Titre : À ma fille Fadwa
Auteur : Ahmed Balbadaoui
Lorsque j'ai écrit ton nom sur le poignet d'un minaret, celui-ci
s'est écroulé.
J'ai alors réparti les lettres du nom sur des palmes.
Cela m'a donné une lune verte.
J'ai essayé d'écrire le même
nom sur la cuisse d'un minaret.
Il s'est écroulé.
J'ai de nouveau
écrit le nom sur des palmes.
Une pluie de dattes vertes m'a
surpris et m'a ouvert la porte de la mer.
Fadwa, porte de la mer !
Lorsque j'ai commencé à tracer la première lettre de ton nom
mes doigts se sont comme étranglés
Je me suis rappelé une femme vidant d'en haut
un seau d'ordures
sur la tête d'un enfant de deux ans
qui marchait paisiblement sous le balcon
J'ai ri, car dans mon pays
les enfants sont une vigne sauvage
une rivière de bananes et de mûres
Fadwa, porte de la mer
billet de douce union avec le monde
sais-tu ce que coûte le voyage dans les îles de la pureté ?
Ne crains rien, j'ai tout consigné
.depuis les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce jour
J'avais pour plume le soufre, la pluie pour encre
et les fleuves pour encrier
J'ai noté que tu étais comme les enfants de mon pays
tu as tété
le lait d'un sein importé
et à mesure que le prix du lait augmentait
le taux du refus
montait dans le sang
C'est pourquoi le « non » fut le premier mot
qui sortit tel un babil
de ton index
des hochements de ta tête
de tes yeux couleur de feu
C'est pour cela aussi que tu es venue au monde
le soleil ce jour-là en était témoin
Fadwa, ô oiseau né de nos espérances
et de notre détermination
Mehdi est mort
Son cadavre se nourrit toujours de conjectures
et de promesses trompeuses
« pluie, pluie
O fils de laboureurs »
ont chanté les fils de laboureurs
Voilà que des branches et des mains
ont poussé à la faucille
et
Mehdi est mort
Son cadavre se nourrit toujours de conjectures
et de promesses trompeuses
« pluie, pluie
fils de laboureurs »
Voici que la faucille remue les plaies du
Rif
Parle donc aux enfants de leur résidence
dans les douleurs de la pluie
car
Mehdi est mort
Viens reposer sur mon épaule, que je te raconte une histoire
ma tête, cette tête que je mets maintenant entre tes mains
est une station
où les routes de gauche se tordent de rire
Bien sûr, tu ne sais peut-être pas
comment une tête, celle de ton père en l'occurrence
peut devenir une station
Bon
je vais tout t'expliquer :
Tu vois cette ligne qui saigne
eh bien elle recoupe le carrefour des braises
s'étire à gauche jusqu'à la capitale de la menthe
traverse tous les balcons affamés
au front desquels poussent des mûres
et finit par s'unir à toi
car tu es une vigne sauvage
car les enfants sont une rivière de bananes et de mûres
car l'aboutissement ou le fin fond de ce monde
est soit une vigne soit un palmier
Écoute,
Fadwa : que dit cette radio dans son délire ?
«
Au quatrième top il sera exactement »
Ce temps putride dégueule ses passagers
au point le plus reculé
de l'univers
«
Au quatrième top sera le
Jugement dernier »
Le chah
Allah est accroupi, seul dans la place
Le fil de la genèse lui glisse entre les mains
et ton père
cet Œdipe sorti du ventre de la baleine
a tué père et mère
Dans ses pupilles, les yeux de
Zarqa se sont allumés
Mais le sphinx dressé à l'entrée de
Thèbes
a été épargné, lui
Viens donc ma fille, allons le tuer
«
Au quatrième top sera le
Jugement dernier »
La radio a interrompu une chanson insipide
sur des amours défaites
Fadwa m'a demandé ce qu'elle voulait dire
J'ai répondu :
Je ne sais pas
sauf qu'en l'écoutant j'ai cherché mon cou
et ne l'ai pas retrouvé
Je me rappelle avoir chanté un soir la même chanson
et une forêt de tabac s'est embrasée dans mon gosier
Qui la chantait ? m'a-t-elle demandé
Je ne sais pas. ai-je répondu
puis je me suis repris :
Peut-être
Hafid
ou
Acide peu importe
Ce que tu dois savoir, ma fille
c'est que le vrai amour peut faire mourir
et la terre a besoin, pour accomplir sa révolution
d'un amoureux
en forme de fruit
Note
Certains amis pourront se demander, ô
Fadwa
pourquoi je ne t'ai pas offert de fleurs pour ton anniversaire
Je suis excusable, ma fille
Les fleurs se t'ont rares ces temps-ci
En vérité, j'en ai cherché
mais je n'ai trouvé que des roses armées de serres
et si je t'en avais offert
qui m'aurait garanti qu'elles n'allaient pas s'avérer féroces ?
C'est pour cela que j'ai mis longtemps à choisir
ce qui serait le plus pur
ce qui serait le plus précieux
Alors des nuées de thym sont venues piailler
et se prélasser dans ma paume