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Titre : Le brasier

Auteur : Guillaume Apollinaire Recueil : Alcools

J’ai jeté dans le noble feu Que je transporte et que j’adore De vives mains et même feu Ce Passé ces têtes de morts Flamme je fais ce que tu veux Le galop soudain des étoiles N’étant que ce qui deviendra Se mêle au hennissement mâle Des centaures dans leurs haras Et des grand’plaintes végétales Où sont ces têtes que j’avais Où est le Dieu de ma jeunesse L’amour est devenu mauvais Qu’au brasier les flammes renaissent Mon âme au soleil se dévêt Dans la plaine ont poussé des flammes Nos cœurs pendent aux citronniers Les têtes coupées qui m’acclament Et les astres qui ont saigné Ne sont que des têtes de femmes Le fleuve épinglé sur la ville T’y fixe comme un vêtement Partant à l’amphion docile Tu subis tous les tons charmants Qui rendent les pierres agiles Je flambe dans le brasier à l’ardeur adorable Et les mains des croyants m’y rejettent multiple innombrablement Les membres des intercis flambent auprès de moi Éloignez du brasier les ossements Je suffis pour l’éternité à entretenir le feu de mes délices Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil Ô Mémoire Combien de races qui forlignent Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes Qui étaient immortels et n’étaient pas chanteurs Voici ma vie renouvelée De grands vaisseaux passent et repassent Je trempe une fois encore mes mains dans l’Océan Voici le paquebot et ma vie renouvelée Ses flammes sont immenses Il n’y a plus rien de commun entre moi Et ceux qui craignent les brûlures Descendant des hauteurs où pense la lumière Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles L’avenir masqué flambé en traversant les cieux Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie J’ose à peine regarder la divine mascarade Quand bleuira sur l’horizon la Désirade Au delà de notre atmosphère s’élève un théâtre Que construisit le ver Zamir sans instrument Puis le soleil revint ensoleiller les places D’une ville marine apparue contremont Sur les toits se reposaient les colombes lasses Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie À petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide Comme les astres dont se nourrit le vide Et voici le spectacle Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles Donnent des ordres aux hommes apprivoisés Terre Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée J’aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât