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Le temps qui passe

146 poésies en cours de vérification
Le temps qui passe

Poésies de la collection le temps qui passe

    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Mes pieds touchent-ils le pré ? Mes pieds touchent-ils le pré ? Une hirondelle s’envole. Ah ! comme le jour doré Pèse peu sur mes épaules ; Comme il pâlit et se fond Dans la brume de la lune Et m’entraîne et me confond Avec la ramure brune.

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    D

    Dominique Blanchemain

    @dominiqueBlanchemain

    Désespérance Un bol sur une table Un bol Plein de lui-même Débordant de café Fumant Sa désolation Et à côté La cuillère Pauvre Servante abandonnée Là marquant le temps Et l’horloge qui bat Qui frappe Qui hennit le vieillissement Et l’homme Las Attendant la sentence La tête dans les mains Les doigts dans la tête Les ongles ravageant ses pensées Et les coudes Les coudes fléchissants sur la table Cette table d’où se ferment les portes Portes d’amours Portes d’espoirs Et l’homme Là Claquant d’effroi Sous le martèlement De la désespérance

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    E

    Eleni Cay

    @eleniCay

    La maison c’est des mains Les jours tombent, l’un après l’autre, telles des gouttelettes d’une pluie chaude. Un vent insolent tourne des pages de ton livre jusqu’à ce que tu oublies tout. Tout. Tout ce qui t’était cher et précieux. Sur une plage, on voit une vague remuer du sable, le lisser. D’un moment à un autre, la vie te revient en pensée. Tu ne te souviens de presque rien, c’est tellement effrayant… Des billes en verre témoignent de tout : comme au tribunal. Oh, mon Dieu, dis-moi, qu’est-ce qui a été oublié et qu’est-ce qui le sera encore ? Ne te soucie de rien, tout finira bien. Il y a des moments rares comme de la nacre des coquillages. Le temps et l’océan ne rattrapperont plus ces moments, car trop loin sur la côte, ils s’étaient enfuis. Ces moments-là avaient l’odeur d’un tabac amer, et uniques – comme les mains de nos mères, ils te porteraient, jusqu’aux étoiles. Eleni Cay, Frémissements d’un papillon en ère numérique, 2015

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Le péché Sur sa butte que le vent gifle, Il tourne et fauche et ronfle et siffle Le vieux moulin des péchés vieux Et des forfaits astucieux. Il geint des pieds jusqu’à la tête, Sur fond d’orage et de tempête, Lorsque l’automne et les nuages Frôlent son toit de leurs voyages. L’hiver, quand la campagne est éborgnée, Il apparaît une araignée Colossale, tissant ses toiles Jusqu’aux étoiles. C’est le moulin des vieux péchés. Qui l’écoute, parmi les routes, Entend battre le cœur du diable, Dans sa carcasse insatiable. Un travail d’ombre et de ténèbres S’y fait, pendant les nuits funèbres, Quand la lune fendue Gît-là, sur le carreau de l’eau, Comme une hostie atrocement mordue. C’est le moulin de la ruine Qui moud le mal et le répand aux champs, Infini, comme une bruine. Ceux qui sournoisement écornent Le champ voisin en déplaçant les bornes ; Ceux qui, valets d’autrui, sèment l’ivraie Au lieu de l’orge vraie ; Ceux qui jettent les poisons clairs dans l’eau Où l’on amène le troupeau ; Ceux qui, par les nuits seules, En brasiers d’or font éclater les meules, Tous passèrent par le moulin Encore : Les conjureurs de sorts et les sorcières Que vont trouver les filles-mères ; Ceux qui cachent dans les fourrés Leurs ruts et leurs spasmes vociférés ; Ceux qui n’aiment la chair que si le sang Gicle aux yeux, frais et luisant ; Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges, Volets fermés, au fond des bouges ; Ceux qui flairent l’espace Avec, entre leurs poings, la mort pour tel qui passe, Tous passèrent par le moulin. Aussi Les vagabonds qui habitent des fosses Avec leurs filles qu’ils engrossent ; Les fous qui choisissent des bêtes Pour assouvir leur rut et ses tempêtes ; Les mendiants qui déterrent les mortes Rageusement et les emportent ; Les couples noirs, pervers et vieux, Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ; Tous passèrent par le moulin. Enfin : Ceux qui font de leur cœur l’usine, Où fermente l’envie et cuve la lésine ; Ceux qui dorment, sans autre vœu, Avec leurs sous, comme avec Dieu ; Ceux qui projettent leurs prières, Croix à rebours et paroles contraires ; Ceux qui cherchent un tel blasphème Que descendrait vers eux Satan lui-même ; Tous passèrent par le moulin. Ils sont venus sournoisement, Choisissant l’heure et le moment, Les uns lents et chenus Et les autres mâles et fermes. Avec le sac au dos. Ils sont venus des bourgs perdus Gagnant les bois, tournant les fermes, Les vieux, carcasses d’os, Mais les jeunes, drapeaux de force. Par des chemins rugueux comme une écorce, Ils sont montés — et quand ils sont redescendus, Avec leurs chiens et leurs brouettes Et leurs ânes et leurs charrettes, Chargés de farine ou de grain, Par groupes noirs de pèlerins, Les grand’routes charriaient toutes, Infiniment, comme des veines, Le sang du mal parmi les plaines. Et le moulin tournait au fond des soirs, La croix grande de ses bras noirs, Avec des feux, comme des yeux, Dans l’orbite de ses lucarnes Dont les rayons gagnaient les loins. Parfois, s’illuminaient des coins, Là-bas, dans la campagne morne Et l’on voyait les porteurs gourds, Ployant au faix des péchés lourds, Hagards et las, buter de borne en borne. Et le moulin ardent, Sur sa butte, comme une dent, Alors, mêlait et accordait Son giroiement de voiles Au rythme même des étoiles Qui tournoyaient, par les nuits seules. Fatalement, comme ses meules.

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Éphémérides Le temps d’un cri C’est le temps qui commence Le temps d’un rire Et se passe l’enfance Le temps d’aimer Ce que dure l’été Le temps d’après Déjà time is money Le temps trop plein Et plus le temps de rien Le temps d’automne Il est là. Long d’une aune Le temps en gris Tout de regrets bâti Le temps d’hiver Faut le temps de s’y faire Et trois p’tits tours C’est le compte à rebours

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    J’ai connu tant de ciels J’ai connu tant de ciels Et de terres de hasard Pour gens de toutes parts Venus on ne sait d’où Et ne t’ai point trouvée J’ai suivi les chemins Des chiens et des gamins Sortis de nulle part Et qui vont n’importe où Et ne t’ai point trouvée Et j’ai chanté le vin Les chagrins les refrains Qui sont nés autre part Et qu’on entend partout Et ne t’ai point trouvée J’ai connu tant de filles Les douces et les aigries Les rondes les aplaties Les vives et les bornées Et ne t’ai point trouvée Et j’ai bu le nectar Et j’ai usé l’espoir Des partout des nulle part Qui se moquent de vous Et ne t’ai point trouvée

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    La fenêtre Alors le thé a refroidi. Elle attendait à sa fenêtre. Viendra-t-il encore aujourd’hui ? La chambre de vide s’est remplie. Alors les heures se sont enfuies. Elle ne bougeait de sa fenêtre. Il ne viendra plus aujourd’hui. La chambre de noir s’est remplie. Alors les jours se sont enfuis. Elle ne quittait la fenêtre. S’il venait pourtant aujourd’hui ? Tous les lendemains sont promis… Alors les mois se sont enfuis. Elle restait là… À la fenêtre. Demain sera comme aujourd’hui… La chambre de froid s’est remplie. Alors les ans se sont enfuis. Elle attendait. À sa fenêtre.

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Le bonheur Dans le château de mon enfance Fait de nuages et d’espérance Dans ce taudis où je suis né Où j’ai eu faim sans murmurer Où s’engouffraient les vents mauvais Et s’étirait l’aube glacée Où les jours étaient des années Je possédais sans le savoir Encore l’immense don de croire Que le bonheur est quelque part Dans la chambre de ma jeunesse Remplie d’amour et de promesses De mes idées de mes projets De mes vieux disques ébréchés Et de poèmes inachevés Et de mes phrases grandiloquentes Et de mon génie en attente Dans le printemps de mon ardeur Je chérissais au fond du cœur L’espoir d’un immense bonheur Dans ma maison d’homme de bien Dans l’acajou et le satin Qu’on peut caresser de la main Et se dire tout cela est mien Dans mes trésors accumulés Dans ma fonction parachevée Dans mes revenus bien placés Et dans le temps qui s’est enfui Je cherche encore jusqu’aujourd’hui Un bonheur qui s’est rétréci Dans la maison de ma vieillesse Dans ma demeure aux nombreuses pièces Seul un petit coin me suffit Alors errant dans mes lambris Je voudrais jeter aux cochons Les perles de ma distinction Les fers forgés les bois taillés Les peintures sur toile étalées Et faire fleurir encore une fois Ce bonheur qui n’est plus déjà Qu’un blanc fossile comme moi.

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Le défilé Ils vont et viennent à n’en finir. Le revoilà le défilé de souvenirs, bons et mauvais, ou mornes ou tristes, ou qui font rire. On est seul avec son passé. Tous ces souvenirs sont en fête. Ils tiennent le haut du pavé. Et toujours prêts à grimacer, ils font de vous ce que vous êtes. On est seul avec son passé. Il en est qu’on enfouirait dans la pénombre des années. Il en est qu’on ne sortirait que pour leur faire un pied de nez. On est seul avec son passé. Il en est qui se chanteraient. Ils sont écrins pleins de lumière. Ils sont bouées, ils sont repères. Qu’il est doux de s’y accrocher ! On est seul avec son passé.

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Les guérisons parfois Elan qui s’anémie et en catimini usure d’un ressort… L’enthousiasme est mort… En moi soudain le drame… Car quand s’éteint la flamme et que sombre un trésor et s’achève la fête et qu’ainsi place nette… dedans le coeur et l’âme les guérisons parfois, les guérisons sont tristes… Le sable coule entre mes doigts. Pourquoi cette heure qui persiste ? Est mort l’enthousiasme. S’étire un dernier spasme. Tout désarroi en cage. Inchangée mon image. Trépas d’un feu sacré (Il fut chapitre, pages) Et cendres dispersées… Je demeure… temps défait… Mais sans air de douleur, en mon âme, en mon coeur, les guérisons parfois, les guérisons sont tristes… Le sable coule entre mes doigts. Pourquoi cette heure qui persiste ?

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Ne te retourne pas Sur le chemin où tu chemines jour après jour, face au levant, musardant ou ployant l’échine, et parfois aux heures divines cueillant la fleur et contemplant, l’oeil attendri, dans l’écrin de tes paumes unies des étamines et des corolles aux lignes rares, ou sages, ou folles, sur ce chemin de tous les temps, pour qu’en tes mains ouvertes en bol où tu regardes en t’émouvant ne se faufile, s’interposant, l’image aux traits si dégrisants des lendemains de fleurs d’antan, ne te retourne pas Sur le chemin qui se déroule de par ton pas poussant ton pas flanqué d’écarts un peu mabouls dont tu te soûles dès qu’ils sont parés d’une aura, sur ce chemin où tu louvoies à ton gré ou contre la houle entre deux murs longeant ta voie, sortes d’invisibles parois tel un couloir à ciel ouvert (bâbord, tribord semblant offerts) sur ce chemin qui se déploie, toi qui te crois libre et le clames, fier d’un zigzag baptisé « choix » et que tu choies comme on se came, si tu ne te veux peine en l’âme, ne te retourne pas.

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Saisir l’instant Saisir l’instant tel une fleur Qu’on insère entre deux feuillets Et rien n’existe avant après Dans la suite infinie des heures. Saisir l’instant. Saisir l’instant. S’y réfugier. Et s’en repaître. En rêver. À cette épave s’accrocher. Le mettre à l’éternel présent. Saisir l’instant. Saisir l’instant. Construire un monde. Se répéter que lui seul compte Et que le reste est complément. S’en nourrir inlassablement. Saisir l’instant. Saisir l’instant tel un bouquet Et de sa fraîcheur s’imprégner. Et de ses couleurs se gaver. Ah ! combien riche alors j’étais ! Saisir l’instant. Saisir l’instant à peine né Et le bercer comme un enfant. A quel moment ai-je cessé ? Pourquoi ne puis-je… ?

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    F

    Francis Etienne Sicard

    @francisEtienneSicard

    Cénotaphe Sous le portique ancien d’un grand temple oriental Repose l’or du temps et son précieux visage Entre les pampres roux d’une vigne sauvage, Dont les mèches de feu exhalent le santal. Le sable des allées et son miroir fatal Dévorent les années et leurs milliers d’images D’une faim attisée par les baisers volages Des alizés grisés au souffle du cristal. Le damas bleu du ciel, brodé de rêveries, Couvre les marbres bruts d’une guimpe de soie Dont le soleil brûlant habille l’infini. Car les dieux sont partis habiter d’autres îles, Abandonnant ce lieu qu’un grand prêtre autrefois Leur avait consacré comme terre d’asile.

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    F

    Francis Etienne Sicard

    @francisEtienneSicard

    Fata temporum A l’écheveau des jours, il attache la nuit, En ourlant le matin d’un galon de lumière, Puis coule lentement le long des cimetières Vers un soir dont il éteint la flamme, à son huis. Aiguisé à ses griffes, son silence enfouit Tous les secrets chassés, à grands coups d’étrivières, De la bouche des rois aux lèvres des meunières, Dont il ronge la peau aux margelles des puits. Son or sonne le glas et se fond au néant Des gouffres d’univers où se gonfle le feu Des étoiles à naître et de leurs parements, Et si son règne dure depuis l’éternité, C’est qu’il nourrit sa chair de la soif de nos yeux, Car le Temps est un ogre au visage de fée.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Angélus I Tapi dans les rochers qui regardent la plage, Au pied de la falaise est le petit village. Sur les vagues ses toits ont l’air de se pencher, Et ses mâts de bateaux entourent son clocher. C’est en mai. – L’Océan, dans ces belles journées, A l’azur tiède et clair des méditerranées. Il chante, et le soleil rend plus brillante encor Son écume glissant le long des sables d’or. L’odeur du flot se mêle aux parfums de la terre Et, là-bas, le petit jardin du presbytère, A mi-côte, est rempli de fleurs et de rayons. Blond, rieur et chassant aux premiers papillons, Un bel enfant y joue et va, sur la pelouse, Du vieux prêtre en soutane au vieux bonhomme en blouse Qui sont là, l’un disant ses prières tout bas, L’autre arrosant des fleurs qu’il ne regarde pas, Car pour mieux voir l’enfant, qui court dans la lumière, L’un néglige ses fleurs et l’autre sa prière ; Et tous les deux se font des sourires joyeux. Le prêtre est le curé de l’endroit ; l’autre vieux En est le fossoyeur. Le premier dans sa cure Mène depuis vingt ans sa douce vie obscure. Ce juste a fait le bien, ainsi qu’il l’a prêché, Et se laisse appeler bonhomme à l’évêché, Sans s’étonner et sans que son zèle en décroisse. Comme le cimetière est près de la paroisse, Qu’il est bien seul, qu’il aime à deviser un peu En se chauffant les pieds, le soir, au coin du feu, Et comme il n’entend rien aux choses maritimes, Le fossoyeur et lui sont devenus intimes. Car c’est, à la campagne, un causeur assuré Qu’un soldat vétéran auprès d’un vieux curé. Celui-là, revenu dès longtemps au village, Invalide vaincu par la guerre et par l’âge, Trop vieux pour devenir laboureur ou marin, Est fossoyeur, et chante, aux grands jours, au lutrin. Or, c’est un compagnon agréable au vieux prêtre, Disant trop longuement ses batailles, peut-être, Mais résigné, naïf, n’engendrant point l’ennui, Et que le curé sait doux et bon comme lui. Tous deux s’aiment. Et quant au bel enfant qui joue, Le ciel dans le regard, l’aurore sur la joue, Et pour lequel ils ont ce sourire attendri, C’est Angelus, l’enfant trouvé, leur fils chéri. Ces cheveux blonds au vent sont la dernière flamme Qui se reflète encore au miroir de leur âme ; Et, parmi les bleuets et les coquelicots, Ce bon rire aux éclats vibrants et musicaux Leur fait une vieillesse encore ensoleillée. Car naguère ils étaient bien seuls, et la veillée Leur semblait longue. Assis près de l’âtre et rêvant, Tandis qu’ils écoutaient les longs sanglots du vent Et la mer se brisant aux rochers des presqu’îles, Un nuage passait sur leurs âmes tranquilles. La causerie avec le foyer s’éteignait. Le vieux prêtre fermait son livre, et se signait Comme contre un désir coupable et qu’on repousse ; Le vétéran vidait sa pipe sur son pouce ; Et tous deux se taisaient, songeant qu’ils étaient seuls Et que tous ces vieux morts, cousus dans leurs linceuls, Qui venaient réclamer de l’un une prière Et de l’autre un trou noir au fond du cimetière, Avaient du moins autour de leur pauvre cercueil Des femmes qui pleuraient et des enfants en deuil ; Que ces gens se faisaient répéter la promesse Que l’on n’oublierait rien, ni les fleurs, ni la messe : Et qu’eux, lorsqu’ils seraient à jamais endormis Sous terre, ils n’auraient point de parents ni d’amis Pour arracher l’ortie et la ronce mauvaise Frissonnant sur leur tombe au vent de la falaise. Un soir le fossoyeur, d’un ton mal assuré Et les deux mains au feu, dit : « Monsieur le curé, Puisque vous savez tout, vous devriez me dire Ce qui fait qu’aujourd’hui nous ne pouvons pas rire ; Cependant, sans avoir besoin d’être indulgents, Nous pouvons nous donner comme deux braves gens. Je ne sais rien, c’est vrai ; que le bon Dieu m’assiste ! Mais pourquoi notre cœur, étant pur, est-il triste ? » – C’est vrai, » dit le curé. Puis, après un moment De silence, il reprit ; bas et timidement : « Oui, nous avons rendu, malgré la chair fragile, A César comme à Dieu ce que veut l’Évangile, Et nous n’avons ni l’un ni l’autre fait le mal. Nos cœurs sont innocents comme au jour baptismal ; Rien ne les assombrit et rien ne les déprave, Le mien étant pieux et le vôtre étant brave. Priant pour les vivants et prenant soin des morts, Nous vieillissons ici, calmes et sans remords. Et pourtant notre vie est triste ! – Au point, dit l’autre, Que vous, monsieur l’abbé, vous, plus saint qu’un apôtre, Je vous ai vu jeter, dans vos jours de souci, Un regard envieux aux plus pauvres d’ici. – Le pêcheur, dit le prêtre, heureux parmi les hommes, N’a pas du laboureur les ennuis économes ; Il a la mer ; il a sa plage de galets Pour prendre du varech et sécher ses filets ; Et, si les flancs épais de sa barque normande Regorgent de saumon, de congre ou de limande, Oublieux du péril auquel il s’exposa, Il revient tout joyeux à son feu de colza, Sans penser que demain il faut qu’il recommence Sa bataille éternelle avec la mer immense, Et pose à son retour des baisers triomphants Sur les fronts inégaux de ses petits enfants. Un enfant ! C’est cela qui nous manque peut-être. Nous n’avons pas d’enfant, hélas ! Et le vieux prêtre Reprit, en tisonnant tout doucement son feu : « Tous les moyens sont doux, ami, de plaire à Dieu. Il est doux d’obéir, d’être humble et d’être chaste ; Mais notre cœur humain est-il donc si peu vaste, Que la patrie et Dieu, dans ce cœur enfermés, N’y puissent laisser place à des êtres aimés ? Pourtant Dieu, c’est l’amour. lisait bien que nous sommes Aimants ; et puis c’est grand, cela : faire des hommes. Vivre au milieu de fils chrétiens, c’est aussi beau Que servir un autel ou défendre un drapeau. Ce doit être un devoir bien plus lourd qu’on ne pense, Oui, mais qui porte en lui sa chère récompense. Nous n’avons pas d’enfant, voilà ! ? Certainement, Dit l’autre. Quand j’étais encore au régiment, Et quand, les pieds meurtris aux cailloux des montagnes, Je m’en allais coucher chez les gens des campagnes, Qui m’accueillaient fort mal et n’avaient d’autre soin Pour moi que de passer leur fourche dans le foin, Parfois, en attendant qu’on fît de la lumière, J’ai vu de beaux enfants jouer dans la chaumière, Et je leur ai souri. Mais il fallait passer Sans leur dire un seul mot et sans les embrasser, Et s’en aller dormir sur son sac, dans la grange. Mais ces fois-là j’étais plus las, et, c’est étrange, Je repartais le cœur plus sombre. » Et, soupirant, Ils restèrent au coin de leur foyer mourant, Sans entendre, du fond de leur pénible rêve, Se lamenter au loin l’Océan sur la grève. II Si le son de la cloche est triste, il l’est bien plus L’hiver, quand vient la nuit et quand c’est l’angelus Qui sonne lourdement au clocher du village, Rythmé par les sanglots de la mer sur la plage. Dans les cœurs son écho lugubre retentit : Celle qui reste songe à celui qui partit Sur sa barque parmi la brume et la tempête, Et se demande, auprès du rouet qui s’arrête, Si là-bas, dans les flots, son homme, le marin, A comme elle entendu les coups du grave airain, Et si, malgré la lame affreuse qui grommelle, Il s’est bien souvenu de se signer comme elle. Ayant sonné la cloche et dit les oraisons, Les deux vieillards allaient regagner leurs maisons Et se disaient adieu sur le seuil de l’église, Quand ils virent, gisant sur une pierre grise, Quelque chose de blanc qu’on avait laissé là ; Et, s’étant approchés tous deux, il leur sembla Que cela remuait vaguement. Le vieux prêtre, Inquiet, se pencha vite et put reconnaître Que c’était un pauvre être à peine emmailloté, Un enfant qu’une mère horrible avait jeté, Profitant du sommeil confiant de l’enfance, En passant, dans ce coin, presque nu, sans défense, Comme un voyageur las jette au loin son fardeau. « Hélas ! dit le curé, qui des mains du bedeau Prend le pauvre petit, notre raison humaine Est folle en voulant fuir la route où Dieu la mène. Vous avez vu par nous vos desseins outragés, Dieu très juste, et voici comment vous vous vengez. L’autre soir, nous sentions dans nos âmes farouches Fermenter les désirs coupables, et nos bouches Ont prononcé tout bas des propos envieux. Mais vous vous êtes dit : « Ces deux hommes sont vieux : « Leur voyage fut long ; ils sont las de leur course ; « Ils ont besoin d’un peu d’ombre et de quelque source ; « Ce sont de vrais chrétiens, ce sont de bons amis ; « Il faut leur pardonner. » Et vous avez permis Que notre foi n’eût plus même ce seul obstacle. Merci ! Que cet enfant, donné par un miracle, Bonheur que nos vieux jours n’auraient jamais rêvé, Porte le nom de l’heure où nous l’avons trouvé : Qu’il s’appelle Angelus ! c’est un nom de prière. Mon Angelus, je vous baptise au nom du Père, Du Fils et de l’Esprit ! – Amen ! » dit le soldat. Et, de peur que le vent de mer n’incommodât Davantage l’enfant tout transi sur les pierres Et qui ne rouvrait pas encore ses paupières, En prenant à travers un terrain labouré Ils rentrèrent en hâte au logis du curé. Là, pour faire du feu, le soldat s’agenouille ; De son vieux manteau noir le curé se dépouille Et reste ainsi, portant le petit sur les bras, Et tout semblable, dans son naïf embarras, Au saint Vincent de Paul des naïves images. Jadis un autre enfant, celui vers qui les mages, Écoutant dans le ciel un mystique concert Et suivant une étoile à travers le désert, Vinrent pour présenter l’or, l’encens et la myrrhe, L’enfant divin, l’enfant Jésus qu’encore admire Le monde qui pourtant a brisé tous ses dieux, L’enfant de Bethléem parut moins radieux, Dans sa crèche adorable, aux pèlerins augustes, Que cet enfant trouvé ne parut à ces justes, Lorsque sur le lit blanc et pur comme un berceau Ils l’eurent déposé dans son sommeil d’oiseau, Et que sous le profond rideau qui se soulève Ils le virent tous deux continuer son rêve. « Oui-da ! dit le soldat qui tenait le rideau, Le bon Dieu nous a fait un bien joli cadeau. Nous voulions un enfant, c’est comme dans un conte, Le voilà. Nous allons l’élever et, j’y compte, Plus tard en faire un gars robuste et bien portant. C’est entendu, monsieur le curé. Mais pourtant Il faut aussi songer à ce qui va s’ensuivre. Vous êtes, vous, d’abord, éduqué comme un livre : L’enfant saura de vous tout ce qu’il faut savoir. Moi, pour les menus soins, je me flatte d’avoir La chose d’employer le fil et les aiguilles. Mais, voilà : nous avons vécu loin des familles, Loin des berceaux ; jamais on ne nous révéla Comme on s’y prend avec ces petits êtres-là. Leur parler, vous savez le langage des anges, Ce n’est rien. Mais ôter et remettre leurs langes, Les nourrir comme il faut et leur dire ces chants Qui les font s’endormir alors qu’ils sont méchants, Les soigner, eux toujours malades et débiles, A cela, voyez-vous ! nous serons malhabiles. Qu’y faire ? Une servante ?… Eh ! nous ne pourrions pas La payer. Faites-vous toujours vos deux repas ? Pour nous, les serviteurs sont des gens trop avides. Et tous vos pauvres, qui s’en iraient les mains vides ! Puis, quel autre aussi bien que nous en aurait soin ? – Comment, une servante ! il n’en est pas besoin, Dit le vieux prêtre avec son bon regard sincère. Nous saurons bien ce qui lui sera nécessaire. Nous désirions un fils, Dieu nous l’envoie : ainsi, Ce n’est pas, à coup sûr, pour qu’il sorte d’ici. En lui donnant d’abord toute notre tendresse, Nous ne commettrons pas de grave maladresse. Nous sommes, il est vrai, très pauvres ; mais enfin Notre enfant ne mourra ni de froid ni de faim : J’ai de beau linge blanc tout plein ma vieille armoire, Et je pourrais encor vous remettre en mémoire, Mon cuisinier d’un jour, que, quand vient Monseigneur, Notre hospitalité nous fait assez d’honneur, En ajoutant tout bas que pour Son Éminence Un jour passé chez moi n’est pas jour d’abstinence. – Vos poulets ? votre vin ? pour qui ? pour ce petit ? Mais à son âge on n’a pas si bon appétit Qu’un archevêque ; et c’est bien plus tard qu’on les sèvre. – Eh bien, en attendant, nous aurons une chèvre… Et puis je vous défends de rire du clergé. – Bien, ne vous fâchez pas, la bonne a son congé. C’est dit. L’enfant aura d’abord quelque surprise De votre robe noire et de ma barbe grise ; Mais nous lui sourirons ; puis, nous n’y pouvons rien. Vous, monsieur le curé, pour sûr, vous saurez bien Ce qu’il lui faut, vous qui savez soigner les âmes ; Les vieux prêtres, mais c’est aussi doux que les femmes ! Et vous avez les mains blanches comme les leurs. Moi, j’aimerai l’enfant comme j’aime mes fleurs, Et nous pourrons mener jusqu’au bout ce caprice, D’apprendre le métier de mère et de nourrice. » Et pendant ce temps-là le pauvre enfant trouvé, Sur l’oreiller moelleux, comme sur le pavé, Dormait toujours, charmant d’abandon et de grâce. Les deux vieillards baisaient sa petite main grasse, Et puis la reposaient doucement sur le lit. Comme on penche le front sur un livre qu’on lit, Ils se tinrent longtemps inclinés sur sa couche, Retenant leur haleine et le doigt sur la bouche. Puis, par un enfantin regard persuadant L’autre qui lui faisait signe d’être prudent, Et comme n’y pouvant résister, le vieux prêtre, Au risque d’éveiller le charmant petit être, Silencieusement le baisa sur le front. Angelus ébaucha de son bras rose et rond Ce geste vague et mou du réveil qui s’approche, Tandis que, s’adressant en secret un reproche, Vite se reculait le vieil audacieux, Au fond très satisfait de voir s’ouvrir les yeux De l’enfant, comme afin d’orienter ses voiles Le marin est heureux du lever des étoiles. L’enfant, qui s’éveilla doucement, leur sourit. Alors, courbant le front, le bon curé le prit Dans ses mains, que rendaient fébriles son grand âge, Mais que la peur faisait trembler bien davantage ; Et, se sentant le cœur plus inquiet encor Que le jour où, vêtu de la chasuble d’or, Et selon la promesse aux chrétiens garantie, Pour la première fois il consacra l’hostie, Il vint s’asseoir auprès du feu qui pétillait ; Et, cependant qu’avec lenteur il dépouillait L’enfant de ses haillons liés par des ficelles, S’étonnant de ne pas lui découvrir des ailes, Le fossoyeur, avec un air tout réjoui, Se tenait immobile et debout devant lui, L’encourageant des yeux et le regardant faire. Et cette heure leur fut exquise. L’atmosphère Était intime. A peine entendait-on le bruit Du vent et de la mer qui pleuraient dans la nuit. Le colza sec brûlait, clair, dans la cheminée ; Toute la vieille chambre était illuminée. La bouilloire chantait gaîment devant le feu En laissant échapper son mince filet bleu ; Et le petit enfant, frêle espérance d’âme, Content de se sentir tout nu devant la flamme, Sur les genoux des deux vieillards extasiés Serrait ses petits poings, frottait ses petits pieds Et murmurait, le front ballant et l’œil atone, Son doux vagissement heureux et monotone. III Comme le presbytère est joyeux maintenant ! Bien qu’au bord de la mer il soit moins rayonnant, Le printemps, qui sourit parmi les giboulées, Éclaire le gazon frileux dans les allées, Réchauffe le vieux seuil, le cep en espalier, Et vient mourir au bas du gothique escalier. Le jardin rajeunit, rempli de pousses vertes. L’éclat de rire sort des fenêtres ouvertes. La brique a le ton rose et charmant d’un décor, Et le chaume brillant pétille comme l’or. Ah ! si le jardin sombre et les vieux murs moroses Se sont transfigurés si vite, si les roses Ont si vite chassé l’ortie et le chardon, Si la tendre espérance et l’aimable pardon De floréal ont pris ce coin noir pour leurs fêtes, Si plus pures et plus exquises se sont faites Pour ce lieu les senteurs premières des lilas, Si ce miracle advint, c’est que tu t’y mêlas, C’est que tu l’accomplis sans le savoir, Enfance ! C’est qu’une sympathique et douce connivence S’installe entre ta grâce et la grâce d’avril ; C’est qu’un enchaînement adorable et subtil Comme lui t’embellit de charme et de surprise, Fait ton rire semblable aux chansons de sa brise Et l’or pâle de ta chevelure pareil Aux rayons étonnés de son jeune soleil ! Car de longs mois, depuis cette nuit de novembre Où près des deux vieillards et dans la vieille chambre, Confiant, protégé par leur regard ami, Pour la première fois l’enfant avait dormi, De bien longs mois, de bien doux mois, toute une année D’extase stupéfaite et de joie étonnée Avait passé, bien chère et trop courte pour eux. Et dès le lendemain de ce jour bienheureux Ils avaient entrepris leur délicat ouvrage. D’abord ils avaient craint les dangers du sevrage ; Mais tout semblait venir en aide à leur dessein. Rejeton du malheur, né sur un maigre sein Avare de son lait comme de sa tendresse, Angelus, élevé sans soin et sans caresse, N’étant pas mort, hélas ! s’était vite endurci, Car la misère tue ou rend robuste. Aussi, Plus fort que ne le sont les bambins de cet âge, Il supportait déjà la soupe et le laitage. Ensuite, autre souci, cet enfant inconnu Avait été trouvé par eux à peu près nu Il fallait le vêtir au plus tôt, faire emplette De toile, lui fournir sa layette complète, Payer quelque ouvrière enfin ; et justement Le curé n’était pas bien riche en ce moment ; Ses pauvres de la veille avaient vidé ses poches. Et le voilà déjà s’accablant de reproches Et se disant tout haut, d’un air très irrité, Qu’il était imprudent et que la charité Comme cela, c’était une chose coupable. Mais le soldat, fronçant le nez d’un air capable, Prit les deux meilleurs draps dans l’armoire en noyer, Et, s’armant de ciseaux, il se mit à tailler Des ronds et des carrés dans le vieux linge jaune. Parfois il devenait rêveur, prenait une aune, Se trompait, puis jetait ses ciseaux, plein d’effroi, Comme un tailleur gâtant le bleu manteau d’un roi. Le bon prêtre, ignorant comme une vieille fille Et stupéfait, le vit enfiler son aiguille, Coudre longtemps, soufflant très fort à chaque point, Puis enfin, d’un air grave, essayer sur son poing Un tout petit bonnet d’enfant du premier âge. Ce n’était pas parfait ; mais, sans perdre courage, Le bonhomme, étouffant quelquefois un juron, Vite en tailla plusieurs sur le même patron. Sans doute il essuyait bien souvent ses lunettes, Les coutures n’étaient ni droites ni bien nettes, Mais le vieil apprenti des choses du berceau, Le soir, eut terminé tout le petit trousseau. Pour eux ce fut alors une douce existence : Ces hommes maladroits, mais remplis de constance, Tâchaient de deviner, enchantés et surpris, Ces mille petits soins qu’ils n’avaient pas appris, Intuition du cœur, science maternelle, Qu’avec l’enfant conçu la femme porte en elle. Certes, ce ne fut pas d’abord sans embarras. Lorsque Angelus pleurait en leur tendant les bras, Souvent ils ne savaient que faire ni que dire. Que lui fallait-il donc ? Un baiser ? un sourire ? On les lui prodiguait. Que voulait-il enfin ? Souffrait-il ? avait-il sommeil ? avait-il faim ? Et puis, comme toujours un esprit qui travaille Découvre, ils découvraient ; et de chaque trouvaille, De chaque invention de leur ardent amour, Ils se sentaient le cœur heureux pour tout un jour ; Et le bonheur est fait de ces riens éphémères. Ils allaient à tâtons, consultaient les commères Du village, et prenaient des conseils très prudents Pour l’âge où le petit devrait faire ses dents. O candeur ! ils avaient des fiertés de nourrices, Et quand l’enfant dormait tout nu, montrant ses cuisses Où le sang rose et pur venait à fleur de peau, Les yeux brillants de joie, ils disaient : « Qu’il est beau ! » Angelus grandissait, et, sur ces entrefaites, Un beau jour il voulut marcher. Nouvelles fêtes ! Ces vieux, avec leurs dos voûtés et leurs pas lents, Semblaient faits pour guider les efforts chancelants De ce petit garçon, leur fils et leur élève. Chaque soir, sur le sable humide de la grève Ils le firent marcher, surveillant avec soin Ses progrès, chaque jour allant un peu plus loin, Et, plus tard, chaque jour allant un peu plus vite. L’encourageant par un bon rire qui l’invite, Chacun d’eux soutenait un des bras de l’enfant ; Et celui-ci parfois s’arrêtait, triomphant, Après un petit pas qui lui semblait immense, Heureux ainsi qu’on l’est toujours quand on commence ; Et les deux bons vieillards étaient tout égayés Lorsque Angelus, ouvrant de grands yeux effrayés, Jetait un léger cri, douce et claire syllabe, Devant la fuite oblique et bizarre d’un crabe, Ou quand il leur fallait, en se baissant un peu, L’aider à ramasser le coquillage bleu Ou le petit galet joli comme une perle Que jetait à leurs pieds la vague qui déferle. Et quel triomphe encor quand, s’étant hasardé, Un beau matin l’enfant courut sans être aidé ! Depuis lors il allait en avant, eux derrière. Le curé regardait par-dessus son bréviaire, Et l’autre se frottait les mains, l’air tout joyeux. Et quand leur fils courait trop vite, les deux vieux Hâtaient le pas, l’abbé refermait son gros livre, Et tous les deux riaient de ne pouvoir le suivre. Toute leur vie était pleine de ce marmot. Après le premier pas, ce fut le premier mot. Chaque jour amenait sa nouvelle surprise. Et comme le bonheur nous égare et nous grise, Le petit Angelus n’avait pas seulement Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement, Effort de la pensée éclose qui s’envole Et qui ressemble à peine encore à la parole, Que déjà le curé, plein d’ardeur et rêvant A le faire bientôt devenir très savant, Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque Son vieux savoir latin et sa science grecque, Et rouvrait ses bouquins de poussière chargés, Se reprochant de les avoir tant négligés, Et critiquant tout bas la Messe et l’Évangile Qui le brouillaient avec la langue de Virgile. Pourtant, sans honte, ainsi qu’un tout jeune garçon, Il se remit à l’œuvre, apprenant sa leçon Tous les jours et vivant sur son dictionnaire, Comme lorsqu’il était au petit séminaire. Pour mieux se souvenir, souvent il récitait Du latin à voix haute, et, quand il s’arrêtait Cherchant le mot perdu dans son livre d’étude, Le vétéran disait : Amen ! par habitude. Ils étaient donc heureux tout à fait ; et le soir Près du berceau chéri tous deux venaient s’asseoir, Et, le cœur attendri, silencieux, timides, Ils contemplaient l’enfant avec des yeux humides. IV Or le printemps avait sept fois fleuri ; l’été, Dardant sur les blés mûrs son or diamanté, Avait sept fois donné sa moisson, et l’automne Sa vendange, et l’hiver sa neige monotone. Auprès des deux vieillards l’enfant avait grandi, Mais sans prendre cet air libre, vif, étourdi, Ce goût des jeux bruyants et ce doux caquetage Qu’on trouve d’ordinaire aux garçons de cet âge : Sa grâce ? les enfants sont toujours gracieux ? Était comme voilée et craintive ; ses yeux Cachaient une douleur dans leur azur sincère ; Il était pâle et doux comme une fleur de serre ; Son sourire était rare et contraint. Souffrait-il ? Peut-être ; mais d’un mal bien lent et bien subtil, Et qui, ne s’exprimant jamais par une plainte, Ne pouvait éveiller l’affectueuse crainte Des deux vieillards naïfs, qui trouvaient justement L’enfant, dans sa douceur malade, plus charmant. Pourtant, s’il suffisait, pour que la fleur qui pousse Embaumât le jardin d’une haleine plus douce Et pour que l’enfant prît des forces chaque jour, D’un rayon généreux de soleil et d’amour, Angelus, qu’entourait deux fois l’amour d’un père, Aurait dû, tout pareil à la fleur qui prospère, S’épanouir en fraîche et robuste santé. Si le baiser longtemps et souvent répété Faisait éclore seul les roses sur la joue ; Si la bonté d’un cœur d’aïeul qui se dévoue, La tendresse tremblante et toujours en éveil, Le front à cheveux blancs penché sur le sommeil, Suffisaient pour servir de garde et de défense A ce fragile espoir qu’on appelle l’enfance, Angelus, délivré des langes du berceau, Aurait dû s’élancer, léger comme un oiseau, Par la nature et faire en courant bien des lieues, Fou des insectes d’or et des fleurettes bleues, Heureux, libre, voulant tout sentir, tout saisir, Tout connaître, cédant à l’avide désir, Tapageur, les cheveux emmêlés par les branches, Mordant les fruits trop verts de toutes ses dents blanches, Faisant rire avec lui les échos du chemin Et prenant sans effroi des bêtes dans sa main ! Mais non ! le jeune fils des deux vieux, au contraire, Par aucun jeu d’enfant ne se laissait distraire. Souvent, ouvrant ses yeux étonnés et chercheurs, Il regardait passer les enfants des pêcheurs, Qui, lorsque revenait la saison douce et belle, Allaient au bois voisin, en longue ribambelle, Cueillir des mûres ou chasser les papillons. Il regardait passer ces gaîtés en haillons, Qui couraient les pieds nus et d’aurore coiffées, Et ces blouses, et ces culottes étoffées De grands-pères, et ces cheveux blonds sans bonnet, Leur faisait un sourire, et puis s’en revenait, Marchant à petits pas, rêveur et solitaire, Tout seul, dans le jardin calme du presbytère. Quand il voyait l’enfant revenir et s’asseoir, Son père le soldat, qui tenait l’arrosoir Ou passait le râteau sur quelque plate-bande, En écoutant au loin chanter la folle bande, Grommelait, de son air affable et belliqueux : « Voyons donc, fainéant, va jouer avec eux. » Mais l’enfant, sans prêter l’oreille aux cris de fête, Soupirait, secouait négligemment la tête Et s’approchait du vieux pour lui dire : « Pourquoi ? Je m’amuse bien mieux quand je suis avec toi. » Puis Angelus passait bien des heures à lire ; Et le savoir n’est pas le père du sourire. Il lisait trop. D’abord ce désir curieux Avait rendu le bon curé tout glorieux : Tel le semeur qui voit prospérer ses semailles. Ce jeune esprit déjà plein d’heureuses trouvailles, Ces prompts étonnements, ces vives questions, Au vieux prêtre inspiraient quelques ambitions, Car Angelus avait toujours aimé le livre. A peine avait-il eu jadis besoin de suivre Le doigt ridé qui montre en tremblant l’alphabet. Le piège était tentant ; le bonhomme y tombait, Et parfois sa science était tout étonnée Quand l’enfant, sachant plus que la leçon donnée, Avec son éternel « Pourquoi ? » l’embarrassait. Il ne comprenait pas le danger : il laissait Angelus absorbé dans ses livres d’estampes, Et n’apercevait pas palpiter à ses tempes Les rêves trop pesants pour ce jeune cerveau Avide avant le temps d’étrange et de nouveau. Et chaque jour, malgré le calme de l’asile Où sa vie aurait dû couler, pure et facile, Dans les fleurs en été, près de l’âtre en hiver, Malgré le souffle sain et puissant de la mer Qui caressait son front sans y mettre le hâle, Angelus devenait plus souffrant et plus pâle ; Et de ce mal visible à peine, mais profond, Les vieux ne savaient rien, presque contents au fond ? Car chez les plus aimants l’égoïsme sommeille ? Que cette enfance fût moins fraîche et moins vermeille, Mais plus tendre et toujours présente à leur foyer. Tous deux s’étaient hâtés bien vite d’oublier Leurs doutes de jadis. On leur eût fait offense De leur dire à présent ce qu’il faut à l’enfance. Ils croyaient seulement que leur fils n’était pas Un être comme un autre, et se disaient tout bas Que leur affection avait fait ce prodige. Ils étaient étonnés de leur œuvre ; et, que dis-je ! De cette ardeur précoce, où déjà s’épuisait Angélus, leur orgueil paternel s’amusait. Hélas ! leur ignorance était seule coupable, Non pas leur cœur ; et tout ce dont était capable De soin, de dévoûment et d’amour, en effet, Leur vieillesse naïve et bonne, ils l’avaient fait. Mais malgré tout, malgré leur charité divine, Ils n’avaient pas appris ce qu’il faut qu’on devine ; Et leurs cerveaux, trop froids, ne pouvaient plus avoir L’instinct, bien plus puissant encor que le savoir. Car la grande Nature est jalouse : elle exige Qu’on ne s’écarte pas des règles qu’elle inflige, Et ne fait si chétif l’enfant qui naît au jour, Que pour qu’il soit aimé d’un plus prudent amour A cause des soucis et des craintes qu’il donne ; Elle veut que cet œil flottant et qui s’étonne Ne puisse supporter l’immense éclat des cieux Sans l’avoir vu d’abord reflété par les yeux De la mère, qui veille à côté de la couche ; Elle veut que, cruelle et rude, cette bouche Pour y boire le lait morde à même le sein ; Elle ordonne, dans son immuable dessein, Un travail réciproque à tous ceux qu’elle affame, Aux mères pour l’Enfant, aux époux pour la Femme ; Elle ne peut avoir pitié des célibats ; Ni les autels sacrés, ni les nobles combats Ne sauraient un instant plier sa règle austère, Et toujours elle dit : « Malheur au solitaire ! » Oui, ces deux justes, oui, ces excellents vieillards, Dont tous les battements de cœur, tous les regards Étaient pour cet enfant adorablement triste, Ne voyaient pas, dans leur amour presque égoïste, Que pour cet être, espoir de leur humble maison, Leur étreinte était une étouffante prison ; Que sur ce faible front leur sénile tendresse Appuyait trop longtemps la trop lente caresse ; Qu’Angelus en souffrait, et que chaque baiser Venait encore plus l’abattre et l’épuiser ; Qu’à son sourire, fleur exquise de sa lèvre, Volaient les papillons obsédants de la fièvre, Et qu’enfant pressentant déjà le séraphin, Sans regret et sans plainte il se mourait enfin. Car Angelus, nature affectueuse et douce, Ignorait tout à fait le geste qui repousse. A ces baisers mortels, dont il était brisé, Toujours il présentait son sourire lassé Et se jetait au cou du soldat et du prêtre. On meurt d’être aimé trop comme de ne pas l’être, Et c’est un mal divin dont nul ne se défend. Une mère aurait lu dans les yeux de l’enfant La fatale langueur de ce mal qui s’ignore. Elle eût dit : « C’est assez ! » Les vieux disaient : « Encore ! » Et par leur faute, et dans leurs bras, et sous leurs yeux, Angelus se mourait, martyr délicieux ! O Nature ! c’était pourtant bien peu de chose : Laisser vivre un enfant, laisser croître une rose, Épargner ce dernier supplice à ces deux saints, Cela n’importait pas beaucoup à tes desseins. Ne se peut-il donc pas, ô Mère, que tu veuilles Qu’en un an l’arbrisseau pousse deux fois ses feuilles ? Et si, sous le soleil d’automne, et trop hâtifs, Ses rameaux ont donné quelques bourgeons chétifs, Faut-il toujours, faut-il, hélas ! que tu l’accables Sous ton hiver et sous tes neiges implacables ? Pourtant c’était l’espoir de l’antique forêt. Ces chênes, dont le cercle auguste l’entourait Et peut-être au printemps jetait sur lui trop d’ombre, Ne pourront-ils, alors que revient le temps sombre, Étendre jusqu’à lui leurs grands bras paternels ? Non, tu ne changes rien aux ordres éternels ! Non ! Avril renaîtra sans que l’arbre renaisse, Et, retrouvant encore un effort de jeunesse, Les vieux troncs, tout pourris sous le lierre, verront Le feuillage épuisé reverdir à leur front ; Et ces aïeux, dont l’âme altière et résignée Ne craignait même plus les coups de la cognée, En voyant ce trépas qui précède le leur, Les vieux chênes des bois gémiront de douleur ! V Ce soir-là, – c’était vers le milieu de septembre, – Les vieillards et l’enfant avaient gardé la chambre, Angelus se sentant plus malade et plus las. Le prêtre et le soldat, les deux pères, hélas ! Ne pouvaient se douter que la fin fût si proche. Ils étaient sans effroi, se sentant sans reproche. « Ce sera, pensaient-ils, un malaise d’un jour. » Et leur bonheur n’était pas troublé, leur amour Les trompant, et l’enfant donnant à sa caresse Toujours plus de fiévreuse et de mièvre tendresse. Auprès de la fenêtre, où fraîchissait le soir, Dans son large fauteuil le curé fit asseoir Angelus ; et tous trois devant le clair de lune Écoutèrent mourir les lames sur la dune. Abandonné, fermant ses beaux yeux à demi, L’enfant, qui se mourait, paraissait endormi. La sueur sur son front collait ses cheveux d’ange ; Et, d’un geste navrant, mais plein d’un charme étrange, Il cherchait vaguement, comme on cherche un appui, Les mains des deux vieillards, assis auprès de lui. Mais ceux-ci ne pouvaient deviner sa souffrance : Leurs cœurs simples étaient toujours pleins d’espérance ; Et, pensant qu’Angelus ne les entendait pas, Avec un bon sourire ils échangeaient tout bas Les décevants projets et les douces chimères, Comme auprès des berceaux en évoquent les mères. « Puisque voilà l’enfant près de nous endormi, Disait le prêtre, il faut songer, mon bon ami, Que, pour qu’il soit heureux plus tard, notre prière Ne suffit pas. Voyons à choisir sa carrière. Notre Angelus devient grand garçon, et déjà Sa jeune âme, que Dieu jusqu’ici protégea, Blanc calice, s’entr’ouvre et cherche la lumière. Nous avons bien guidé son enfance première : Il ne sait rien encor de mauvais ni d’amer ; Il n’a vu jusqu’ici que le ciel et la mer ; Par la chanson du flux son âme fut bercée, Et l’azur est moins pur que sa fraîche pensée Et que ses sens nouveaux encore appesantis, Car la grande nature est bonne aux tout petits. Mais il faut profiter de l’heureuse minute. Nous sommes vieux. Demain, seul, il faudra qu’il lutte ; Et, comme le devoir paternel le prescrit, Nous devons lui donner les armes de l’esprit. Je ne désire pas, moi, qu’il se fasse prêtre. Oh ! qu’il soit bon chrétien, que la foi le pénètre, Qu’il aime et qu’il espère enfin, et qu’il soit tel Qu’un lys pur qui fleurit à l’ombre de l’autel ! Mais, si j’en puis juger par sa petite enfance, J’aimerais mieux ? que Dieu pardonne mon offense ! Que la vocation de grâce lui manquât, Car pour le sacerdoce il est trop délicat. C’est en souffrant qu’il faut que le pasteur travaille Pour ses brebis. Il faut qu’il se lève et qu’il aille Par la nuit, bien avant le petit point du jour, Sous la bise, à travers les terres de labour, Emportant dans un coin du manteau le ciboire, Et cherchant, tout au fond de la campagne noire, A découvrir enfin au douteux horizon La lueur qui trahit la funèbre maison Où quelque agonisant, quand il arrive à l’heure, Lui montre en blasphémant sa famille qui pleure, Son foyer sans fagot et sa huche sans pain. Puis, avec l’eau bénite et la bière en sapin, Il faut le lendemain qu’il revienne et qu’il donne Au mort une prière, aux vivants son aumône, Et, s’il n’a pas d’argent, qu’il en trouve, et qu’il ait Pour ses pauvres toujours du pain bis et du lait. Et, s’il chemine un jour, heureux, lisant son livre, Respirant les sentiers en fleurs, et qu’un homme ivre, Qui sort du cabaret et qu’il ne connaît point, L’appelle fainéant en lui montrant le poing, Il faut que sans pâlir il subisse l’insulte. Et puis ce n’est pas tout. Le serviteur du culte A bien d’autres soucis, et l’on ne peut savoir Combien grave et combien austère est son devoir, Car la tentation est bien près de la faute. Pourquoi, près de la chaire où l’on parle à voix haute, Ce confessionnal où l’on parle tout bas ? Il faut l’aide de Dieu pour n’y succomber pas. Ne nous le prends donc point, Seigneur, pour ton service, Et permets qu’à tel point il ignore le vice Que même pour l’abattre, il y soit étranger ; Car, tu le sais, l’agneau ne peut être berger. – Et maintenant, monsieur le curé, reprit l’autre, A mon tour, n’est-ce pas ? car cet enfant est nôtre, Et je suis comme vous le père d’Angelus. Pas de soutane, soit ! pas de sabre non plus. Très souvent le plumet tricolore dérange Les projets. Ces gamins ont un goût fort étrange Pour les habits dorés tout partout sur le corps Comme ceux des housards et des tambours-majors. Sachant qu’ils n’aiment pas beaucoup qu’on les chicane, On les laisse d’abord chevaucher sur sa canne Et grimper aux genoux comme on grimpe aux remparts ; C’est gentil. Puis un jour ils vous disent : « Je pars. » Et ce jour-là ce sont des hommes pour la tête ; Et l’on reste à pleurer tout seul comme une bête. Et voilà qu’ils s’en vont à la guerre là-bas, Dans des pays affreux d’où l’on ne revient pas. Ils meurent, et les vieux les suivent. C’est stupide ! Veillons-y. Le petit m’a l’air d’un intrépide. Quand il se portait mieux, il grimpait aux pruniers Les plus hauts. Le dimanche, il va voir les douaniers, A l’heure où le sergent fait faire la parade. Morbleu ! qu’il n’aille pas, le petit camarade, Vouloir être soldat, ou nous nous fâcherons ! – Bien, bien ! dit le curé, nous y réfléchirons. Sans être cardinal ni maréchal de France, Angelus peut encor passer notre espérance. L’enfant a tant d’esprit qu’il m’étonne souvent : Ce sera quelque artiste ou bien quelque savant ; Et, quoi qu’il soit d’ailleurs, nous en ferons un juste. Mais avant tout il faut qu’il devienne robuste, Qu’il retrouve son rire et ses fraîches couleurs. Mes livres sont mauvais : qu’il coure dans vos fleurs ! Une leçon vaut moins pour lui qu’une culbute A cette heure. Ainsi donc, ajournons la dispute. Tous deux en étaient là de leurs propos joyeux, Lorsque Angelus ouvrit tout doucement les yeux Et de cet air malin, si charmant dans l’enfance, Il leur dit : « C’est fort bien. On arrange d’avance Ce qu’on fera plus tard de son enfant gâté. Mais je ne dormais pas, et j’ai tout écouté. Savez-vous que c’est mal de disposer des autres ? Pourtant n’ayez pas peur, car, sans gêner les vôtres, Je puis vous confier maintenant mes projets. Ils sont très sérieux, vous verrez ! Je songeais Depuis assez longtemps, pères, à vous les dire. Ces livres dans lesquels vous m’apprîtes à lire Et ce vaste Océan qui berce mon sommeil Me les ont inspirés et m’ont donné conseil. Je veux être marin sur la mer. Ces volumes, Que j’épelais jadis si mal, puis que nous lûmes Ensemble et qu’aujourd’hui je relis couramment, M’ont parlé de pays au ciel toujours clément, Aux arbres toujours verts, pleins d’oiseaux magnifiques, Où l’on allait porté par les flots pacifiques. Je veux partir pour ces pays délicieux. Ce ciel gris m’est fatal. Quand je ferme les yeux, Tout prend la couleur d’or du soleil dans mes rêves ; Et les vagues au loin murmurant sur les grèves Me disent – car j’entends des mots dans leurs rumeurs : – « Viens avec nous, et fuis ces climats où tu meurs ! » Pères, ne tentez pas d’arrêter mon courage Et ne me parlez pas d’écueils et de naufrage ; Car j’ai lu quelque part, et c’était arrivé, Que toujours un marin, un seul, s’était sauvé A la nage, à cheval sur une vieille planche, Et qu’il voyait bientôt poindre la voile blanche D’un navire passant pour lui porter secours. Moi, je serai celui qui se sauve toujours. Si je tarde longtemps, il est bien inutile D’avoir peur. Non. C’est que je serai dans une île Où je m’établirai comme a fait Robinson, En attendant qu’il passe un brick à l’horizon. Il arrive toujours, le moment qu’on espère. Alors, je reviendrai. Ce n’est pas vrai, ce père Qui pleure et devient vieux, et dit : « Pauvre petit ! » De son fils, grand garçon déjà quand il partit. Les contes n’ont jamais une fin si fatale. L’enfant revient toujours à la maison natale, Près des vieux. On s’assied en cercle autour du feu, Et, pour les effrayer beaucoup, il ment un peu. Comme les voyageurs de mes belles lectures, Je vous raconterai toutes mes aventures. Vous verrez, en ouvrant de grands yeux ébahis, Toutes les mers, tous les peuples, tous Ies pays Où m’auront promené la voile et la machine. Je vous rapporterai des choses de la Chine. Vous verrez le trois-mâts glissant près des îlots Avec son pavillon qui traîne sur les flots, Et le peuple tout nu, très noir et très sauvage, Qui nous suit en tirant des flèches du rivage, Et ce sera charmant, et vous m’embrasserez Au beau milieu de mon récit, et vous serez Tout surpris de ma barbe et de mon air si grave. Aux beaux endroits, tout bas, vous direz : « Qu’il est brave ! Vous sourirez, et vous m’embrasserez encor, Et vous jouerez avec mes épaulettes d’or. Mais, je le sais, il faut un long apprentissage. Et dès demain je vais bien apprendre, être sage, Lire beaucoup, veiller sous ma lampe l’hiver ; Et puis je m’en irai pour longtemps sur la mer. » Il se tut, souriant à quelque intime joie. Et, comme un affamé qui réclame une proie, L’Océan qui montait gronda dans les rochers. Les astres de la nuit furent soudain cachés. L’enfant agonisait ; mais la voix sépulcrale De la lame étouffait le bruit sourd de son râle. Alors comme brisé par ce qu’il avait dit, Angelus referma ses beaux yeux et tendit Aux deux amis ses mains plus froides et plus molles. Mais sur ceux-ci déjà les bizarres paroles De l’enfant moribond exerçaient leur pouvoir. Sombres, ils regardaient ce ciel devenu noir, Ils écoutaient le bruit plus sinistre des vagues, Et se sentaient venir au cœur ces craintes vagues Qu’on repousse, mais dont l’âme en vain se défend. Sans doute ce n’étaient que des rêves d’enfant, Inspirés par un livre ou bien par quelque image, Qu’ils laissent aussitôt sans dire : « C’est dommage ! » Et qui durent un jour ou deux pour la plupart. Mais tout cela parlait d’absence, de départ, Avec une éloquence étrange et captivante ; Et l’âme des vieillards était dans l’épouvante. Les yeux toujours fermés, le petit Angelus Reprit tout bas : Venez plus près, je n’y vois plus. Le ciel et l’Océan sont noirs comme l’ébène. Ce que je vous ai dit vous a fait de la peine Tout à l’heure. Il faudra tâcher de l’oublier. Pères, j’ai maintenant un rêve singulier. Est-ce un rêve ? Prenez mes deux mains dans les vôtres. Les astres dans la mer les uns après les autres Sont tous tombés, tombés ! Et dans le ciel en deuil, Ainsi qu’un christ d’argent sur le drap d’un cercueil, Il n’en reste plus qu’un. Vous devez le connaître, Celui-là ; car il brille au haut de ma fenêtre, Le soir, et je le vois de mon cher petit lit ; Et c’est le seul qui reste au ciel. Mais il pâlit ! Il a l’air aussi d’être attiré par le gouffre. On dirait qu’il s’éteint et l’on dirait qu’il souffre. Regardez ! le voilà qui file, qui s’enfuit !… Il est tombé !… J’ai froid, j’ai peur !… Et c’est la nuit ! » En prononçant ce mot, ? c’était le mot suprême ! ? Le petit Angelus s’affaissa sur lui-même. Sa bouche ouverte et l’orbe éteint de ses grands yeux S’emplirent d’un effroi vague et mystérieux. Les vieillards, égarés et crispant la narine, Virent son front trop lourd tomber sur sa poitrine, Et ses petites mains, qu’ils lâchèrent alors, Pesamment et d’un coup glisser contre son corps. Pure, à travers la nuit profonde et solennelle, L’âme de l’enfant mort venait d’ouvrir son aile, Ainsi que d’une salle ouverte à l’air du soir S’envole un papillon silencieux et noir. Après un long regard échangé sans rien dire, Un long regard chargé d’horreur et de délire, Les vieillards, abattus par un terrible effort, Tombèrent à genoux devant Angelus mort. Ils restèrent ainsi toute la nuit, farouches, Collant les froides mains du cadavre à leurs bouches, Atterrés, leurs sanglots muets les étouffant, N’osant lever les yeux sur le front de l’enfant Qui prenait la blancheur dure et froide des pierres. Mais, comme s’il était gravé sous leurs paupières, Ce visage chéri, qu’ils ne voulaient plus voir, Leurs yeux, leurs yeux fermés, toujours sur un fond noir Distinguaient Angelus, penché d’un air débile, Pâle et leur souriant d’un sourire immobile. Ah ! cette nuit, tandis qu’ils se désespéraient, Était-ce seulement leur enfant qu’ils pleuraient ? Ne s’accusaient-ils pas, ces deux hommes candides ? Ne maudissaient-ils pas leurs cheveux blancs stupides ? Ne comprenaient-ils pas enfin, les malheureux, Que cet être adorable était tué par eux ? Que l’absurde consigne et la vaine prière, Auxquelles ils avaient donné leur vie entière, Avaient fait leur malheur et leur aveuglement ? Que prier seulement, combattre seulement, Cela n’est pas assez pour l’homme, et qu’il est lâche Et mauvais de n’avoir ici-bas qu’une tâche ? Qu’il faut que chacun soit amant et père un jour ; Que la loi du devoir est une loi d’amour ; Qu’être seul, cela tue et cela paralyse ; Que la famille, c’est la patrie et l’église ; Que l’épée au fourreau doit orner le foyer ; Que les yeux de l’enfant font croire et font prier ; Que si tous deux, le vieux soldat et le vieux prêtre, Ils n’avaient pu sauver ce pauvre petit être, A qui pourtant leur cœur entier se dévouait, C’est qu’ils l’avaient aimé comme on aime un jouet ; Que leur expérience était une chimère ; Qu’ils n’étaient que de vieux enfants ; et qu’une mère, Qui, dans l’humble maison d’un pauvre matelot, Balaye et lave, et met les légumes au pot, Et ravaude son linge, et file sa quenouille, Et tout à la fois baise, allaite et débarbouille Six marmots qu’elle voit autour d’elle courir, Eût fait vivre l’enfant qu’ils avaient fait mourir ? Le matin les surprit aux genoux du cadavre. Et puis ce fut l’histoire ordinaire, et qui navre : Dernier regard qu’on jette au cher enseveli, Dernier baiser qu’on pose au front déjà pâli, Et plus rien ! Mais pour ces vieillards le sort complice Rendit plus douloureux et plus long le supplice. Le prêtre ? il était prêtre, hélas ! – dut sur le corps De son enfant chanter les prières des morts, Lui jeter l’eau bénite en sanglotant, et boire Ses pleurs qui se mêlaient au vin dans le ciboire. Il dut l’accompagner jusqu’au dernier logis, Où le soldat, les yeux par les larmes rougis, Dut sous son vieux sabot pousser la lourde bêche Et couvrir le cercueil de terre toute fraîche. Maintenant ils sont seuls. Tout est déjà rentré Dans l’ordre d’autrefois chez le pauvre curé. Assis au feu, chauffant leurs vieilles mains tremblantes, Ils laissent, sans parler, s’enfuir les heures lentes, Ne sachant rien, sinon que leur enfant est mort. Mornes, sans l’accepter, ils subissent le sort. Le soldat fait ses trous, le prêtre dit sa messe. Ils vivront peu ; mais dans la suprême promesse C’est à peine s’ils ont encor gardé la foi. On lit dans leurs regards je ne sais quel effroi Quand ils sortent tous deux en grand deuil de l’église, Au moment où le soir répand son ombre grise. Et le pêcheur, qui passe et qui les reconnaît, Regarde, tout timide, en ôtant son bonnet, Descendre du parvis les deux vieillards funèbres, Tandis que vibre encore au loin dans les ténèbres, Long, triste et solennel comme leur désespoir, Le dernier tintement de l’angelus du soir.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le banc Non loin du piédestal où j’étais accoudé, A l’ombre d’un Sylvain de marbre démodé Et sur un banc perdu du jardin solitaire, Je vis une servante auprès d’un militaire. Ils se tenaient tous deux assis à chaque coin Du banc, et se parlaient doucement, mais de loin, – Attitude où l’amour jeune est reconnaissable. – A leurs pieds un enfant jouait avec le sable. C’était le soir ; c’était l’heure où les amoureux, Moins timides, tout bas osent se faire entre eux Les tendres questions et les douces réponses. Le couchant empourprait le front noir des quinconces ; Lentement descendait l’ombre, comme à dessein ; Le vent, déjà plus frais, ridait l’eau du bassin Où tremblait un beau ciel vert et moiré de rose ; Tout s’apaisait. C’était cette adorable chose : Une fin de beau jour à la fin de l’été. Et, n’ayant rien de mieux à faire, j’écoutai. Tous deux dirent d’abord le plaisir qu’on éprouve A parler du passé, comment on se retrouve Si loin, bien qu’étant nés dans un petit pays, Leur enfance commune, et les parents vieillis Dont on est inquiet, sans trop oser le dire Dans ses lettres, les vieux ne sachant pas écrire Et ne pouvant payer la plume du bedeau. Ils dirent la rivière ombreuse, le rideau De peupliers, l’endroit pour pêcher à la ligne Caché sous le houblon et sous la folle vigne, Le cerisier qu’ensemble ils avaient dépouillé, Le vieux bateau, rempli de feuillage mouillé, Qu’on prenait pour aller jouer dans le coin d’île, Les moulins, les sentiers sous bois, toute l’idylle. Mais l’enfance du pauvre est très courte, et depuis N’avaient-ils pas tous deux souffert bien des ennuis – – Et naïve, ignorant encore la prudence, La simple enfant livra toute sa confidence, La première. Elle dit, en termes très touchants, Que, ne supportant pas les durs travaux des champs Et ne voulant pas être à charge à sa famille, Elle avait bien prévu qu’elle resterait fille, Ses père et mère étant de pauvres villageois, Et qu’elle était entrée alors chez des bourgeois. Or cette vie était pour elle bien amère, A son âge, d’avoir tous les soins d’une mère Pour des enfants ingrats et qui ne l’aimaient pas. Elle pleurait souvent à l’heure des repas, Dans sa froide cuisine, auprès d’une chandelle, Toute seule. Elle était courageuse et fidèle ; Mais ses maîtres, gardant toujours leur air grognon, Ne semblaient même pas la connaître de nom Et lui donnaient celui de la servante ancienne. Enfin la vie était dure à tous, et la sienne Lui compterait sans doute un jour pour ses péchés. Les deux enfants s’étaient doucement rapprochés. Mais, sans pouvoir trouver un bon mot qui console, Le militaire prit à son tour la parole. Il parla, le front bas et les yeux assombris : Lui, la conscription à vingt ans l’avait pris. Être soldat, cela se nomme encor service. Il maudit ce métier qui lui donnait un vice : De pauvre on l’avait fait devenir paresseux. L’avenir ! il n’osait y croire, étant de ceux Qu’on peut le lendemain envoyer à la guerre, Un de ces hommes, faits d’une argile vulgaire, Que pour l’ambition du premier conquérant Dieu sans doute pétrit d’un pouce indifférent, Chair à canon, chair à scalpel, matière infâme Et que la statistique appelle seule une âme. Il raconta ses jours sans fin de garnison, Ses courses dans les champs, le soir, vers l’horizon, Sans but, en écoutant si la retraite sonne. Il était sans ami, sans pays, sans personne, Sans rien. Il ne pouvait se faire à son état Et parfois souhaitait que la guerre éclatât. A ce mot, prononcé simplement, la servante Eut un petit frisson de soudaine épouvante, Et s’approchant, avec un bon geste de sœur : « Ne parlez pas ainsi, » dit-elle avec douceur ; Puis elle prit les mains du soldat, sans rien dire, Et tous deux, essayant un douloureux sourire, Écoutèrent au loin mourir le chant des nids. Alors – mystérieux témoin, je te bénis, Amour, consolateur dernier des misérables, Je vous bénis, ô nuit, ô rameaux vénérables Qui les cachiez, pendant qu’ils oubliaient un peu ! En silence, les mains froides, la tête en feu, Ils virent dans l’azur les étoiles éclore, Puis longtemps et tout bas échangèrent encore, Heureux et confiants, l’un près de l’autre assis, Leurs modestes espoirs et leurs humbles soucis. Le murmure des voix, plus craintif et plus tendre, S’affaiblit ; et, bientôt après, je pus entendre – Car l’ombre m’empêchait de voir les deux amis – Un baiser, qu’un soupir d’abord avait promis, Vibrer, pareil au bruit d’un oiseau qui s’effare. Tout à coup une claire et brutale fanfare Éclata dans la nuit profonde du jardin. Le soldat inquiet se releva soudain : Il fallait se quitter, car c’était la retraite. Oh ! le triste moment d’un départ qui s’apprête ! Vingt fois on se redit qu’on se reverrait là ; Et le pauvre amoureux en hâte s’en alla, Mais non sans regarder bien souvent en arrière. Elle, les yeux baissés comme pour la prière, Triste, joignant les mains sur son tablier blanc, Resta longtemps rêveuse et seule sur le banc. Lentement s’éloignait la fanfare importune ; Et, lorsque dans le ciel monta le clair de lune, Je la vis, pâle encor du baiser de l’amant Et les larmes aux yeux, écouter vaguement La retraite s’éteindre au fond du crépuscule. Et je n’ai pas trouvé cela si ridicule.

