splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi
@victorHugo profile image

Victor Hugo

Auteurplume

Victor Hugo, parfois surnommé l'Homme océan ou, de manière posthume, l'Homme siècle, est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des écrivains de la langue française et de la littérature mondiale les plus importants. Hugo est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle. Au théâtre, Victor Hugo s'impose comme un des chefs de file du romantisme français en présentant sa conception du drame romantique dans les préfaces qui introduisent Cromwell en 1827, puis Hernani en 1830, qui sont de véritables manifestes, puis par ses autres œuvres dramatiques, en particulier Lucrèce Borgia en 1833 et Ruy Blas en 1838. Son œuvre poétique comprend plusieurs recueils de poèmes lyriques, dont les plus célèbres sont Odes et Ballades paru en 1826, Les Feuilles d'automne en 1831 et Les Contemplations en 1856. Victor Hugo est aussi un poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments, paru en 1853, et un poète épique dans La Légende des siècles, publié de 1859 à 1883. Comme romancier, il rencontre un grand succès populaire, d'abord avec Notre-Dame de Paris en 1831, et plus encore avec Les Misérables en 1862. Son œuvre multiple comprend aussi des écrits et discours politiques, des récits de voyages, des recueils de notes et de mémoires, des commentaires littéraires, une correspondance abondante, près de quatre mille dessins dont la plupart réalisés à l'encre, ainsi que la conception de décors intérieurs et une contribution à la photographie. Très impliqué dans le débat public, Victor Hugo est parlementaire sous la monarchie de Juillet et sous la Deuxième et Troisième République. Il s'exile pendant près de vingt ans à Jersey et Guernesey sous le Second Empire, dont il est l'un des grands opposants. Attaché à la paix et à la liberté et sensible à la misère humaine, il s'exprime en faveur de nombreuses avancées sociales, s'oppose à la peine de mort et à l'esclavage. Il soutient aussi l'idée d'une Europe unifiée. Son engagement résolument républicain dans la deuxième partie de sa vie et son immense œuvre littéraire font de lui un personnage emblématique, que la Troisième République honore par des funérailles nationales et le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 1er juin 1885, dix jours après sa mort. Pendant les deux jours où sa tombe est exposée au public, plus de deux millions de personnes se déplacent pour lui rendre hommage. Ayant fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre et ayant marqué son époque par ses prises de position politiques et sociales, Victor Hugo est encore célébré aujourd'hui, en France et à l'étranger, comme un personnage illustre, dont la vie et l'œuvre font l'objet de multiples commentaires et hommages.

...plus

Compte non officiel

Poésies

259

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Aux arbres Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme! Au gré des envieux, la foule loue et blâme ; Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent, Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant. Vous le savez, la pierre où court un scarabée, Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée, Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour. La contemplation m’emplit le coeur d’amour. Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure, Avec ces mots que dit l’esprit à la nature, Questionner tout bas vos rameaux palpitants, Et du même regard poursuivre en même temps, Pensif, le front baissé, l’oeil dans l’herbe profonde, L’étude d’un atome et l’étude du monde. Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu, Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu! Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches, Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches, Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux, Vous savez que je suis calme et pur comme vous. Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance, Et je suis plein d’oubli comme vous de silence! La haine sur mon nom répand en vain son fiel ; Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! – J’ai chassé loin de moi toute pensée amère, Et mon coeur est encor tel que le fit ma mère! Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours, Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds, Ravins où l’on entend filtrer les sources vives, Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives! Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois, Dans votre solitude où je rentre en moi-même, Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime! Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît, Arbres religieux, chênes, mousses, forêt, Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère, C’est sous votre branchage auguste et solitaire, Que je veux abriter mon sépulcre ignoré, Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Aux champs Je me penche attendri sur les bois et les eaux, Rêveur, grand-père aussi des fleurs et des oiseaux ; J’ai la pitié sacrée et profonde des choses ; J’empêche les enfants de maltraiter les roses ; Je dis : N’effarez point la plante et l’animal ; Riez sans faire peur, jouez sans faire mal. Jeanne et Georges, fronts purs, prunelles éblouies, Rayonnent au milieu des fleurs épanouies ; J’erre, sans le troubler, dans tout ce paradis ; Je les entends chanter, je songe, et je me dis Qu’ils sont inattentifs, dans leurs charmants tapages, Au bruit sombre que font en se tournant les pages Du mystérieux livre où le sort est écrit, Et qu’ils sont loin du prêtre et près de Jésus-Christ.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Aux femmes Quand tout se fait petit, femmes, vous restez grandes. En vain, aux murs sanglants accrochant des guirlandes, Ils ont ouvert le bal et la danse ; ô nos soeurs, Devant ces scélérats transformés en valseurs Vous haussez, — châtiment ! — vos charmantes épaules. Votre divin sourire extermine ces drôles. En vain leur frac brodé scintille ; en vain, brigands, Pour vous plaire ils ont mis à leurs griffes des gants, Et de leur vil tricorne ils ont doré les ganses ; Vous bafouez ces gants, ces fracs, ces élégances, Cet empire tout neuf et déjà vermoulu. Dieu vous a tout donné, femmes ; il a voulu Que les seuls alcyons tinssent tête à l'orage, Et qu'étant la beauté, vous fussiez le courage. Les femmes ici-bas et là-haut les aïeux, Voilà ce qui nous reste ! Abjection ! nos yeux Plongent dans une nuit toujours plus épaissie. Oui, le peuple français, oui, le peuple messie, Oui, ce grand forgeron du droit universel Dont, depuis soixante ans, l'enclume sous le ciel Luit et sonne, dont l'âtre incessamment pétille, Qui fit voler au vent les tours de la Bastille, Qui broya, se dressant tout à coup souverain, Mille ans de royauté sous son talon d'airain, Ce peuple dont le souffle, ainsi que des fumées, Faisait tourbillonner les rois et les armées, Qui, lorsqu'il se fâchait, brisait sous son bâton Le géant Robespierre et le titan Danton, Oui, ce peuple invincible, oui, ce peuple superbe Tremble aujourd'hui, pâlit, frissonne comme l'herbe, Claque des dents, se cache et n'ose dire un mot Devant Magnan, ce reître, et Troplong, ce grimaud ! Oui, nous voyons cela ! Nous tenant dans leurs serres, Mangeant les millions en face des misères, Les Fortoul, les Rouher, êtres stupéfiants, S'étalent ; on se tait. Nos maîtres ruffians À Cayenne, en un bagne, abîme d'agonie, Accouplent l'héroïsme avec l'ignominie ; On se tait. Les pontons râlent ; que dit-on ? rien. Des enfants sont forçats en Afrique ; c'est bien. Si vous pleurez, tenez votre larme secrète. Le bourreau, noir faucheur, debout dans sa charrette, Revient de la moisson avec son panier plein Pas un souffle. Il est là, ce Tibère-Ezzelin Qui se croit scorpion et n'est que scolopendre, Fusillant, et jaloux de Haynau qui peut pendre ; Eclaboussé de sang, le prêtre l'applaudit ; Il est là, ce César chauve-souris qui dit Aux rois : voyez mon sceptre ; aux gueux : voyez mon crime Ce vainqueur qui, béni, lavé, sacré, sublime, De deux pourpres vêtu, dans l'histoire s'assied Le globe dans sa main, un boulet à son pied ; Il nous crache au visage, il règne ! nul ne bouge. Et c'est à votre front qu'on voit monter le rouge, C'est vous qui vous levez et qui vous indignez, Femmes ; le sein gonflé, les yeux de pleurs baignés, Vous huez le tyran, vous consolez les tombes, Et le vautour frémit sous le bec des colombes ! Et moi, proscrit pensif, je vous dis : Gloire à vous ! Oh ! oui, vous êtes bien le sexe fier et doux, Ardent au dévouement, ardent à la souffrance, Toujours prêt à la lutte, à Béthulie, en France, Dont l'âme à la hauteur des héros s'élargit, D'où se lève Judith, d'où Charlotte surgit ! Vous mêlez la bravoure à la mélancolie. Vous êtes Porcia, vous êtes Cornélie, Vous êtes Arria qui saigne et qui sourit ; Oui, vous avez toujours en vous ce même esprit Qui relève et soutient les nations tombées, Qui suscite la Juive et les sept Machabées, Qui dans toi, Jeanne d'Arc, fait revivre Amadis, Et qui, sur le chemin des tyrans interdits, Pour les épouvanter dans leur gloire éphémère, Met tantôt une vierge et tantôt une mère ! Si bien que, par moments, lorsqu'en nos visions Nous voyons, secouant un glaive de rayons, Dans les cieux apparaître une figure ailée, Saint-Michel sous ses pieds foulant l'hydre écaillée, Nous disons : c'est la Gloire et c'est la Liberté ! Et nous croyons, devant sa grâce et sa beauté, Quand nous cherchons le nom dont il faut qu'on le nomme, Que l'archange est plutôt une femme qu'un homme ! Jersey, le 30 mai 1853.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Aux morts du 4 décembre Jouissez du repos que vous donne le maître. Vous étiez autrefois des coeurs troublés peut-être, Qu’un vain songe poursuit ; L’erreur vous tourmentait, ou la haine, ou l’envie ; Vos bouches, d’où sortait la vapeur de la vie, Étaient pleines de bruit. Faces confusément l’une à l’autre apparues, Vous alliez et veniez en foule dans les rues, Ne vous arrêtant pas, Inquiets comme l’eau qui coule des fontaines, Tous, marchant au hasard, souffrant les mêmes peines, Mêlant les mêmes pas. Peut-être un feu creusait votre tête embrasée, Projets, espoirs, briser l’homme de l’Élysée, L’homme du Vatican, Verser le libre esprit à grands flots sur la terre ; Car dans ce siècle ardent toute âme est un cratère Et tout peuple un volcan. Vous aimiez, vous aviez le coeur lié de chaînes, Et le soir vous sentiez, livrés aux craintes vaines, Pleins de soucis poignants, Ainsi que l’océan sent remuer ses ondes, Se soulever en vous mille vagues profondes Sous les cieux rayonnants. Tous, qui que vous fussiez, tête ardente, esprit sage, Soit qu’en vos yeux brillât la jeunesse, ou que l’âge Vous prît et vous courbât, Que le destin pour vous fût deuil, énigme ou fête, Vous aviez dans vos coeurs l’amour, cette tempête, La douleur, ce combat. Grâce au quatre décembre, aujourd’hui, sans pensée, Vous gisez étendus dans la fosse glacée Sous les linceuls épais ; Ô morts, l’herbe sans bruit croît sur vos catacombes, Dormez dans vos cercueils ! taisez-vous dans vos tombes ! L’empire, c’est la paix.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Aux prêtres Il sied de ressembler aux dieux. Ton Dieu, flamine, Dévore ses enfants ; ton Dieu, mage, extermine ; Augure, ton Dieu ment ; uléma, ton Dieu met La terre sous le sabre impur de Mahomet ; Ton Dieu, Rome, est l'agneau, mais il tette la louve ; Ô noir dominicain qui rêves, ton Dieu trouve Agréable l'odeur infâme des bûchers ; D'affreux temples, ayant pour prêtres des bouchers, Sont l'habitation de ton Dieu, corybante ; Brahmine, ton Dieu sombre aime la nuit tombante ; Rabbin, ton Dieu maudit la race de Japhet, Et cloue au fond du ciel le soleil stupéfait ; Sabaoth est cruel, Jupiter est immonde, Et pas un Dieu ne sait comment est fait le monde ; Les peuples ont le choix pour fléchir le genou Entre le monstre Asgar et le monstre Vishnou ; Ce Dieu brait, celui-là rugit, celui-ci beugle ; C'est pourquoi l'idéal de l'homme est d'être aveugle, Ténébreux, vil, féroce, ignorant, odieux, Afin d'être aussi près que possible des dieux. Le 4 août 1874.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ce que c’est que la mort Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ; On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ; On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil, La sombre égalité du mal et du cercueil ; Quoique le plus petit vaille le plus prospère ; Car tous les hommes sont les fils du même père ; Ils sont la même larme et sortent du même oeil. On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ; On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe, On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu, Impur, hideux, noué des mille noeuds funèbres De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ; Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni, Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante. On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant, Tout notre être frémit de la défaite étrange Du monstre qui devient dans la lumière un ange.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Avant que mes chansons aimées Amor de mi pecho, Pecho de mi amor ! Arbol, que has hecho, Que has hecho del flor ? ROMANCE. Avant que mes chansons aimées, Si jeunes et si parfumées, Du monde eussent subi l'affront, Loin du peuple ingrat qui les foule, Comme elles fleurissaient en foule, Vertes et fraîches sur mon front ! De l'arbre à présente détachées, Fleurs par l'aquilon desséchées, Vains débris qu'on traîne en rêvant, Elles errent éparpillées, De fange ou de poudre souillées, Au gré du lot, au gré du vent. Moi, comme des feuilles flétries, Je les vois, toutes défleuries, Courir sur le sol dépouillé ; Et la foule qui m'environne, En broyant du pied ma couronne, Passe et rit de l'arbre effeuillé ! Le 6 septembre 1828.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Avril – À Louis B. Louis, voici le temps de respirer les roses, Et d’ouvrir bruyamment les vitres longtemps closes ; Le temps d’admirer en rêvant Tout ce que la nature a de beautés divines Qui flottent sur les monts, les bois et les ravines Avec l’onde, l’ombre et le vent ! Louis, voici le temps de reposer son âme Dans ce calme sourire empreint de vague flamme Qui rayonne au front du ciel pur ; De dilater son cœur ainsi qu’une eau qui fume, Et d’en faire envoler la nuée et la brume A travers le limpide azur !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Billet du matin Si les liens des coeurs ne sont pas des mensonges, Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes, Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit. Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : « Tout fuit, Tout s'éteint, tout s'en va ; ta seule image reste. » Nous devions être morts dans ce rêve céleste ; Il semblait que c'était déjà le paradis. Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis. Nous avions tous les deux la forme de nos âmes. Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes Composait notre corps de flamme et de rayons, Et, naturellement, nous nous reconnaissions. Il nous apparaissait des visages d'aurore Qui nous disaient : « C'est moi ! » la lumière sonore Chantait ; et nous étions des frissons et des voix. Vous me disiez : « Écoute ! » et je répondais : « Vois ! » Je disais : « Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ; Vivons ; c'est autrefois que nous étions des ombres. » Et, mêlant nos appels et nos cris : « Viens ! oh ! viens ! Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. » Éblouis, nous chantions : « C'est nous-mêmes qui sommes Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes, Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ; Nous sommes le regard et le rayonnement ; Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose, C'est nous ; l'astre est le nid où notre aile se pose ; Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu, L'éternité pour l'âge ; et, notre amour, c'est Dieu. » Paris, juin 18...

