doux, Une vendange imaginaire, sur la pierre, Quelle arme aiguises-tu ? Je ne veux pas, Fafou ! Viens sous la lampe ! Un ruban rose au cou, Un beau ruban rose de jeune fille, rose pâle, Je te veux, comme en haut d’une carte postale, Une petite chatte noire, voilà tout…@sabineSicaud
La chatte et son fils La petite panthère noire aux yeux dorés Nous apporte son fils… Dans la maison amie, Elle déménage et le cache à son gré – Tiède boule innocente et qu’on trouve endormie Dans l’armoire ou la boîte à fil, ou sur un livre… Bébé nègre, ses petits poings serrés, En un Paradis vague il semble vivre, Un Paradis où l’on tette et l’on dort. Ses yeux bleus qui, plus tard, seront deux sequins d’or, Tantôt s’ouvrent, ainsi que deux fleurs étonnées, Tantôt ne laissent voir qu’une fente, cernée De minuscules cils qui seront noirs. Tout noir, Depuis son petit jusqu’au bout de la queue, – Sauf l’imprévu de ces deux yeux en gouttes bleues – On le prend pour un essuie-plumes, ou, le soir, Pour un des pelotons de la corbeille… Grave, assise en presse-papier, Sa mère le surveille et nous surveille… Et le joujou de velours ras et noir, copié Sur le plus grand jouet de peluche, en sourdine, Déjà, tire l’on ne sait d’où, quand il lui plaît, Un ronron d’avion qui part ou de rouet… Tourne-broche, machine à coudre, lame fine D’un Tom Pouce qui se ferait scieur de long, Quelque chose bourdonne et l’on cherche un frelon Dans ce coin sombre, où rêve un fauve en miniature. Elle – sa mère – nous regarde. Sa figure, Qui trouve le moyen d’évoquer à la fois Le Soudan noir, le Siam jaune et le mystère De ce Nil vert qui reflétait les sphinx de pierre, Sa figure, soudain, se crispe… Deux plis droits Rétrécissent le front et deux plis élargissent La lèvre retroussée… Est-ce un rire muet ? Une ride chagrine ? L’on ne sait. Hors de leur gaine, en pointes lisses, Dix griffes, un instant, se montrent… Qu’y a-t-il ? Mais rien… Deux rouets, maintenant, tournent ensemble, Et c’est comme le grincement léger d’un fil Reliant deux petits moteurs, dans l’air qui tremble.@sabineSicaud
La chèvre L’herbe est si fraîche, ce matin, Que son velours tendre nous hante – Son velours neuf qui sent la menthe, Le jeune fenouil et le thym. La vache s’étire, gourmande, Vers le champ de trèfle voisin. Tous les verts bordent le chemin Du vert acide au vert amande. Mais c’est un velours trop soigné Qui s’aligne entre les clôtures… Dans les ronces, à l’aventure, La chèvre aime s’égratigner. Elle aime le vert des broussailles Où l’ombre devient fauve un peu, Et ce vert d’arbres presque bleus Que tous les vents d’orage assaillent. C’est bien au-delà des sillons Et des vergers gorgés de sèves, Que les clochettes de son rêve Éparpillent leurs carillons… Parfois, un glas les accompagne… Mais il fait beau, c’est le matin ! Chevrette de Monsieur Seguin Ne regardez pas la montagne…@sabineSicaud
Le chemin des chevaux N’as-tu pas un cheval blanc Là-bas dans ton île ? Une herbe sauvage Croît-elle pour lui ? Ah ! Comme ses crins flottants Flottent dans les bras du vent Quand il se réveille ! Il dort comme un oiseau blanc Quelque part dans l’île. J’ai beau marcher dans la rue Comme tout le monde, C’est l’herbe, l’herbe inconnue, Et le cheval chevelu Couleur de la lune, Qui sont de chez moi, là-bas, Dans une île ronde. Caparaçonnés, au pas, au galop, Je ne connais pas tes quatre chevaux. Tu vas à Paris, La chanson le dit, Sur ton cheval gris. Tu vas à La Haye Sur la jument baie. Tu vas au manoir Sur le cheval noir. Et je ne sais où Sur le poulain roux. Mais mon cheval blanc Nuit et jour m’attend Au seuil de mon île.@sophieDarbouville
L'hirondelle Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? Moi, sous le même toit, je trouve tour à tour Trop prompt, trop long, le temps que peut durer un jour. J'ai l'heure des regrets et l'heure du sourire, J'ai des rêves divers que je ne puis redire ; Et, roseau qui se courbe aux caprices du vent, L'esprit calme ou troublé, je marche en hésitant. Mais, du chemin je prends moins la fleur que l'épine, Mon front se lève moins, hélas ! qu'il ne s'incline ; Mon cœur, pesant la vie à des poids différents, Souffre plus des hivers qu'il ne rit des printemps. Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? J'évoque du passé le lointain souvenir ; Aux jours qui ne sont plus je voudrais revenir. De mes bonheurs enfuis, il me semble au jeune agi N'avoir pas à loisir savouré le passage, Car la jeunesse croit qu'elle est un long trésor, Et, si l'on a reçu, l'on attend plus encor. L'avenir nous parait l'espérance éternelle, Promettant, et restant aux promesses fidèle ; On gaspille des biens que l'on rêve sans fin... Mais, qu'on voudrait, le soir, revenir au matin ! Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? De mes jours les plus doux je crains le lendemain, Je pose sur mes yeux une tremblante main. L'avenir est pour nous un mensonge, un mystère ; N'y jetons pas trop tôt un regard téméraire. Quand le soleil est pur, sur les épis fauchés Dormons, et reposons longtemps nos fronts penchés ; Et ne demandons pas si les moissons futures Auront des champs féconds, des gerbes aussi mûres. Bornons notre horizon.... Mais l'esprit insoumis Repousse et rompt le frein que lui-même avait mis. Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? Souvent de mes amis j'imagine l'oubli : C'est le soir, au printemps, quand le jour affaibli Jette l'ombre en mon cœur ainsi que sur la terre ; Emportant avec lui l'espoir et la lumière ; Rêveuse, je me dis : « Pourquoi m'aimeraient-ils ? De nos affections les invisibles fils Se brisent chaque jour au moindre vent qui passe, Comme on voit que la brise enlève au loin et casse Ces fils blancs de la Vierge, errants au sein des cieux ; Tout amour sur la terre est incertain comme eux ! » Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ? C'est que, petit oiseau, tu voles loin de nous ; L'air qu'on respire au ciel est plus pur et plus doux. Ce n'est qu'avec regret que ton aile légère, Lorsque les cieux sont noirs, vient effleurer la terre. Ah ! que ne pouvons-nous, te suivant dans ton vol, Oubliant que nos pieds sont attachés au sol, Élever notre cœur vers la voûte éternelle, Y chercher le printemps comme fait l'hirondelle, Détourner nos regards d'un monde malheureux, Et, vivant ici-bas, donner notre âme aux cieux ! Ô petite hirondelle Qui bats de l'aile, Et viens contre mon mur, Comme abri sûr, Bâtir d'un bec agile Un nid fragile, Dis-moi, pour vivre ainsi Sans nul souci, Comment fait l'hirondelle Qui bat de l'aile ?@stephaneMallarme
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui ! Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui Magnifique mais qui sans espoir se délivre Pour n'avoir pas chanté la région où vivre Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui. Tout son col secouera cette blanche agonie Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie, Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris. Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne, Il s'immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.@sybilleRembard
Châtiment d’un chat renversé Blanc cassé sur le goudron Sang en éclat de haine Rouge comme ultime rempart d’une vie écourtée par une roue broyant l’évidence Nous l’avons déplacé des yeux du monde Au versant de cette aventure qu’il ne connaîtra plus Un regard triste de tendresse Parfumait notre repas de midi sans volupté Une seconde a suffi Interminable Animal désavoué par la civilisation Gravure de sève vermeille Épitaphe@sybilleRembard
Le musicien Tintement assoiffé de vie s’atomisant à l’aurore de l’année La prison s’est ouverte Le bécotement solitaire est terminé Ton flanc bleu respire la liberté Quelques clochettes bourdonnent Le carillon grelotte Le miroir te cherche Le sol t’accueille figé glacial Marcel Le trou est creusé La loge est vide Sous une douleur marmoréenne la musique ruisselle éloignée@sybilleRembard
Le pou et la lavande Animal, insecte, catégorie mentale Extermination probable Violet Demain, dans une semaine Parfum Rectification obscène et obsolète d’une négation … de beauté. Ce n’est pas ton destin d’être Blonde, brune ou rousse, la chevelure ne t’appartient pas. Miracle de la nature la Lavande te rejette, te banni, t’expulse. Aucune trêve hivernale ne te concerne. Citoyen d’un autre monde Tu t’es abreuvé à la fontaine de la haine. Je t’implore de les pardonner.@sybilleRembard
Mille-pattes dyscalculique Animal aux milles facettes esprit libre des comptes parsemés de doutes Le chiffre tu ne le connais pas moi oui mais je ne te l’infligerai jamais Ignorance de la grandeur de l’infini tu vis dans ton règne étrange règne autre, sans résultats d’un comptage qui ne nous revient pas Ta supériorité est directement proportionnelle Racine carrée Tu es mille fois mieux que nous@thibaultDesbordes
Le Cheval Adossé à l’un de ces murs centenaires Comme il y en a tant dans la Forêt de Marly, Un banc, une poubelle et une barrière Ressemblaient fort à un cheval qui hennit. Et le tout était planté là, dans la mousse, Le cheval galopait sur les feuilles rousses ; La canopée lui tendait de moelleux parfums ; L’heureux cheval humait, ses naseaux au matin. Il riait, et parfois montrait de grandes dents, Il couchait dehors, car c’est bien triste au-dedans, L’humus époussetait doucement sous son fer Un mucus spongieux, sans savoir quoi en faire ! Le joyeux canasson, hilare et sans raison, Teignait son crin selon l’humeur de la saison. Roulait sa croupe et son sabot sur les sentiers, Discrets forestiers dont il avait l’amitié ! Ainsi ce singulier cheval vagabondait Dans cette forêt où toute vie abondait ; Libéré des contraintes de son forgeage, Il existait ; créant le monde à son image !@theodoreDeBanville