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Ballade des dames du temps jadis Dites-moi où, n'en quel pays, Est Flora la belle Romaine, Archipiades, ni Thais, Qui fut sa cousine germaine, Écho parlant quand bruit on mène Dessus rivière ou sus étang, Qui beauté eut trop plus qu'humaine. Mais où sont les neiges d'antan ? Où est la très sage Hélois, Pour qui châtré fut et puis moine Pierre Esbaillart à Saint Denis ? Pour son amour eut cette essoyne. Semblablement où est la reine Qui commanda que Buridan Fut jeté en un sac en Seine ? Mais où sont les neiges d'antan ? La reine Blanche comme lys Qui chantait à voix de sirène, Berthe au grand pied, Bietris, Alis, Haremburgis qui tint le Maine, Et Jeanne la bonne Lorraine Qu'Anglais brulèrent à Rouen ; Où sont-ils, où, Vierge souv'raine ? Mais où sont les neiges d'antan ? Prince, n'enquerrez de semaine Où elles sont, ni de cet an, Qu'à ce refrain ne vous ramène : Mais où sont les neiges d'antan ?

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Ballade des Seigneurs du temps jadis Qui plus ? Où est le tiers Calixte, Dernier decedé de ce nom, Qui quatre ans tint le Papaliste ? Alphonse, le roy d’Aragon, Le gracieux duc de Bourbon, Et Artus, le duc de Bretaigne, Et Charles septiesme, le Bon ?… Mais où est le preux Charlemaigne ! Semblablement, le roy Scotiste, Qui demy-face eut, ce dit-on, Vermeille comme une amathiste Depuys le front jusqu’au menton ? Le roy de Chypre, de renom ; Helas ! et le bon roy d’Espaigne, Duquel je ne sçay pas le nom ?… Mais où est le preux Charlemaigne ! D’en plus parler je me desiste ; Ce n’est que toute abusion. Il n’est qui contre mort resiste, Ne qui treuve provision. Encor fais une question : Lancelot, le roy de Behaigne, Où est-il ? Où est son tayon ?… Mais où est le preux Charlemaigne ! ENVOI. Où est Claquin, le bon Breton ? Où le comte Daulphin d’Auvergne, Et le bon feu duc d’Alençon ?… Mais où est le preux Charlemaigne !