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Bon conseil aux amants L'amour fut de tout temps un bien rude Ananké. Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué, Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute ; On met le naturel de côté ; bête brute, On se fait ange ; on est le nain Micromégas ; Surtout on ne fait point chez elle de dégâts ; On se tait, on attend, jamais on ne s'ennuie, On trouve bon le givre et la bise et la pluie, On n'a ni faim, ni soif, on est de droit transi ; Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci : Un brave ogre des bois, natif de Moscovie, Etait fort amoureux d'une fée, et l'envie Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut : L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue, Se présente au palais de la fée, et salue, Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky. La fée avait un fils, on ne sait pas de qui. Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche, Bel enfant blond nourri de crème et de brioche, Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso, Il était sous la porte et jouait au cerceau. On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre. Comment passer le temps quand il neige en décembre. Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ? L'ogre se mit alors à croquer le marmot. C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite, Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite, Que de gober ainsi les mioches du prochain. Le bâillement d'un ogre est frère de la faim. Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe. La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme. As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ? Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé. Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire, Jugez ce que devint l'ogre devant la mère Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin. Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ; Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ; N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe, Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Booz endormi Booz s'était couché de fatigue accablé ; Il avait tout le jour travaillé dans son aire ; Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ; Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé. Ce vieillard possédait des champs de blés et d'orge ; Il était, quoique riche, à la justice enclin ; Il n'avait pas de fange en l'eau de son moulin ; Il n'avait pas d'enfer dans le feu de sa forge. Sa barbe était d'argent comme un ruisseau d'avril. Sa gerbe n'était point avare ni haineuse ; Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse : – Laissez tomber exprès des épis, disait-il.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Bêtise de la guerre Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile, Berceuse du chaos où le néant oscille, Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons, Toute pleine du bruit furieux des clairons, Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie, Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie, Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit, Où flotte une clarté plus noire que la nuit, Folle immense, de vent et de foudres armée, A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu, fumée, Si tes écroulements reconstruisent le mal, Si pour le bestial tu chasses l'animal, Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre, Défaire un empereur que pour en faire un autre ?

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ce que le poète se disait en 1848 Tu ne dois pas chercher le pouvoir, tu dois faire Ton œuvre ailleurs ; tu dois, esprit d'une autre sphère, Devant l'occasion reculer chastement. De la pensée en deuil doux et sévère amant, Compris ou dédaigné des hommes, tu dois être Pâtre pour les garder et pour les bénir prêtre. Lorsque les citoyens, par la misère aigris, Fils de la même France et du même Paris, S'égorgent ; quand, sinistre, et soudain apparue, La morne barricade au coin de chaque rue Monte et vomit la mort de partout à la fois, Tu dois y courir seul et désarmé ; tu dois Dans cette guerre impie, abominable, infâme, Présenter ta poitrine et répandre ton âme, Parler, prier, sauver les faibles et les forts, Sourire à la mitraille et pleurer sur les morts ; Puis remonter tranquille à ta place isolée, Et là, défendre, au sein de l'ardente assemblée, Et ceux qu'on veut proscrire et ceux qu'on croit juger, Renverser l'échafaud, servir et protéger L'ordre et la paix, qu'ébranle un parti téméraire, Nos soldats trop aisés à tromper, et ton frère, Le pauvre homme du peuple aux cabanons jeté, Et les lois, et la triste et fière liberté ; Consoler dans ces jours d'anxiété funeste, L'art divin qui frissonne et pleure, et pour le reste Attendre le moment suprême et décisif. Ton rôle est d'avertir et de rester pensif. Le 27 novembre 1848.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ce siècle avait deux ans Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, Et du premier consul, déjà, par maint endroit, Le front de l’empereur brisait le masque étroit. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole, Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère, Abandonné de tous, excepté de sa mère, Et que son cou ployé comme un frêle roseau Fit faire en même temps sa bière et son berceau. Cet enfant que la vie effaçait de son livre, Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre, C’est moi. — Je vous dirai peut-être quelque jour Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour, Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée, Ange qui sur trois fils attachés à ses pas Épandait son amour et ne mesurait pas ! Ô l’amour d’une mère ! amour que nul n’oublie ! Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie ! Table toujours servie au paternel foyer ! Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier ! Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, Comment ce haut destin de gloire et de terreur Qui remuait le monde aux pas de l’empereur, Dans son souffle orageux m’emportant sans défense, À tous les vents de l’air fit flotter mon enfance. Car, lorsque l’aquilon bat ses flots palpitants, L’océan convulsif tourmente en même temps Le navire à trois ponts qui tonne avec l’orage, Et la feuille échappée aux arbres du rivage ! Maintenant, jeune encore et souvent éprouvé, J’ai plus d’un souvenir profondément gravé, Et l’on peut distinguer bien des choses passées Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux, Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, Pâlirait s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde, Mon âme où ma pensée habite comme un monde, Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté, Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté, Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse, Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, Et quoiqu’encore à l’âge où l’avenir sourit, Le livre de mon cœur à toute page écrit ! Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ; Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume Dans le rhythme profond, moule mystérieux D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore ! D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais, Et je sais d’où je viens, si j’ignore où je vais. L’orage des partis avec son vent de flamme Sans en altérer l’onde a remué mon âme. Rien d’immonde en mon cœur, pas de limon impur Qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur ! Après avoir chanté, j’écoute et je contemple, À l’empereur tombé dressant dans l’ombre un temple, Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne ! 23 juin 1830.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Cent mille hommes Cent mille hommes, criblés d'obus et de mitraille, Cent mille hommes, couchés sur un champ de bataille, Tombés pour leur pays par leur mort agrandi, Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi, Cent mille ardents soldats, héros et non victimes, Morts dans un tourbillon d'évènements sublimes, D'où prend son vol la fière et blanche Liberté, Sont un malheur moins grand pour la société, Sont pour l'humanité, qui sur le vrai se fonde, Une calamité moins haute et moins profonde, Un coup moins lamentable et moins infortuné Qu'un innocent, - un seul innocent condamné, - Dont le sang, ruisselant sous un infâme glaive, Fume entre les pavés de la place de Grève, Qu'un juste assassiné dans la forêt des lois, Et dont l'âme a le droit d'aller dire à Dieu : Vois !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Certes, elle n'était pas femme Certes, elle n'était pas femme et charmante en vain, Mais le terrestre en elle avait un air divin. Des flammes frissonnaient sur mes lèvres hardies; Elle acceptait l'amour et tous ses incendies, Rêvait au tutoiement, se risquait pas à pas, Ne se refusait point et ne se livrait pas; Sa tendre obéissance était haute et sereine; Elle savait se faire esclave et rester reine, Suprême grâce! et quoi de plus inattendu Que d'avoir tout donné sans avoir rien perdu! Elle était nue avec un abandon sublime Et, couchée en un lit, semblait sur une cime. À mesure qu'en elle entrait l'amour vainqueur, On eût dit que le ciel lui jaillissait du coeur; Elle vous caressait avec de la lumière; La nudité des pieds fait la marche plus fière Chez ces êtres pétris d'idéale beauté; Il lui venait dans l'ombre au front une clarté Pareille à la nocturne auréole des pôles; À travers les baisers, de ses blanches épaules On croyait voir sortir deux ailes lentement; Son regard était bleu, d'un bleu de firmament; Et c'était la grandeur de cette femme étrange Qu'en cessant d'être vierge elle devenait ange.