Titre : Première Moisson
Auteur : Louis-Honoré Fréchette
Je ne désire point. Au nord moment splendides
Les échelons lointains des vastes Laurentides.
En bas, le fleuve immense et paisible, roulant
Au soleil du matin son flot superbe et lent,
Reflète, avec les pins des grands rochers moroses,
Le clair azur du ciel et ses nuages roses.
Nous sommes en septembre ; et le blond fructidor.
Qui sur la plaine verte a mis des teintes d'or,
Au front des bois bercés par les brises flottantes
Répand comme un fouillis de couleurs éclatantes ;
On dirait les joyaux d'un gigantesque écrin.
Un repos solennel plein de calme serein
Plane encor sur ces bords où la chaste Nature,
Aux seuls baisers du ciel dénouant sa ceinture,
Drapée en sa sauvage et rustique beauté,
Garde encor les trésors de sa virginité.
Cependant un lambeau de brise nous apporte
Comme un refrain joyeux qu'une voix mâle et forte,
Mêlée à des éclats de babil argentin,
Jette dans l'air sonore aux échos du lointain.
Ce sont des moissonneurs avec des moissonneuses.
Ils suivent du sentier les courbes sablonneuses,
Et, le sac à l'épaule, ils cheminent gaîment.
Ce sont des émigrés du doux pays normand,
Des filles du Poitou, de beaux gars de Bretagne,
Qui viennent de quitter leur lande ou leur campagne
Pour fonder une France au milieu du désert.
L'homme qui les conduit, c'est le robuste Hébert,
Un vaillant ! le premier de cette forte race
Dont tout un continent garde aujourd'hui la trace,
Qui, dans ce sol nouveau par son bras assaini,
Mit le grain de froment, trésor du ciel béni,
Héritage sans prix dont la France féconde
Dans sa maternité dota le nouveau monde.
Ils vont dans la vallée où les vents assoupis
Font ondoyer à peine un flot mouvant d'épis
Qu'ont mûris de l'été les tépides haleines.