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Ballade en vieil françois A ce propos, en vieil françois. Mais où sont ly sainctz apostoles, D’aulbes vestuz, d’amys coeffez, Qui sont ceincts de sainctes estoles, Dont par le col prent ly mauffez, De maltalent tout eschauffez ? Aussi bien meurt filz que servans ; De ceste vie sont bouffez : Autant en emporte ly vens. Voire, où sont de Constantinobles L’emperier aux poings dorez, Ou de France ly roy tresnobles, Sur tous autres roys decorez, Qui, pour ly grand Dieux adorez, Bastist eglises et convens ? S’en son temps il fut honorez, Autant en emporte ly vens. Où sont de Vienne et de Grenobles Ly Daulphin, ly preux, ly senez ? Où, de Dijon, Sallins et Dolles, Ly sires et ly filz aisnez ? Où autant de leurs gens privez, Heraulx, trompettes, poursuyvans ? Ont-ilz bien bouté soubz le nez ?… Autant en emporte ly vens. ENVOI Princes à mort sont destinez, Et tous autres qui sont vivans ; S’ils en sont coursez ou tennez, Autant en emporte ly vens.

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Le grand Ttstament I. En l’an trentiesme de mon eage, Que toutes mes hontes j’eu beues, Ne du tout fol, ne du tout sage. Nonobstant maintes peines eues, Lesquelles j’ay toutes receues Soubz la main Thibault d’Aussigny. S’evesque il est, seignant les rues, Qu’il soit le mien je le regny ! II. Mon seigneur n’est, ne mon evesque ; Soubz luy ne tiens, s’il n’est en friche ; Foy ne luy doy, ne hommage avecque ; Je ne suis son serf ne sa biche. Peu m’a d’une petite miche Et de froide eau, tout ung esté. Large ou estroit, moult me fut chiche. Tel luy soit Dieu qu’il m’a esté. III. Et, s’aucun me vouloit reprendre Et dire que je le mauldys, Non fais, si bien me sçait comprendre, Et rien de luy je ne mesdys. Voycy tout le mal que j’en dys : S’il m’a esté misericors, Jésus, le roy de paradis, Tel luy soit à l’ame et au corps ! IV. S’il m’a esté dur et cruel Trop plus que cy ne le racompte, Je vueil que le Dieu eternel Luy soit doncq semblable, à ce compte !… Mais l’Eglise nous dit et compte Que prions pour nos ennemis ; Je vous dis que j’ay tort et honte : Tous ses faictz soient à Dieu remis ! V. Si prieray Dieu de bon cueur, Pour l’ame du bon feu Cotard. Mais quoy ! ce sera doncq par cueur, Car de lire je suys faitard. Priere en feray de Picard ; S’il ne le sçait, voise l’apprandre, S’il m’en croyt, ains qu’il soit plus tard A Douay, ou à Lysle en Flandre ! VI. Combien souvent je veuil qu’on prie Pour luy, foy que doy mon baptesme, Obstant qu’à chascun ne le crye, Il ne fauldra pas à son esme. Au Psaultier prens, quand suys à mesme, Qui n’est de beuf ne cordoen, Le verset escript le septiesme Du psaulme de Deus laudem. VII. Si pry au benoist Filz de Dieu, Qu’à tous mes besoings je reclame, Que ma pauvre prière ayt lieu Verz luy, de qui tiens corps et ame, Qui m’a preservé de maint blasme Et franchy de vile puissance. Loué soit-il, et Nostre-Dame, Et Loys, le bon roy de France ! VIII. Auquel doint Dieu l’heur de Jacob, De Salomon l’honneur et gloire ; Quant de prouesse, il en a trop ; De force aussi, par m’ame, voire ! En ce monde-cy transitoire, Tant qu’il a de long et de lé ; Affin que de luy soit memoire, Vive autant que Mathusalé ! IX. Et douze beaulx enfans, tous masles, Veoir, de son très cher sang royal, Aussi preux que fut le grand Charles, Conceuz en ventre nuptial, Bons comme fut sainct Martial. Ainsi en preigne au bon Dauphin ; Je ne luy souhaicte autre mal, Et puys paradis à la fin. X. Pour ce que foible je me sens, Trop plus de biens que de santé, Tant que je suys en mon plain sens, Si peu que Dieu m’en a presté, Car d’autre ne l’ay emprunté, J’ay ce Testament très estable Faict, de dernière voulenté, Seul pour tout et irrevocable : XI. Escript l’ay l’an soixante et ung, Que le bon roy me delivra De la dure prison de Mehun, Et que vie me recouvra, Dont suys, tant que mon cueur vivra, Tenu vers luy me humilier, Ce que feray jusqu’il mourra : Bienfaict ne se doibt oublier. Icy commence Villon à entrer en matière pleine d’erudition et de bon sçavoir. XII. Or est vray qu’apres plaingtz et pleurs et angoisseux gemissemens, Après tristesses et douleurs, Labeurs et griefz cheminemens, Travail mes lubres sentemens, Esguisez comme une pelote, M’ouvrist plus que tous les Commens D’Averroys sur Aristote. XIII. Combien qu’au plus fort de mes maulx, En cheminant sans croix ne pile, Dieu, qui les Pellerins d’Esmaus Conforta, ce dit l’Evangile, Me montra une bonne ville Et pourveut du don d’esperance ; Combien que le pecheur soit vile, Riens ne hayt que perseverance. XIV. Je suys pecheur, je le sçay bien ; Pourtant Dieu ne veult pas ma mort, Mais convertisse et vive en bien ; Mieulx tout autre que peché mord, Soye vraye voulenté ou enhort, Dieu voit, et sa misericorde, Se conscience me remord, Par sa grace pardon m’accorde. XV. Et, comme le noble Romant De la Rose dit et confesse En son premier commencement, Qu’on doit jeune cueur, en jeunesse, Quant on le voit vieil en vieillesse, Excuser ; helas ! il dit voir. Ceulx donc qui me font telle oppresse, En meurté ne me vouldroient veoir. XVI. Se, pour ma mort, le bien publique D’aucune chose vaulsist myeulx, A mourir comme ung homme inique Je me jugeasse, ainsi m’aid Dieux ! Grief ne faiz à jeune ne vieulx, Soye sur pied ou soye en bière : Les montz ne bougent de leurs lieux, Pour un paouvre, n’avant, n’arrière. XVII. Au temps que Alexandre regna, Ung hom, nommé Diomedès, Devant luy on luy amena, Engrillonné poulces et detz Comme ung larron ; car il fut des Escumeurs que voyons courir. Si fut mys devant le cadès, Pour estre jugé à mourir. XVIII. L’empereur si l’arraisonna : « Pourquoy es-tu larron de mer ? » L’autre, responce luy donna : « Pourquoy larron me faiz nommer ? « Pour ce qu’on me voit escumer « En une petiote fuste ? « Se comme toy me peusse armer, « Comme toy empereur je fusse. XIX. « Mais que veux-tu ! De ma fortune, « Contre qui ne puis bonnement, « Qui si durement m’infortune, « Me vient tout ce gouvernement. « Excuse-moy aucunement, « Et sçaches qu’en grand pauvreté « (Ce mot dit-on communément) « Ne gist pas trop grand loyaulté. » XX. Quand l’empereur eut remiré De Diomedès tout le dict : « Ta fortune je te mueray, « Mauvaise en bonne ! » ce luy dit. Si fist-il. Onc puis ne mesprit A personne, mais fut vray homme ; Valère, pour vray, le rescript, Qui fut nommé le grand à Romme. XXI. Se Dieu m’eust donné rencontrer Ung autre piteux Alexandre, Qui m’eust faict en bon heur entrer, Et lors qui m’eust veu condescendre A mal, estre ars et mys en cendre Jugé me fusse de ma voix. Necessité faict gens mesprendre, Et faim saillir le loup des boys. XXII. Je plaings le temps de ma jeunesse, Ouquel j’ay plus qu’autre gallé, Jusque à l’entrée de vieillesse, Qui son partement m’a celé. Il ne s’en est à pied allé, N’à cheval ; las ! et comment donc ? Soudainement s’en est vollé, Et ne m’a laissé quelque don. XXIII. Allé s’en est, et je demeure, Pauvre de sens et de sçavoir, Triste, failly, plus noir que meure, Qui n’ay ne cens, rente, n’avoir ; Des miens le moindre, je dy voir, De me desadvouer s’avance, Oublyans naturel devoir, Par faulte d’ung peu de chevance. XXIV. Si ne crains avoir despendu, Par friander et par leschier ; Par trop aimer n’ay riens vendu, Que nuls me puissent reprouchier, Au moins qui leur couste trop cher. Je le dys, et ne croys mesdire. De ce ne me puis revencher : Qui n’a meffait ne le doit dire. XXV. Est vérité que j’ay aymé Et que aymeroye voulentiers ; Mais triste cueur, ventre affamé, Qui n’est rassasié au tiers, Me oste des amoureux sentiers. Au fort, quelqu’un s’en recompense, Qui est remply sur les chantiers, Car de la panse vient la danse. XXVI. Bien sçay se j’eusse estudié Ou temps de ma jeunesse folle, Et à bonnes meurs dedié, J’eusse maison et couche molle ! Mais quoy ? je fuyoye l’escolle, Comme faict le mauvays enfant… En escrivant ceste parolle, A peu que le cueur ne me fend. XXVII. Le dict du Saige est très beaulx dictz, Favorable, et bien n’en puis mais, Qui dit : « Esjoys-toy, mon filz, A ton adolescence ; mais Ailleurs sers bien d’ung autre mectz, Car jeunesse et adolescence (C’est son parler, ne moins ne mais) Ne sont qu’abbus et ignorance. » XXVIII. Mes jours s’en sont allez errant, Comme, dit Job, d’une touaille Sont les filetz, quant tisserant Tient en son poing ardente paille : Lors, s’il y a nul bout qui saille, Soudainement il le ravit. Si ne crains rien qui plus m’assaille, Car à la mort tout assouvyst. XXIX. Où sont les gratieux gallans Que je suyvoye au temps jadis, Si bien chantans, si bien parlans, Si plaisans en faictz et en dictz ? Les aucuns sont mortz et roydiz ; D’eulx n’est-il plus rien maintenant. Respit ils ayent en paradis, Et Dieu saulve le remenant ! XXX. Et les aucuns sont devenuz, Dieu mercy ! grans seigneurs et maistres, Les autres mendient tous nudz, Et pain ne voyent qu’aux fenestres ; Les autres sont entrez en cloistres ; De Celestins et de Chartreux, Bottez, housez, com pescheurs d’oystres : Voilà l’estat divers d’entre eulx. XXXI. Aux grans maistres Dieu doint bien faire, Vivans en paix et en requoy. En eulx il n’y a que refaire ; Si s’en fait bon taire tout quoy. Mais aux pauvres qui n’ont de quoy, Comme moy, Dieu doint patience ; Aux aultres ne fault qui ne quoy, Car assez ont pain et pitance. XXXII. Bons vins ont, souvent embrochez, Saulces, brouetz et gros poissons ; Tartres, flans, œufz fritz et pochez, Perduz, et en toutes façons. Pas ne ressemblent les maçons, Que servir fault à si grand peine ; Ils ne veulent nulz eschançons, Car de verser chascun se peine. XXXIII. En cest incident me suys mys, Qui de rien ne sert à mon faict. Je ne suys juge, ne commis, Pour punyr n’absouldre meffaict. De tous suys le plus imparfaict. Loué soit le doulx Jesus-Christ ! Que par moy leur soit satisfaict ! Ce que j’ay escript est escript. XXXIV. Laissons le monstier où il est ; Parlons de chose plus plaisante. Ceste matière à tous ne plaist : Ennuyeuse est et desplaisante. Pauvreté, chagrine et dolente, Tousjours despiteuse et rebelle, Dit quelque parolle cuysante ; S’elle n’ose, si le pense-elle. XXXV. Pauvre je suys de ma jeunesse, De pauvre et de petite extrace. Mon pere n’eut oncq grand richesse. Ne son ayeul, nommé Erace. Pauvreté tous nous suyt et trace. Sur les tumbeaulx de mes ancestres, Les ames desquelz Dieu embrasse, On n’y voyt couronnes ne sceptres. XXXVI. De pouvreté me guermentant, Souventesfoys me dit le cueur : « Homme, ne te doulouse tant Et ne demaine tel douleur, Se tu n’as tant qu’eust Jacques Cueur. Myeulx vault vivre soubz gros bureaux Pauvre, qu’avoir esté seigneur Et pourrir soubz riches tumbeaux ! » XXXVII. Qu’avoir esté seigneur !… Que dys ? Seigneur, lasse ! ne l’est-il mais ! Selon ce que d’aulcun en dict, Son lieu ne congnoistra jamais. Quant du surplus, je m’en desmectz. Il n’appartient à moy, pecheur ; Aux theologiens le remectz, Car c’est office de prescheur. XXXVIII. Si ne suys, bien le considère, Filz d’ange, portant dyadème D’etoille ne d’autre sydère. Mon pere est mort, Dieu en ayt l’ame, Quant est du corps, il gyst soubz lame… J’entends que ma mère mourra, Et le sçait bien, la pauvre femme ; Et le filz pas ne demourra. XXXIX. Je congnoys que pauvres et riches, Sages et folz, prebstres et laiz, Noble et vilain, larges et chiches, Petitz et grans, et beaulx et laidz, Dames à rebrassez colletz, De quelconque condicion, Portant attours et bourreletz, Mort saisit sans exception. XL. Et mourut Paris et Helène. Quiconques meurt, meurt à douleur. Celluy qui perd vent et alaine, Son fiel se crève sur son cueur, Puys sue Dieu sçait quelle sueur ! Et n’est qui de ses maulx l’allège : Car enfans n’a, frère ne sœur, Qui lors voulsist estre son pleige. XLI. La mort le faict fremir, pallir, Le nez courber, les veines tendre, Le col enfler, la chair mollir, Joinctes et nerfs croistre et estendre. Corps feminin, qui tant est tendre, Polly, souef, si precieulx, Te faudra-il ces maulx attendre ? Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.