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Certes, une telle mort, ignorée ou connue Certes, une telle mort, ignorée ou connue, N'importe pas au siècle, et rien n'en diminue ; On n'en parle pas même et l'on passe à côté. Mais lorsque, grandissant sous le ciel attristé, L'aveugle suicide étend son aile sombre, Et prend à chaque instant plus d'âmes sous son ombre ; Quand il éteint partout, hors des desseins de Dieu, Des fronts pleins de lumière et des cœurs pleins de feu ; Quand Robert, qui voilait, peintre au pinceau de flamme, Sous un regard serein l'orage de son âme, Rejette le calice avant la fin du jour Dès qu'il en a vidé ce qu'il contient d'amour ; Quand Castlereagh, ce taon qui piqua Bonaparte, Cet anglais mélangé de Carthage et de Sparte, Se plonge au cœur l'acier et meurt désabusé, Assouvi de pouvoir, de ruses épuisé ; Quand Rabbe de poison inonde ses blessures ; Comme un cerf poursuivi d'aboyantes morsures, Lorsque Gros haletant se jette, faible et vieux, Au fleuve, pour tromper sa meute d'envieux ; Quand de la mère au fils et du père à la fille Partout ce vent de mort ébranche la famille ; Lorsqu'on voit le vieillard se hâter au tombeau Après avoir longtemps trouvé le soleil beau, Et l'épouse quittant le foyer domestique, Et l'écolier lisant dans quelque livre antique, Et tous ces beaux enfants, hélas ! trop tôt mûris, Qui ne connaissaient pas les hommes, qu'à Paris Souvent un songe d'or jusques au ciel enlève, Et qui se sont tués quand du haut de leur rêve De gloire, de vertu, d'amour, de liberté, Ils sont tombés le front sur la société ! Alors le croyant prie et le penseur médite ! Hélas ! l'humanité va peut-être trop vite. Où tend ce siècle ? où court le troupeau des esprits ? Rien n'est encor trouvé, rien n'est encor compris, Car beaucoup ici-bas sentent que l'espoir tombe, Et se brisent la tête à l'angle de la tombe Comme vous briseriez le soir sur le pavé Un œuf où rien ne germe et qu'on n'a pas couvé ! Mal d'un siècle en travail où tout se décompose ! Quel en est le remède et quelle en est la cause ? Serait-ce que la foi derrière la raison Décroît comme un soleil qui baisse à l'horizon ? Que Dieu n'est plus compté dans ce que l'homme fonde ? Et qu'enfin il se fait une nuit trop profonde Dans ces recoins du cœur, du monde inaperçus, Que peut seule éclairer votre lampe, ô Jésus ! Est-il temps, matelots mouillés par la tempête, De rebâtir l'autel et de courber la tête ? Devons-nous regretter ces jours anciens et forts Où les vivants croyaient ce qu'avaient cru les morts, Jours de piété grave et de force féconde, Lorsque la Bible ouverte éblouissait le monde ! Amas sombre et mouvant de méditations ! Problèmes périlleux ! obscures questions Qui font que, par moments s'arrêtant immobile, Le poète pensif erre encor dans la ville À l'heure où sur ses pas on ne rencontre plus Que le passant tardif aux yeux irrésolus Et la ronde de nuit, comme un rêve apparue, Qui va tâtant dans l'ombre à tous les coins de rue ! Le 4 septembre 1835.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Chacun choisit un homme Chacun choisit un homme, et moi j'ai choisi Dieu ! Oui, j'ai, pour l'expliquer à la foule muette, Pris le plus grand poème et le plus grand poète ! Je ne lis pas du grec ni du latin ; je lis Les horizons brumeux, les soirs doux et pâlis, Le ciel bleu, le lac sombre où l'étoile se mire ; Je déchiffre le cœur de l'homme, le sourire, Le soupir, le regard, la voix que nous aimons, Puis et toujours, les champs, les forêts et les monts, Et dans mon œuvre grave et parfois solennelle, Je traduis la nature, épopée éternelle.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Chanson (Les châtiments, III) Un jour, Dieu sur sa table Jouait avec le diable Du genre humain haï. Chacun tenait sa carte L'un jouait Bonaparte, Et l'autre Mastaï. Un pauvre abbé bien mince ! Un méchant petit prince, Polisson hasardeux ! Quel enjeu pitoyable ! Dieu fit tant que le diable Les gagna tous les deux. « Prends ! cria Dieu le père, Tu ne sauras qu'en faire ! » Le diable dit : « Erreur ! » Et, ricanant sous cape, Il fit de l'un un pape, De l'autre un empereur. Jersey, le 1<sup>er</sup> mars 1853.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Châtiments France ! à l'heure où tu te prosternes ', Le pied d'un tyran sur ton front, La voix sortira des cavernes ; Les enchaînés tressailleront. Le banni, debout sur la grève, Contemplant l'étoile et le flot, Comme ceux qu'on entend en rêve, Parlera dans l'ombre tout haut; Et ses paroles qui menacent, Ses paroles dont l'éclair luit. Seront comme des mains qui passent Tenant des glaives dans la nuit. Elles feront frémir les marbres Et les monts que brunit le soir, Et les chevelures des arbres Frissonneront sous le ciel noir; Elles seront l'airain qui sonne, Le cri qui chasse les corbeaux. Le souffle inconnu dont frissonne Le brin d'herbe sur les tombeaux; Elles crieront : Honte aux infâmes, Aux oppresseurs, aux meurtriers ! Elles appelleront les âmes Comme on appelle des guerriers ! Sur les races qui se transforment, Sombre orage, elles planeront ; Et si ceux qui vivent s'endorment. Ceux qui sont morts s'éveilleront.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Chose vue un jour de printemps Entendant des sanglots, je poussai cette porte. Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte. Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard. Sur le grabat gisait le cadavre hagard ; C'était déjà la tombe et déjà le fantôme. Pas de feu ; le plafond laissait passer le chaume. Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards. On voyait, comme une aube à travers des brouillards, Aux lèvres de la morte un sinistre sourire ; Et l'aîné, qui n'avait que six ans, semblait dire : « Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis ! » Un crime en cette chambre avait été commis. Ce crime, le voici : — Sous le ciel qui rayonne, Une femme est candide, intelligente, bonne ; Dieu, qui la suit d'en haut d'un regard attendri, La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari Un ouvrier ; tous deux, sans aigreur, sans envie, Tirent d'un pas égal le licou de la vie. Le choléra lui prend son mari ; la voilà Veuve avec la misère et quatre enfants qu'elle a. Alors, elle se met au labeur comme un homme. Elle est active, propre, attentive, économe ; Pas de drap à son lit, pas d'âtre à son foyer ; Elle ne se plaint pas, sert qui veut l'employer, Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille, Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille Pour nourrir ses enfants ; elle est honnête enfin. Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim. Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges, Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges, Les masques abondaient dans les bals, et partout Les baisers soulevaient la dentelle du loup ; Tout vivait ; les marchands comptaient de grosses sommes ; On entendait rouler les chars, rire les hommes ; Les wagons ébranlaient les plaines, le steamer Secouait son panache au-dessus de la mer ; Et, dans cette rumeur de joie et de lumière, Cette femme étant seule au fond de sa chaumière, La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs, Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs, Sans bruits, et l'avait prise à la gorge, et tuée. La faim, c'est le regard de la prostituée, C'est le bâton ferré du bandit, c'est la main Du pâle enfant volant un pain sur le chemin, C'est la fièvre du pauvre oublié, c'est le râle Du grabat naufragé dans l'ombre sépulcrale. ÔDieu ! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés, La terre est pleine d'herbe et de fruits et de blés, Dès que l'arbre a fini, le sillon recommence ; Et, pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence, Que la mouche connaît la feuille du sureau, Pendant que l'étang donne à boire au passereau, Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves, Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves, Fait manger le chacal, l'once et le basilic, L'homme expire ! — Oh ! la faim, c'est le crime public ; C'est l'immense assassin qui sort de nos ténèbres. Dieu ! pourquoi l'orphelin, dans ses langes funèbres, Dit-il : « J'ai faim ! » L'enfant, n'est-ce pas un oiseau ? Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau ? Avril 1840.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Clair de lune La lune était sereine et jouait sur les flots. — La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise, La sultane regarde, et la mer qui se brise, Là-bas, d’un flot d’argent brode les noirs îlots. De ses doigts en vibrant s’échappe la guitare. Elle écoute… Un bruit sourd frappe les sourds échos. Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos, Battant l’archipel grec de sa rame tartare ? Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour, Et coupent l’eau, qui roule en perles sur leur aile ? Est-ce un djinn qui là-haut siffle d’un voix grêle, Et jette dans la mer les créneaux de la tour ? Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? — Ni le noir cormoran, sur la vague bercé, Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé Du lourd vaisseau, rampant sur l’onde avec des rames. Ce sont des sacs pesants, d’où partent des sanglots. On verrait, en sondant la mer qui les promène, Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine… — La lune était sereine et jouait sur les flots. 2 septembre 1828

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Claire Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne ! O mère au coeur profond, mère, vous avez beau Laisser la porte ouverte afin qu’elle revienne, Cette pierre là-bas dans l’herbe est un tombeau ! La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ; Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t’envolas. Est-ce donc que là-haut dans l’ombre elles s’appellent, Qu’elles s’en vont ainsi l’une après l’autre, hélas ? Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse, Que ta mère jadis berçait de sa chanson, Qui d’abord la charmas avec ta petitesse Et plus tard lui remplis de clarté l’horizon, Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise ! Voilà que tu n’es plus, ayant à peine été ! L’astre attire le lys, et te voilà reprise, O vierge, par l’azur, cette virginité ! Te voilà remontée au firmament sublime, Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois, Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l’abîme Des rayons, des amours, des parfums et des voix ! Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuit noire. Nous voyons seulement, comme pour nous bénir, Errer dans notre ciel et dans notre mémoire Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir ! Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ? Marchant sur notre monde à pas silencieux, De tous les idéals tu composais ton âme, Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux ! En te voyant si calme et toute lumineuse, Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien. Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse , Et, comme Ruth l’épi, tu ramassais le bien. La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce, L’aurore sa candeur, et les champs leur bonté ; Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe, Toute cette douceur dans toute ta beauté ! Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose Que la forme qui sort des cieux éblouissants ; Et de tous les rosiers elle semblait la rose, Et de tous les amours elle semblait l’encens. Ceux qui n’ont pas connu cette charmante fille Ne peuvent pas savoir ce qu’était ce regard Transparent comme l’eau qui s’égaie et qui brille Quand l’étoile surgit sur l’océan hagard. Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ; Chantant à demi-voix son chant d’illusion, Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne De vague et de lointain comme la vision. On sentait qu’elle avait peu de temps sur la terre, Qu’elle n’apparaissait que pour s’évanouir, Et qu’elle acceptait peu sa vie involontaire ; Et la tombe semblait par moments l’éblouir. Elle a passé dans l’ombre où l’homme se résigne ; Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit, Belle, candide, ainsi qu’une plume de cygne Qui reste blanche, même en traversant la nuit ! Elle s’en est allée à l’aube qui se lève, Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu, Bouche qui n’a connu que le baiser du rêve, Ame qui n’a dormi que dans le lit de Dieu ! Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes, Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés, Regardant à jamais dans les ténèbres mornes La disparition des êtres adorés ! Croire qu’ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse. Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous, Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse Ces fantômes charmants que nous croyons à nous. Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ; Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur, Et derrière eux, et sans que leur candeur s’en doute, Leurs ailes font parfois de l’ombre sur le mur. Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ; Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux, Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. – O mère, ce sont là les anges, voyez-vous ! C’est une volonté du sort, pour nous sévère, Qu’ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ; Et qu’avant d’avoir mis leur lèvre à notre verre, Avant d’avoir rien fait et d’avoir rien souffert, Ils partent radieux ; et qu’ignorant l’envie, L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, la douleur, Tous ces êtres bénis s’envolent de la vie A l’âge où la prunelle innocente est en fleur ! Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres, Nous devons travailler, attendre, préparer ; Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d’autres ; Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer. Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui ne se pose Qu’un instant, le soupir qui vole, avril vermeil Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil ! Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l’âme Pour notre chair coupable et pour notre destin ; Ils ont, êtres rêveurs qu’un autre azur réclame, Je ne sais quelle soif de mourir le matin ! Ils sont l’étoile d’or se couchant dans l’aurore, Mourant pour nous, naissant pour l’autre firmament ; Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore, Continue, au delà, l’épanouissement ! Oui, mère, ce sont là les élus du mystère, Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs, A qui Dieu n’a permis que d’effleurer la terre Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs. Comme l’ange à Jacob, comme Jésus à Pierre, Ils viennent jusqu’à nous qui loin d’eux étouffons, Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sa paupière La sereine clarté des paradis profonds. Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies, Pansé notre douleur, azuré nos raisons, Et fait luire un moment l’aube à travers nos claies, Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons, Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes, Et, pour lui faire voir quel est notre chemin, Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes, S’en vont avec un peu de terre dans la main. Ils s’en vont ; c’est tantôt l’éclair qui les emporte, Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus. Alors, nous, pâles, froids, l’oeil fixé sur la porte, Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sont plus. Nous disons : – A quoi bon l’âtre sans étincelles ? A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ? A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ? Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendront pas ? – Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres. Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit, Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit. Car ils sont revenus, et c’est là le mystère ; Nous entendons quelqu’un flotter, un souffle errer, Des robes effleurer notre seuil solitaire, Et cela fait alors que nous pouvons pleurer. Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ; Nous sentons, lorsqu’ayant la lassitude en nous, Nous nous levons après quelque prière sombre, Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux. Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre : « Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour ! « M’entends-tu ? je suis là, je reste pour t’attendre « Sur l’échelon d’en bas de l’échelle d’amour. « Je t’attends pour pouvoir nous en aller ensemble. « Cette vie est amère, et tu vas en sortir. « Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble. « Tu redeviendras ange ayant été martyr. » Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c’est naître. Quand verrons-nous, ainsi qu’un idéal flambeau, La douce étoile mort, rayonnante, apparaître A ce noir horizon qu’on nomme le tombeau ? Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes ! Où sont les enfants morts et les printemps enfuis, Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes, Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ? Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames, Les aimés, les absents, les êtres purs et doux, Les baisers des esprits et les regards des âmes, Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ? Quand nous en irons-nous où sont l’aube et la foudre ? Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor, Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre, Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d’or ? Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie Où les hymnes vivants sont des anges voilés, Où l’on voit, à travers l’azur de l’harmonie, La strophe bleue errer sur les luths étoilés ? Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ? Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel, Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l’ombre, Sous l’éblouissement du regard éternel ?

