Titre : Chant nuptial du mariage de Madame Renée
Auteur : Clément Marot
Qui est ce duc venu nouvellement
En si bel ordre et riche à l'avantage ?
On juge bien à le voir seulement,
Qu'il est issu d'excellent parentage.
N'est-ce celui, qui en fleurissant âge
Doit épouser la princesse
Renée ?
Elle en sera (ce pensé-je) estrenée :
Car les hautbois l'ont bien chanté anuit,
Et d'un accord, et tous d'une aliénée
Ont appelé la bienheureuse nuit.
O nuit, pour vrai si es-tu bien cruelle,
Et tes excès nous sont tous apparents,
Tu viens ravir la royale pucelle
Entre les bras de ses propres parents,
Et qui plus est, tu la livres et rends
Entre les mains d'un ardent et jeune homme ;
Que firent pis les ennemis à
Rome,
N'a pas longtemps par pillage empirée ?
Or derechef, cruelle je te nomme ;
Pourquoi es-tu donques nuit désirée ?
Je me desdis, tu n'es point nuit cruelle.
Tes doux effets nous sont tous apparents.
Tu prends d'Amour et de gré la pucelle
Entre les mains de ses nobles parents,
Et qui plus est, deux cœurs en un tu rends
En chaste lit fous nuptial affaire :
Ce qu'autre nuit jamais n'aurait sut faire.
Bref, ta puissance est grande et point ne nuit ;
Ce que tu fais on ne saurait défaire ; Ô très puissante et bienheureuse nuit !
Fille de roi, adieu ton pucellage ;
Et toutefois tu n'en dois faire pleurs.
Car le pommier, qui porte bon fruitage,
Vaut mieux que celui qui ne porte que fleurs.
Roses aussi de diverses couleurs.
Si on ne les cueille, sans profiter périssent,
Et si on les cueille, les cueillant, les chérissent.
Prisant l'odeur qui d'elles est tirée,
Si de toi veux, que fruits odorants issent,
Fuir ne faut la nuit tant désirée.
Et d'autre part ta virginité toute
Ne t'appartient, en quatre elle est partie :
La part première elle est au roi (sans doute)
L'autre à
Madame est part droit départie,
La sceur du roi a la tierce partie.
Toi, la quatrième.
Or ils donnent leurs droits
A ton mari, veux-tu combattre à trois.
Trois (pour certain) qui en valent bien huit ?
Certes je crois que plutôt tu voudrais
Que déjà fut la bienheureuse nuit.
Ta douce nuit ne sera point obscure
Car
Phébé lors plus que
Phébus luira.
Et si
Phébé a de te voir grand cure.
Jusqu'à ton lit par les vitres ira,
Vénus aussi la nuit éclaircira,
Et
Vesperus qui sur le soir s'enflamme,
Hymeneus, qui fait la fille femme.
Et chaste
Amour, aux noces préférée,
Te fourniront tant d'amoureuse flamme.
Qu'ils feront jour de la nuit désirée.
Vous qui soupez, laissez ces tables grasses ;
Le manger peu vaut mieux pour bien danser.
Sus aumôniers, dites vitement grâces,
Le mari dit qu'il se faut avancer ;
Le jour lui fâche, on le peut bien penser.
Dames, dansez, et que l'on se déporte (Si m'en croyez) d'écouter à la porte,
S'il donnera l'assaut sur la minuit ;
Chaut appétit en tel lieu se transporte ;
Dangereuse est la bienheureuse nuit.
Dansez, ballez, solennisez la fête
De celle en qui votre amour gît si fort.
Las qu'ai-je dit ?
Qu'est-ce que j'admoneste ?
Ne dansez point, soyez en déconfort.
Elle s'en va,
Amour par son effort
Lui fait laisser le lieu de sa naissance,
Parents, amis et longue connaissance.
Pour son époux suivre jour et ferée.
O noble duc, pourquoi t'en vas de
France,
Où tu as eu la nuit tant désirée ?
Duchesse (hélas) que fais-tu ?
Tu délaisses
Un peuple entier pour l'amour d'un seul prince.
Et au partir en ta place nous laisses
Triste regret, qui nos cœurs, mord et pince.
Or va donc voir ta ducale province,
Ton peuple déjà de dresser se soucie
Arc triomphal, théâtre et facétie
Pour t'accueillir en honneur et en bruit.
Bientôt y fait ta ceinture accourcie
Par une bonne et bienheureuse nuit.