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    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Le petit testament I. Mil quatre cens cinquante six, Je, François Villon, escollier, Considérant, de sens rassis, Le frain aux dens, franc au collier, Qu’on doit ses œuvres conseiller, Comme Vegèce le racompte, Saige Romain, grant conseiller, Ou autrement on se mescompte. II. En ce temps que j’ay dit devant, Sur le Noël, morte saison, Que les loups se vivent du vent, Et qu’on se tient en sa maison, Pour le frimas, près du tison : Cy me vint vouloir de briser La très amoureuse prison Qui souloit mon cueur desbriser. III. Je le feis en telle façon, Voyant Celle devant mes yeulx Consentant à ma deffaçon, Sans ce que jà luy en fust mieulx ; Dont je me deul et plains aux cieulx, En requérant d’elle vengence À tous les dieux venerieux, Et du grief d’amours allégence. IV. Et, se je pense en ma faveur, Ces doulx regrets et beaulx semblans De très decepvante saveur, Me trespercent jusques aux flancs : Bien ilz ont vers moy les piez blancs Et me faillent au grant besoing. Planter me fault autre complant Et frapper en ung autre coing. V. Le regard de Celle m’a prins, Qui m’a esté felonne et dure ; Sans ce qu’en riens aye mesprins, Veult et ordonne que j’endure La mort, et que plus je ne dure. Si n’y voy secours que fouir. Rompre veult la dure souldure, Sans mes piteux regrets ouir ! VI. Pour obvier à ses dangiers, Mon mieulx est, ce croy, de partir. Adieu ! Je m’en voys à Angiers, Puisqu’el ne me veult impartir Sa grace, ne me departir. Par elle meurs, les membres sains ; Au fort, je meurs amant martir, Du nombre des amoureux saints ! VII. Combien que le depart soit dur, Si fault-il que je m’en esloingne. Comme mon paouvre sens est dur ! Autre que moy est en queloingne, Dont onc en forest de Bouloingne Ne fut plus alteré d’humeur. C’est pour moy piteuse besoingne : Dieu en vueille ouïr ma clameur ! VIII. Et puisque departir me fault, Et du retour ne suis certain : Je ne suis homme sans deffault, Ne qu’autre d’assier ne d’estaing. Vivre aux humains est incertain, Et après mort n’y a relaiz : Je m’en voys en pays lointaing ; Si establiz ce present laiz. IX. Premierement, au nom du Père, Du Filz et Saint-Esperit, Et de sa glorieuse Mère Par qui grace riens ne périt, Je laisse, de par Dieu, mon bruit À maistre Guillaume Villon, Qui en l’honneur de son nom bruit, Mes tentes et mon pavillon. X. À celle doncques que j’ay dict, Qui si durement m’a chassé, Que j’en suys de joye interdict Et de tout plaisir dechassé, Je laisse mon cœur enchassé, Palle, piteux, mort et transy : Elle m’a ce mal pourchassé, Mais Dieu luy en face mercy ! XI. Et à maistre Ythier, marchant, Auquel je me sens très tenu, Laisse mon branc d’acier tranchant, Et à maistre Jehan le Cornu, Qui est en gaige detenu Pour ung escot six solz montant ; Je vueil, selon le contenu, Qu’on luy livre, en le racheptant. XII. Item, je laisse a Sainct-Amant Le Cheval Blanc avec la Mule, Et à Blaru, mon dyamant Et l’Asne rayé qui reculle. Et le décret qui articulle : Omnis utriusque sexus, Contre la Carmeliste bulle, Laisse aux curez, pour mettre sus. XIII. Item, à Jehan Trouvé, bouchier, Laisse le mouton franc et tendre, Et ung tachon pour esmoucher Le bœuf couronné qu’on veult vendre, Et la vache, qu’on ne peult prendre. Le vilain qui la trousse au col, S’il ne la rend, qu’on le puist pendre Ou estrangler d’un bon licol ! XIV. Et à maistre Robert Vallée, Povre clergeon au Parlement, Qui ne tient ne mont ne vallée, J’ordonne principalement Qu’on luy baille legerement Mes brayes, estans aux trumellières, Pour coeffer plus honestement S’amye Jehanneton de Millières. XV. Pour ce qu’il est de lieu honeste, Fault qu’il soit myeulx recompensé, Car le Saint-Esprit l’admoneste. Ce obstant qu’il est insensé. Pour ce, je me suis pourpensé, Puis qu’il n’a sens mais qu’une aulmoire, De recouvrer sur Malpensé, Qu’on lui baille, l’Art de mémoire. XVI. Item plus, je assigne la vie Du dessusdict maistre Robert… Pour Dieu ! n’y ayez point d’envie ! Mes parens, vendez mon haubert, Et que l’argent, ou la pluspart, Soit employé, dedans ces Pasques, Pour achepter à ce poupart Une fenestre emprès Saint-Jacques. XVII. Derechief, je laisse en pur don Mes gands et ma hucque de soye À mon amy Jacques Cardon ; Le gland aussi d’une saulsoye, Et tous les jours une grosse oye Et ung chappon de haulte gresse ; Dix muys de vin blanc comme croye, Et deux procès, que trop n’engresse. XVIII. Item, je laisse à ce jeune homme, René de Montigny, troys chiens ; Aussi à Jehan Raguyer, la somme De cent frans, prins sur tous mes biens ; Mais quoy ! Je n’y comprens en riens Ce que je pourray acquerir : On ne doit trop prendre des siens, Ne ses amis trop surquerir. XIX. Item, au seigneur de Grigny Laisse la garde de Nygon, Et six chiens plus qu’à Montigny, Vicestre, chastel et donjon ; Et à ce malostru Changon, Moutonnier qui tient en procès, Laisse troys coups d’ung escourgon, Et coucher, paix et aise, en ceps. XX. Et à maistre Jacques Raguyer, Je laisse l’Abreuvoyr Popin, Pour ses paouvres seurs grafignier ; Tousjours le choix d’ung bon lopin, Le trou de la Pomme de pin, Le doz aux rains, au feu la plante, Emmailloté en jacopin ; Et qui vouldra planter, si plante. XXI. Item, à maistre Jehan Mautainct Et maistre Pierre Basannier, Le gré du Seigneur, qui attainct Troubles, forfaits, sans espargnier ; Et à mon procureur Fournier, Bonnetz courts, chausses semellées, Taillées sur mon cordouennier, Pour porter durant ces gellées. XXII. Item, au chevalier du guet, Le heaulme luy establis ; Et aux pietons qui vont d’aguet Tastonnant par ces establis, Je leur laisse deux beaulx rubis, La lenterne à la Pierre-au-Let… Voire-mais, j’auray les Troys licts, S’ilz me meinent en Chastellet. XXIII. Item, à Perrenet Marchant, Qu’on dit le Bastard de la Barre, Pour ce qu’il est ung bon marchant, Luy laisse trois gluyons de feurre Pour estendre dessus la terre À faire l’amoureux mestier, Où il luy fauldra sa vie querre, Car il ne scet autre mestier. XXIV. Item, au Loup et à Chollet Je laisse à la foys un canart, Prins sous les murs, comme on souloit, Envers les fossez, sur le tard ; Et à chascun un grand tabart De cordelier, jusques aux pieds, Busche, charbon et poys au lart, Et mes housaulx sans avantpiedz. XXV. Derechief, je laisse en pitié, À trois petitz enfans tous nudz, Nommez en ce present traictié, Paouvres orphelins impourveuz, Tous deschaussez, tous despourveus, Et desnuez comme le ver ; J’ordonne qu’ils seront pourveuz, Au moins pour passer cest yver. XXVI. Premierement, Colin Laurens, Girard Gossoyn et Jehan Marceau, Desprins de biens et de parens, Qui n’ont vaillant l’anse d’un ceau, Chascun de mes biens ung faisseau, Ou quatre blancs, s’ilz l’aiment mieulx ; Ils mengeront maint bon morceau, Ces enfans, quand je seray vieulx ! XXVII. Item, ma nomination, Que j’ay de l’Université, Laisse par resignation, Pour forclorre d’adversité Paouvres clercs de ceste cité, Soubz cest intendit contenuz : Charité m’y a incité, Et Nature, les voyant nudz. XXVIII. C’est maistre Guillaume Cotin Et maistre Thibault de Vitry, Deux paouvres clercs, parlans latin, Paisibles enfans, sans estry, Humbles, biens chantans au lectry. Je leur laisse cens recevoir Sur la maison Guillot Gueuldry, En attendant de mieulx avoir. XXIX. Item plus, je adjoinctz à la Crosse Celle de la rue Sainct-Anthoine, Et ung billart de quoy on crosse, Et tous les jours plain pot de Seine, Aux pigons qui sont en l’essoine, Ensserez soubz trappe volière, Et mon mirouer bel et ydoyne, Et la grace de la geollière. XXX. Item, je laisse aux hospitaux Mes chassis tissus d’araignée ; Et aux gisans soubz les estaux, Chascun sur l’œil une grongnée, Trembler à chière renffrongnée, Maigres, velluz et morfonduz ; Chausses courtes, robe rongnée, Gelez, meurdriz et enfonduz. XXXI. Item, je laisse à mon barbier Les rongneures de mes cheveulx, Plainement et sans destourbier ; Au savetier, mes souliers vieulx, Et au fripier, mes habitz tieulx Que, quant du tout je les délaisse, Pour moins qu’ilz ne coustèrent neufz Charitablement je leur laisse. XXXII. Item, aux Quatre Mendians, Aux Filles Dieu et aux Beguynes, Savoureulx morceaulx et frians, Chappons, pigons, grasses gelines, Et puis prescher les Quinze Signes, Et abatre pain à deux mains. Carmes chevaulchent nos voisines, Mais cela ce n’est que du meins. XXXIII. Item, laisse le Mortier d’or A Jehan l’Espicier, de la Garde, Et une potence à Sainct-Mor, Pour faire ung broyer à moustarde. Et celluy qui feit l’avant-garde, Pour faire sur moy griefz exploitz, De par moy sainct Anthoine l’arde ! Je ne lui lairray autre laiz. XXXIV. Item, je laisse à Mairebeuf Et à Nicolas de Louvieulx, A chascun l’escaille d’un œuf, Plaine de frans et d’escus vieulx. Quant au concierge de Gouvieulx, Pierre Ronseville, je ordonne, Pour luy donner encore mieulx, Escus telz que prince les donne. XXXV. Finalement, en escrivant, Ce soir, seullet, estant en bonne, Dictant ces laiz et descripvant, Je ouyz la cloche de Sorbonne, Qui tousjours à neuf heures sonne Le Salut que l’Ange predit ; Cy suspendy et cy mis bonne, Pour pryer comme le cueur dit. XXXVI. Cela fait, je me entre-oubliai, Non pas par force de vin boire, Mon esperit comme lié ; Lors je senty dame Memoire Rescondre et mectre en son aulmoire Ses espèces collaterales, Oppinative faulce et voire, Et autres intellectualles. XXXVII. Et mesmement l’extimative, Par quoy prosperité nous vient ; Similative, formative, Desquelz souvent il advient Que, par l’art trouvé, hom devient Fol et lunatique par moys : Je l’ay leu, et bien m’en souvient, En Aristote aucunes fois. XXXVIII. Doncques le sensif s’esveilla Et esvertua fantaisie, Qui tous argeutis resveilla, Et tint souveraine partie, En souppirant, comme amortie, Par oppression d’oubliance, Qui en moy s’estoit espartie Pour montrer des sens l’alliance. XXXIX. Puis, mon sens qui fut à repos Et l’entendement desveillé, Je cuide finer mon propos ; Mais mon encre estoit gelé, Et mon cierge estoit soufflé. De feu je n’eusse pu finer. Si m’endormy, tout enmouflé, Et ne peuz autrement finer. XL. Fait au temps de ladicte date, Par le bon renommé Villon, Qui ne mange figue ne date ; Sec et noir comme escouvillon, Il n’a tente ne pavillon Qu’il n’ayt laissé à ses amys, Et n’a mais q’un peu de billon, Qui sera tantost à fin mys. cy fine le testament Villon