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Confiance Ami, tu me dis : « Joie extrême ! Donc, ce matin, comblant ton voeu, Rougissante, elle a dit : Je t'aime ! Devant l'aube, cet autre aveu. Ta victoire, tu la dévoiles. On t'aime, ô Léandre, ô Saint-Preux, Et te voilà dans les étoiles, Sans parachute, malheureux ! » Et tu souris. Mais que m'importe ! Ton sourire est un envieux. Sois gai ; moi, ma tristesse est morte. Rire c'est bien, aimer c'est mieux. Tu me croyais plus fort en thème, N'est-ce pas ? tu te figurais Que je te dirais : Elle m'aime, Défions-nous, et buvons frais. Point. J'ai des manières étranges ; On fait mon bonheur, j'y consens ; Je vois là-haut passer des anges Et je me mêle à ces passants. Je suis ingénu comme Homère, Quand cet aveugle aux chants bénis Adorait la mouche éphémère Qui sort des joncs de l'Hypanis. J'ai la foi. Mon esprit facile Dès le premier jour constata Dans la Sologne une Sicile, Une Aréthuse en Rosita. Je ne vois point dans une femme Un filou, par l'ombre enhardi. Je ne crois pas qu'on prenne une âme Comme on vole un maravedi. La supposer fausse, et plâtrée, Non, justes dieux ! je suis épris. Je ne commence point l'entrée Au paradis, par le mépris. Je lui donne un coeur sans lui dire : Rends-moi la monnaie ! - Et je crois À sa pudeur, à mon délire, Au bleu du ciel, aux fleurs des bois. J'entre en des sphères idéales Sans fredonner le vieux pont-neuf De Villon aux piliers des Halles Et de Fronsac à l'Oeil-de-Boeuf. Je m'enivre des harmonies Qui, de l'azur, à chaque pas, M'arrivent, claires, infinies, Joyeuses, et je ne crois pas Que l'amour trompe nos attentes, Qu'un bien-aimé soit un martyr, Et que toutes ces voix chantantes Descendent du ciel pour mentir. Je suis rempli d'une musique ; Je ne sens point, dans mes halliers, La désillusion classique Des vieillards et des écoliers. J'écoute en moi l'hymne suprême De mille instruments triomphaux Qui tous répètent qu'elle m'aime, Et dont pas un ne chante faux. Oui, je t'adore ! oui, tu m'adores ! C'est à ces mots-là que sont dus Tous ces vagues clairons sonores Dans un bruit de songe entendus. Et, dans les grands bois qui m'entourent, Je vois danser, d'un air vainqueur, Les cupidons, gamins qui courent Dans la fanfare du coeur.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Conseil Rien encore n'a germé de vos rameaux flottants Sur notre jeune terre où, depuis quarante ans, Tant d'âmes se sont échouées, Doctrines aux fruits d'or, espoir des nations, Que la hâtive main des révolutions Sur nos têtes a secouées ! Nous attendons toujours ! Seigneur, prenez pitié Des peuples qui, toujours satisfaits à moitié, Vont d'espérance en espérance ; Et montrez-nous enfin l'homme de votre choix Parmi tous ces tribuns et parmi tous ces rois Que vous essayez à la France ! Qui peut se croire fort, puissant et souverain ? Qui peut dire en scellant des barrières d'airain : Jamais vous ne serez franchies ! Dans ce siècle de bruit, de gloire et de revers, Où les roseaux penchés au bord des étangs verts Durent plus que les monarchies ! Rois ! la bure est souvent jalouse du velours. Le peuple a froid l'hiver, le peuple a faim toujours. Rendez-lui son sort plus facile. Le peuple souvent porte un bien rude collier. Ouvrez l'école aux fils, aux pères l'atelier, À tous vos bras, auguste asile ! Par la bonté des rois rendez les peuples bons. Sous d'étranges malheurs souvent nous nous courbons. Songez que Dieu seul est le maître. Un bienfait par quelqu'un est toujours ramassé. Songez-y, rois minés sur qui pèse un passé Gros du même avenir peut-être ! Donnez à tous. Peut-être un jour tous vous rendront ! Donnez, — on ne sait pas quels épis germeront Dans notre siècle autour des trônes ! – De la main droite aux bons, de la gauche aux méchants ! Comme le laboureur sème sa graine aux champs, Ensemencez les cœurs d'aumônes ! Ô rois ! le pain qu'on porte au vieillard desséché, La pauvre adolescente enlevée au marché, Le bienfait souriant, toujours prêt à toute heure, Qui vient, riche et voilé, partout où quelqu'un pleure, Le cri reconnaissant d'une mère à genoux, L'enfant sauvé qui lève, entre le peuple et vous, Ses deux petites mains sincères et joyeuses, Sont la meilleure digue aux foules furieuses. Hélas ! je vous le dis, ne vous endormez pas Tandis que l'avenir s'amoncelle là-bas ! Il arrive parfois, dans le siècle où nous sommes, Qu'un grand vent tout à coup soulève à flots les hommes ; Vent de malheur, formé, comme tous les autans, De souffles quelque part comprimés trop longtemps ; Vent qui de tout foyer disperse la fumée ; Dont s'attise l'idée à cette heure allumée ; Qui passe sur tout homme, et, torche ou flot amer, Le fait étinceler ou le fait écumer ; Ebranle tout digue et toute citadelle ; Dans la société met à nu d'un coup d'aile Des sommets jusqu'alors par des brumes voilés, Des gouffres ténébreux ou des coins étoilés ; Vent fatal qui confond les meilleurs et les pires, Arrache mainte tuile au vieux toit des empires, Et prenant dans l'état, en haut, en bas, partout, Tout esprit qui dérive et toute âme qui bout, Tous ceux dont un zéphyr fait remuer les têtes, Tout ce qui devient onde à l'heure des tempêtes, Amoncelant dans l'ombre et chassant à la fois Ces flots, ces bruits, ce peuple, et ces pas et ces voix, Et ces groupes sans forme et ces rumeurs sans nombre, Pousse tout cet orage au seuil d'un palais sombre ! Palais sombre en effet, et plongé dans la nuit ! D'où les illusions s'envolent à grand bruit, Quelques-unes en pleurs, d'autres qu'on entend rire ! C'en est fait. L'heure vient, le voile se déchire, Adieu les songes d'or ! On se réveille, on voit Un spectre aux mains de chair qui vous touche du doigt. C'est la réalité ! qu'on sent là, qui vous pèse. On rêvait Charlemagne, on pense à Louis seize ! Heure grande et terrible où, doutant des canons, La royauté, nommant ses amis par leurs noms, Recueillant tous les bruits que la tempête apporte, Attend, l'œil à la vitre et l'oreille à la porte ! Où l'on voit dans un coin, ses filles dans ses bras, La reine qui pâlit, pauvre étrangère, hélas ! Où les petits enfants des familles royales De quelque vieux soldat pressent les mains loyales, Et demandent, avec des sanglots superflus, Aux valets, qui déjà ne leur répondent plus, D'où viennent ces rumeurs, ces terreurs, ce mystère, Et les ébranlements de cette affreuse terre Qu'ils