La colombe blessée Ô colombe qui meurs dans le ciel azuré, Rouvre un instant les yeux, mourante aux blanches ailes ! Le vautour qui te tue expire, déchiré Par des flèches mortelles. Va, tu tombes vengée, ô victime, et ta soeur Peut voir, en traversant la forêt d’ombre pleine, L’oiseau tout sanglant pendre au carquois d’un chasseur Qui passe dans la plaine. Le jeune archer, folâtre et chantant des chansons, Passe, sa proie au dos, par les herbes fleuries, Laissant déchiqueter par les dents des buissons Ces dépouilles meurtries.@theophileDeViau
Le matin L'Aurore sur le front du jour Seme l'azur, l'or et l'yvoire, Et le Soleil, lassé de boire, Commence son oblique tour. Ses chevaux, au sortir de l'onde, De flame et de clarté couverts, La bouche et les nasaux ouverts, Ronflent la lumiere du monde. Ardans ils vont à nos ruisseaux Et dessous le sel et l'escume Boivent l'humidité qui fume Si tost qu'ils ont quitté les eaux. La lune fuit devant nos yeux ; La nuict a retiré ses voiles ; Peu à peu le front des estoilles S'unit à la couleur des Cieux.@theophileGautier
Ce que disent les hirondelles Déjà plus d'une feuille sèche Parsème les gazons jaunis ; Soir et matin, la brise est fraîche, Hélas ! les beaux jours sont finis ! On voit s'ouvrir les fleurs que garde Le jardin, pour dernier trésor : Le dahlia met sa cocarde Et le souci sa toque d'or. La pluie au bassin fait des bulles ; Les hirondelles sur le toit Tiennent des conciliabules : Voici l'hiver, voici le froid ! Elles s'assemblent par centaines, Se concertant pour le départ. L'une dit : « Oh ! que dans Athènes Il fait bon sur le vieux rempart ! « Tous les ans j'y vais et je niche Aux métopes du Parthénon. Mon nid bouche dans la corniche Le trou d'un boulet de canon. » L'autre : « J'ai ma petite chambre A Smyrne, au plafond d'un café. Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre Sur le seuil d'un rayon chauffé.@theophileGautier
Le merle Un oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d'espoir, Sur les herbes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir. C'est un merle, chanteur crédule, Ignorant du calendrier, Qui rêve soleil, et module L'hymne d'avril en février. Pourtant il vente, il pleut à verse ; L'Arve jaunit le Rhône bleu, Et le salon, tendu de perse, Tient tous ses hôtes près du feu. Les monts sur l'épaule ont l'hermine, Comme des magistrats siégeant. Leur blanc tribunal examine Un cas d'hiver se prolongeant. Lustrant son aile qu'il essuie, L'oiseau persiste en sa chanson, Malgré neige, brouillard et pluie, Il croit à la jeune saison. Il gronde l'aube paresseuse De rester au lit si longtemps Et, gourmandant la fleur frileuse, Met en demeure le printemps. Il voit le jour derrière l'ombre, Tel un croyant, dans le saint lieu, L'autel désert, sous la nef sombre, Avec sa foi voit toujours Dieu. A la nature il se confie, Car son instinct pressent la loi. Qui rit de ta philosophie, Beau merle, est moins sage que toi !@tristanCorbiere
À ma jument souris Pas d’éperon ni de cravache, N’est-ce pas, Maîtresse à poil gris… C’est bon à pousser une vache, Pas une petite Souris. Pas de mors à ta pauvre bouche : Je t’aime, et ma cuisse te touche. Pas de selle, pas d’étrier : J’agace, du bout de ma botte, Ta patte d’acier fin qui trotte. Va : je ne suis pas cavalier… — Hurrah ! c’est à nous la poussière ! J’ai la tête dans ta crinière, Mes deux bras te font un collier. — Hurrah ! c’est à nous le hallier ! — Hurrah ! c’est à nous la barrière ! — Je suis emballé : tu me tiens — Hurrah !… et le fossé derrière… Et la culbute !… — Femme tiens !!@tristanCorbiere
À mon chien Pope Mort d'une balle. Toi : ne pas suivre en domestique, Ni lécher en fille publique ! – Maître-philosophe cynique : N'être pas traité comme un chien, Chien ! tu le veux – et tu fais bien. – Toi : rester toi ; ne pas connaître Ton écuelle ni ton maître. Ne jamais marcher sur les mains, Chien ! – c'est bon pour les humains. ... Pour l'amour – qu'à cela ne tienne : Viole des chiens – Gare la Chienne ! Mords – Chien – et nul ne te mordra. Emporte le morceau – Hurrah ! – Mais après, ne fais pas la bête ; S'il faut payer – paye – Et fais tête Aux fouets qu'on te montrera. – Pur ton sang ! pur ton chic sauvage ! – Hurler, nager – Et, si l'on te fait enrager... Enrage ! Île de Batz. – Octobre.