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Titre : La raison parle

Auteur : Alphonse Beauregard Recueil : Les alternances, 1921

N'aimes-tu pas ce temps de discrète clarté, Aube faite de grâce et de sérénité, Où, rêvant qu'une bouche appuiera sur la tienne, Tu marches au hasard, distrait quoi qu'il advienne, Tu parles et tu ris, l'esprit courant les bois, Et machinalement tu manges et tu bois ; Où fusent, imprévus, dans l'air et se colorent Des mots que tu n'avais jamais compris encore ; Où simplement heureux de vivre, et confiant Dans celle qui vers toi se penche en souriant, Sans appréhension tu peux voir sur la scène Les drames que l'amour dans l'existence entraîne. À ces jours recueillis tu reviendras songer, Alors, pourquoi ne veux-tu pas les prolonger ? – Je craindrais, allongeant d'une heure la durée De ce temps, défini comme une œuvre inspirée, D'en détruire le rythme exquisément subtil. J'aime jusqu'au troublant désir de cet Avril Et je cherche à goûter sa beauté toute entière. Mais l'homme, qui pourtant sait l'avenir précaire, Tient son regard fixé sur un lointain bonheur Même si le présent le baigne de tiédeur ; Il ne s'arrête pas avant l'hôtellerie Malgré le charme épars dans la verte prairie. – Le bonheur dans l'amour ! Songe éternel et vain. Que d'hommes le croyant prisonnier sous leur main N'eurent qu'une minable aventure en partage. D'autres, que la luxure a gagnés et ravage, Devenus sous le joug de la femme, des chiens, Sentent gronder en eux l'orgueil des jours anciens, Déversent sur leur front des insultes affreuses Et vont se recoucher aux pieds de la dompteuse. D'autres encore, liés par l'âme et par la chair, Perdent l'être sans qui leur vie est un désert, Et ne pouvant créer d'astre qui les dirige Abandonnent leurs sens à de mortels vertiges. Si tu n'as rien appris à voir ceux-là souffrir, Tes larmes couleront peut-être sans tarir. – Si l'homme t'écoutait, Raison pusillanime, Au lieu de s'élancer d'un coup d'aile sublime Vers la gloire et la mort, dans le ciel, sur la mer, Il resterait caché dans son trou, comme un ver. Je veux savoir quel horizon m'ouvre l'extase, Juger ce que mon cœur contient d'or et de vase, Connaître ma constance et mon droit à l'amour. Fort de ma grandissante émotion, et sourd Aux aguichants appels dénués de tendresse, Je ne tomberai pas dans de lâches faiblesses. Si j'ai surestimé la femme de mon choix, Si j'abjure ma paix pour saisir une croix, Rien ne m'enlèvera, du moins, la jouissance De reporter mon âme à ces jours d'espérance, Sachant que n'aurait pas tinté leur pur cristal Si je n'avais rêvé d'un bonheur intégral.