sentent remuer comme la mer aux vents, Et qui ne tremble pas sous les autres enfants ! Hélas ! vous crénelez vos mornes Tuileries, Vous encombrez les ponts de vos artilleries, Vous gardez chaque rue avec un régiment, À quoi bon ? à quoi bon ? De moment en moment La tourbe s'épaissit, grosse et désespérée Et terrible, et qu'importe, à l'heure où leur marée Sort et monte en hurlant du fond du gouffre amer, La mitraille à la foule et la grêle à la mer ! Ô redoutable époque ! et quels temps que les nôtres ! Où, rien qu'en se serrant les uns contre les autres, Les hommes dans leurs plis écrasent tours, châteaux, Donjons que les captifs rayaient de leurs couteaux, Créneaux, portes d'airain comme un carton ployées, Et sur leurs boulevards vainement appuyées Les pâles garnisons, et les canons de fer Broyés avec le mur comme l'os dans la chair ! Comment se défendra ce roi qu'un peuple assiège ? Plus léger sur ce flot que sur l'onde un vain liège, Plus vacillant que l'ombre aux approches du soir, Ecoutant sans entendre et regardant sans voir, Il est là qui frissonne, impuissant, infertile, Sa main tremble, et sa tête est un crible inutile, Hélas ! hélas ! les rois en ont seuls de pareils ! Qui laisse tout passer, hors les mauvais conseils ! Que servent maintenant ces sabres, ces épées, Ces lignes de soldats par des caissons coupées, Ces bivouacs, allumés dans les jardins profonds, Dont la lueur sinistre empourpre ses plafonds, Ce général choisi, qui déjà, vaine garde, Sent peut-être à son front sourdre une autre cocarde, Et tous ces cuirassiers, soldats vieux ou nouveaux, Qui plantent dans la cour des pieux pour leurs chevaux ? Que sert la grille close et la mèche allumée ? Il faudrait une tête, et tu n'as qu'une armée ! Que faire de ce peuple à l'immense roulis, Mer qui traîne du moins une idée en ses plis, Vaste inondation d'hommes, d'enfants, de femmes, Flots qui tous ont des yeux, vagues qui sont des âmes ? Malheur alors ! O Dieu ! faut-il que nous voyions Le côté monstrueux des révolutions ! Qui peut dompter la mer ? Seigneur ! qui peut répondre Des ondes de Paris et des vagues de Londres, Surtout lorsque la ville, ameutée aux tambours Sent ramper dans ses flots l'hydre de ses faubourgs ! Dans ce palais fatal où l'empire s'écroule, Dont la porte bientôt va ployer sous la foule, Où l'on parle tout bas de passages secrets, Où le roi sent déjà qu'on le sert de moins près, Où la mère en tremblant rit à l'enfant qui pleure, Ô mon Dieu ! que va-t-il se passer tout à l'heure ? Comment vont-ils jouer avec ce nid de rois ? Pourquoi faut-il qu'aux jours où le pauvre aux abois Sent sa haine des grands de ce qu'il souffre accrue, Notre faute ou la leur le lâchent dans la rue ? Temps de deuil où l'émeute en fureur sort de tout ! Où le peuple devient difforme tout à coup ! Malheur donc ! c'est fini. Plus de barrière au trône ! Mais Dieu garde un trésor à qui lui fit l'aumône. Si le prince a laissé, dans des temps moins changeants, L'empreinte de ses pas à des seuils indigents, Si des bienfaits cachés il fut parfois complice, S'il a souvent dit : grâce ! où la loi dit : supplice ! Ne désespérez pas. Le peuple aux mauvais jours A pu tout oublier, Dieu se souvient toujours ! Souvent un cri du cœur sorti d'une humble bouche Désarme, impérieux, une foule farouche Qui tenait une proie en ses poings triomphants. Les mères aux lions font rendre les enfants ! Oh ! dans cet instant même où le naufrage gronde, Où l'on sent qu'un boulet ne peut rien contre une onde, Où, liquide et fangeuse et pleine de courroux, La populace à l'œil stupide, aux cheveux roux, Aboyant sur le seuil comme un chien pour qu'on ouvre, Arrive, éclaboussant les chapiteaux du Louvre, Océan qui n'a pas d'heure pour son reflux ! Au moment où l'on voit que rien n'arrête plus Ce flot toujours grossi, que chaque instant apporte, Qui veut monter, qui hurle et qui mouille la porte,... C'est un spectacle auguste et que j'ai vu déjà Souvent, quand mon regard dans l'histoire plongea, Qu'une bonne action, cachée en un coin sombre, Qui sort subitement toute blanche de l'ombre, Et comme autrefois Dieu qu'elle prend à témoin, Dit au peuple écumant : Tu n'iras pas plus loin ! Le 28 décembre 1834.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Cri de guerre du mufti En guerre les guerriers ! Mahomet ! Mahomet ! Les chiens mordent les pieds du lion qui dormait, Ils relèvent leur tête infâme. Ecrasez, ô croyants du prophète divin, Ces chancelants soldats qui s'enivrent de vin, Ces hommes qui n'ont qu'une femme ! Meure la race franque et ses rois détestés ! Spahis, timariots, allez, courez, jetez A travers les sombres mêlées Vos sabres, vos turbans, le bruit de votre cor. Vos tranchants étriers, larges triangles d'or, Vos cavales échevelées ! Qu'Othman, fils d'Ortogrul, vive en chacun de vous. Que l'un ait son regard et l'autre son courroux. Allez, allez, ô capitaines ! Et nous te reprendrons, ville aux dômes d'or pur, Molle Setiniah, qu'en leur langage impur Les barabares nomment Athènes ! Le 21 octobre 1828.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Crépuscule L’étang mystérieux, suaire aux blanches moires, Frisonne; au fond du bois la clairière apparaît ; Les arbres sont profonds et les branches sont noires ; Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ? Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ? Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants ? Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines; L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants. Que dit-il, le brin d’herbe ? et que répond la tombe ? Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs. Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe; Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs. Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez ! faites envie, O couples qui passez sous le vert coudrier. Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie, On emporta d’amour, on l’emploie à prier. Les mortes d’aujourd’hui furent jadis les belles. Le ver luisant dans l’ombre erre avec son flambeau. Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles, Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau. La forme d’un toit noir dessine une chaumière; On entend dans les prés le pas lourd du faucheur; L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur de lumière, Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur. Aimez-vous ! c’est le mois où les fraises sont mûres. L’ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents, Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures, Les prières des morts aux baisers des vivants.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Célébration du 14 juillet dans la forêt Qu’il est joyeux aujourd’hui, Le chêne aux rameaux sans nombre, Mystérieux point d’appui De toute la forêt sombre ! Comme quand nous triomphons, Il frémit, l’arbre civique ; Il répand à plis profonds Sa grande ombre magnifique. D’où lui vient cette gaîté ? D’où vient qu’il vibre et se dresse, Et semble faire à l’été Une plus fière caresse ? C’est le quatorze juillet. À pareil jour, sur la terre La liberté s’éveillait Et riait dans le tonnerre. Peuple, à pareil jour râlait Le passé, ce noir pirate ; Paris prenait au collet La Bastille scélérate. À pareil jour, un décret Chassait la nuit de la France, Et l’infini s’éclairait Du côté de l’espérance. Tous les ans, à pareil jour, Le chêne au Dieu qui nous crée Envoie un frisson d’amour. Et rit à l’aube sacrée. Il se souvient, tout joyeux, Comme on lui prenait ses branches ! L’âme humaine dans les cieux, Fière, ouvrait ses ailes blanches. Car le vieux chêne est gaulois ; Il hait la nuit et le cloître ; Il ne sait pas d’autres lois Que d’être grand et de croître. Il est grec, il est romain ; Sa cime monte, âpre et noire, Au-dessus du genre humain Dans une lueur de gloire. Sa feuille, chère aux soldats, Va, sans peur et sans reproche, Du front d’Épaminondas À l’uniforme de Hoche. Il est le vieillard des bois ; Il a, richesse de l’âge, Dans sa racine Autrefois, Et Demain dans son feuillage. Les rayons, les vents, les eaux, Tremblent dans toutes ses fibres ; Comme il a besoin d’oiseaux, Il aime les peuples libres. C’est son jour. Il est content. C’est l’immense anniversaire. Paris était haletant, La lumière était sincère. Au loin roulait le tambour… — Jour béni ! jour populaire, Où l’on vit un chant d’amour Sortir d’un cri de colère ! Il tressaille, aux vents bercé, Colosse où dans l’ombre austère L’avenir et le passé Mêlent leur double mystère. Les éclipses, s’il en est, Ce vieux naïf les ignore. Il sait que tout ce qui naît, L’œuf muet, le vent sonore, Le nid rempli de bonheur, La fleur sortant des décombres, Est la parole d’honneur Que Dieu donne aux vivants sombres. Il sait, calme et souriant, Sérénité formidable ! Qu’un peuple est un orient, Et que l’astre est imperdable. Il me salue en passant, L’arbre auguste et centenaire ; Et dans le bois innocent Qui chante et que je vénère, Étalant mille couleurs, Autour du chêne superbe Toutes les petites fleurs Font leur toilette dans l’herbe. L’aurore aux pavots dormants Verse sa coupe enchantée ; Le lys met ses diamants ; La rose est décolletée. Par-dessus les thyms fleuris La violette regarde ; Un encens sort de l’iris ; L’œillet semble une cocarde. Aux chenilles de velours Le jasmin tend ses aiguières ; L’arum conte ses amours, Et la garance ses guerres. Le moineau franc, gai, taquin, Dans le houx qui se pavoise, D’un refrain républicain Orne sa chanson grivoise. L’ajonc rit près du chemin ; Tous les buissons des ravines Ont leur bouquet à la main ; L’air est plein de voix divines. Et ce doux monde charmant, Heureux sous le ciel prospère, Épanoui, dit gaîment : C’est la fête du grand-père.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Dans la forêt De quoi parlait le vent ? De quoi tremblaient les branches ? Était-ce, en ce doux mois des nids et des pervenches, Parce que les oiseaux couraient dans les glaïeuls, Ou parce qu’elle et moi nous étions là tout seuls ? Elle hésitait. Pourquoi ? Soleil, azur, rosées, Aurore ! Nous tâchions d’aller, pleins de pensées, Elle vers la campagne et moi vers la forêt. Chacun de son côté tirait l’autre, et, discret, Je la suivais d’abord, puis, à son tour docile, Elle venait, ainsi qu’autrefois en Sicile Faisaient Flore et Moschus, Théocrite et Lydé. Comme elle ne m’avait jamais rien accordé, Je riais, car le mieux c’est de tâcher de rire Lorsqu’on veut prendre une âme et qu’on ne sait que dire ; J’étais le plus heureux des hommes, je souffrais. Que la mousse est épaisse au fond des antres frais ! Par instants un éclair jaillissait de notre âme ; Elle balbutiait : Monsieur… et moi : Madame. Et nous restions pensifs, muets, vaincus, vainqueurs, Après cette clarté faite dans nos deux coeurs. Une source disait des choses sous un saule ; Je n’avais encor vu qu’un peu de son épaule, Je ne sais plus comment et je ne sais plus où ; Oh ! le profond printemps, comme cela rend fou ! L’audace des moineaux sous les feuilles obscures, Les papillons, l’abeille en quête, les piqûres, Les soupirs, ressemblaient à de vagues essais, Et j’avais peur, sentant que je m’enhardissais. Il est certain que c’est une action étrange D’errer dans l’ombre au point de cesser d’être un ange, Et que l’herbe était douce, et qu’il est fabuleux D’oser presser le bras d’une femme aux yeux bleus. Nous nous sentions glisser vaguement sur la pente De l’idylle où l’amour traître et divin serpente, Et qui mène, à travers on ne sait quel jardin, Souvent à l’enfer, mais en passant par l’éden. Le printemps laisse faire, il permet, rien ne bouge. Nous marchions, elle était rose, et devenait rouge, Et je ne savais rien, tremblant de mon succès, Sinon qu’elle pensait à ce que je pensais. Pâle, je prononçais des noms, Béatrix, Dante ; Sa guimpe s’entrouvrait, et ma prunelle ardente Brillait, car l’amoureux contient un curieux. Viens ! dis-je… – Et pourquoi pas, ô bois mystérieux ? 3 avril 1874

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    De la femme au ciel L'âme a des étapes profondes. On se laisse d'abord charmer, Puis convaincre. Ce sont deux mondes. Comprendre est au-delà d'aimer. Aimer, comprendre : c'est le faîte. Le Coeur, cet oiseau du vallon, Sur le premier degré s'arrête ; L'Esprit vole à l'autre échelon. À l'amant succède l'archange ; Le baiser, puis le firmament ; Le point d'obscurité se change En un point de rayonnement. Mets de l'amour sur cette terre Dans les vains brins d'herbe flottants. Cette herbe devient, ô mystère ! Le nid sombre au fond du printemps. Ajoute, en écartant son voile, De la lumière au nid béni. Et le nid deviendra l'étoile Dans la forêt de l'infini.

    en cours de vérification