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    François-René de Chateaubriand

    François-René de Chateaubriand

    @francoisReneDeChateaubriand

    L’amour de la campagne Que de ces prés l’émail plaît à mon cœur ! Que de ces bois l’ombrage m’intéresse ! Quand je quittai cette onde enchanteresse, L’hiver régnoit dans toute sa fureur. Et cependant mes yeux demandoient ce rivage ; Et cependant d’ennuis, de chagrins dévoré. Au milieu des palais, d’hommes froids entouré, Je regrettois partout mes amis du village. Mais le printemps me rend mes champs et mes beaux jours. Vous m’allez voir encore, ô verdoyantes plaines ! Assis nonchalamment auprès de vos fontaines, Un Tibulle à la main, me nourrissant d’amours. Fleuve de ces vallons, là, suivant tes détours, J’irai seul et content gravir ce mont paisible Souvent tu me verras, inquiet et sensible, Arrêté sur tes bords en regardant ton cours. J’y veux terminer ma carrière ; Rentré dans la nuit des tombeaux, Mon ombre, encor tranquille et solitaire, Dans les forêts cherchera le repos. Au séjour des grandeurs mon nom mourra sans gloire, Mais il vivra longtemps sous les toits de roseaux, Mais d’âge en âge en gardant leurs troupeaux, Des bergers attendris feront ma courte histoire : « Notre amî, diront-ils, naquit sous ce berceau ; Il commença sa vie à l’ombre de ces chênes ; Il la passa couché près de cette eau, Et sous les Heurs sa tombe est dans ces plaines. »

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    François-René de Chateaubriand

    François-René de Chateaubriand

    @francoisReneDeChateaubriand

    Nous verrons Le passé n’est rien dans la vie, Et le présent est moins encor : C’est à l’avenir qu’on se fie Pour nous donner joie et trésor. Tout mortel dans ses voeux devance Cet avenir où nous courons ; Le bonheur est en espérance, On vit, en disant : Nous verrons. Mais cet avenir plein de charmes, Qu’est-il lorsqu’il est arrivé ? C’est le présent qui de nos larmes Matin et soir est abreuvé ! Aussitôt que s’ouvre la scène Qu’avec ardeur nous désirons, On bâille, on la regarde à peine ; On voit, en disant : Nous verrons. Ce vieillard penche vers la terre ; Il touche à ses derniers instants : Y pense-t-il ? Non ; il espère Vivre encor soixante et dix ans. Un docteur, fort d’expérience, Veut lui prouver que nous mourons : Le vieillard rit de la sentence, Et meurt en disant : Nous verrons. Valère et Damis n’ont qu’une âme ; C’est le modèle des amis. Valère en un malheur réclame La bourse et les soins de Damis :  » Je viens à vous, ami sincère, Ou ce soir au fond des prisons… – Quoi ! ce soir même ? – Oui ! – Cher Valère, Revenez demain : Nous verrons. «  Gare ! faites place aux carrosses Où s’enfle l’orgueilleux manant Qui jadis conduisait deux rosses A trente sous, pour le passant. Le peuple écrasé par la roue Maudit l’enfant des Porcherons ; Moi, du prince évitant la boue, Je me range, et dis : Nous verrons. Nous verrons est un mot magique Qui sert dans tous les cas fâcheux : Nous verrons, dit le politique ; Nous verrons, dit le malheureux. Les grands hommes de nos gazettes, Les rois du jour, les fanfarons, Les faux amis et les coquettes, Tout cela vous dit : Nous verrons.

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    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    À Victor Hugo D’illusions fantastiques Quel doux esprit t’a bercé ? Qui t’a dit ces airs antiques, Ces contes du temps passé ? Que j’aime quand tu nous chantes Ces complaintes si touchantes, Ces cantiques de la foi, Que m’avait chantés mon père, Et que chanteront, j’espère, Ceux qui viendront après moi. Quand le soir, à la chaumière, La lampe unit tristement La pâleur de sa lumière Au vif éclat du sarment, Assis dans le coin de l’âtre, Sans doute tu vis le pâtre Rappeler des anciens jours, Récits d’amour, de constance. Et redire à l’assistance Ces airs qu’on retient toujours. Il a de vieilles ballades, Il a de joyeux refrains : Et pour les brebis malades Des remèdes souverains : Il connaît les noirs présages : Perçant le voile des âges Son œil lit dans l’avenir, Il donne des amulettes, Et prédit aux bachelettes Quand l’amour doit leur venir. Il ta montré la relique Et la croix qu’un pénitent A la sainte basilique A fait bénir en partant. Il t’a dit les eaux fangeuses Où dans les nuits orageuses Errent de pâles lueurs, Puis sur l’autel de la Vierge Il a fait brûler un cierge A la mère des douleurs. Il a deviné ta peine, Il t’a conseillé parfois D’aller faire une neuvaine A Notre-Dame-des-Bois ; De partir pour la Galice ; Ou, vêtu du noir cilice D’aller, pieux voyageur, Déposer ton humble hommage Au pied de la vieille image De Saint Jacques-le-Majeur. Dans une chapelle basse, Devers la Saint-Jean d’été, Il t’a fait baiser la châsse Dont l’antique sainteté Donne à la foi populaire Le précieux scapulaire Qui du malin nous défend, Et sans travail, ni souffrance, Abrège la délivrance Des femmes en mal d’enfant. Il t’a fait dans les bruyères Voir, de loin, les lieux maudits Où l’on dit que les sorcières S’assemblent les samedis ; Où pour d’impurs sortilèges A leurs festins sacrilèges S’asseoit l’archange déchu ; Où le voyageur qui passe S’enfuit en voyant la trace Qu’y grava son pied fourchu. Mais à l’angle de deux routes Il te recommande à Dieu : Il part ; et toi tu l’écoutes Après qu’il t’a dit adieu. Puis tu reviens et nous chantes Ces complaintes si touchantes, Ces cantiques de la foi Que m’avait chantés mon père, Et que chanteront, j’espère. Ceux qui viendront après moi.

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    F

    Félix Arvers

    @felixArvers

    Bury I Lorsque le jeune Edgard, après bien des années, Au seuil de son château s’en vint heurter un soir, Traversa lentement les cours abandonnées, Et près du vieux foyer voulut enfin s’asseoir, Il vit avec douleur au manoir de ses pères Les créneaux sans soldats et les murs délabrés, Et sentit en marchant se dresser les vipères Que cachait sous ses pas la ronce des degrés. Quoique le vieux Caleb, honteux de sa détresse, La cachât de son mieux ; comme en un soir d’été, Surprise au bord des eaux, la jeune chasseresse Aux regards du passant voile sa nudité ; Edgard vit bien au front de ces tours inclinées Ce sillon que le temps avait fait si profond, Et sentit d’un seul coup tout le poids des années Retomber sur son cœur et bondir jusqu’au fond. Pourtant c’était la loi. Dieu veut que sur sa trace, Sans pitié ni remords, comme un vieux meurtrier, Le temps entraîne tout : le peuple après la race, L’arbuste après la fleur, l’œuvre après l’ouvrier. II Mais moi, qu’ai-je éprouvé, lorsque sous votre ombrage, Après quatre ans passés, retraites de Bury, Ainsi qu’un voyageur surpris par un orage. Je vins, triste déjà, demander un abri ? Enfans, durant l’hiver, pour égayer nos veilles, On nous a tous conté que, dans cet heureux temps Que Perrault a peuplé de naïves merveilles, Une belle princesse avait dormi cent ans ; Et lorsque la vertu de quelque anneau magique Eut enfin secoué cet étrange sommeil, Après ce siècle entier d’un repos léthargique, Elle sortit du bois jeune et le teint vermeil ; Oh ! moi j’ai cru renaître à ces jours de féerie, Comme elle, à son réveil, voyant à mon retour La demeure aussi neuve et l’herbe aussi fleurie, Et l’ombrage aussi frais des arbres d’alentour. Le Temps, ce vieux faucheur, qui renverse et qui passe. Semblait avoir pour moi fixé ses pas errans. Comme si dans ce coin oublié de l’espace Quelque autre Josué l’eût arrêté quatre ans. Les hôtes qui jadis accueillaient mon Jeune âge, Paraissaient réunis pour attendre au festin Le retour d’un enfant qui, pour le voisinage. Voulant voir ses amis, est parti le matin. Ils avaient parcouru cette vie escarpée Exempts des noirs chagrins si prompts à l’assaillir. Et, dans sa voie étroite et de ravins coupée, Marché sans se lasser, et vécu sans vieillir.

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    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    Déclaration Jeune femme aux yeux noirs, étourdie, inconstante, Entre mille pensers indécise et flottante, Qui veut et ne veut pas, et bientôt ne sait plus Où prendre ni fixer, tes voeux irrésolus, Qui n’aime point le mal et pourtant ne peut faire Un seul pas vers le bien que ton âme préfère, Insouciante, et va livrant chaque matin, Tes projets au hasard et ta vie au destin, Sais-tu pourquoi je t’aime, et quelle main cachée Retiens mon âme au char où tu l’as attachée, Pourquoi je me plains tant dans tes bras, et ressens Quelque chose de plus que l’ivresse des sens ? C’est qu’il est, vois-tu bien, certaines destinées Par des liens secrets l’une à l’autre enchaînées : C’est qu’il peut arriver, parfois, que deux esprits Se soient du premier coup reconnus et compris ; Une triste clarté, de long regrets suivie, De ses illusions a dépouillé ma vie ; Elle a flétri ma joie, et n’a plus rien laissé Dans le fond de mon coeur profondément blessé ; Et toi, ton âme aussi, triste et désenchantée De ces vestiges vains qui l’avaient trop flattée, A reconnu leur vide et va bientôt finir Ces rêves dissipés pour ne plus revenir. C’est ce que j’aime en toi, c’est cette connaissance Des misères de l’homme et de son impuissance ; C’est ce bizarre aspect d’une femme à vingt ans Dont la raison précoce a devancé le temps, Que rien ne touche plus, et qui, jeune et jolie, Ne croit pas à l’amour et sait comme on oublie, C’est ce qui me ravit, m’enchante, et sur tes pas Me retient malgré moi, car enfin n’est-ce pas Quelque chose de neuf que de nous voir ensemble Vieillards prématurés qu’un même esprit rassemble, Avec ces cheveux noirs, avec ce jeune front Qui des ans destructeurs n’a pas subi l’affront, Discourir gravement des choses de la vie, Railler, d’un rire amer, ces plaisirs qu’on envie, Oublier le présent, ne pas nous souvenir Que nous sommes tout seuls et parler d’avenir ? C’est ce qui m’a frappé, moi, c’est ce caractère Sérieux à la fois et léger, ce mystère D’une humeur si mobile et d’un coeur si changeant, De désirs en désirs sans cesse voltigeant. Je t’aime, si fantasque et si capricieuse ; Bonne femme d’ailleurs, point avaricieuse, Au contraire prodigue, et jetant sans regrets Son or, quand elle en a, sauf à compter après.

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    Grégory Rateau

    @gregoryRateau

    La sieste J’ouvre les yeux un peu troubles du songe La rumeur du jour pique à vif Kaléidoscope rétinien D’ombres roumaines striées de veines Passage du noir au rouge Puis les piaillements amis Le cahot des charrettes Et les bâtards qui leur courent après Des voix familières dans la cloison Nomment sans le brusquer le dormeur L’appel en doux murmures suivis d’éclats de rire Se lever avant que le lit ne me ramène définitivement A cette torpeur molletonnée de l’entre-soi Le soleil qui se pose sur un coin de fraîcheur Une invite, une promesse renouvelée Aucune urgence Le monde m’attend Me recoucher Le faire languir encore un peu

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    Grégory Rateau

    @gregoryRateau

    L’autre La nuit je l’entends attablé se consumant à mon bureau les touches craquent il redouble de violence je le sens à la lueur fébrile de l’aube essayer de gagner du temps sur moi ses traits sont presque identiques aux miens l’obscurité allonge un peu plus ses mains mais son âme coule aux bouts de ses doigts tandis que la mienne végète pas un mot qui ne soit éprouvé le manuscrit que je récupère au petit matin est le testament d’un damné

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    Grégory Rateau

    @gregoryRateau

    Poème païen A la fin, je me présenterai devant vous Presque nu Avec seulement mes bagues en éventail Une pour chaque vie que j’ai vampirisée Les yeux gris d’un trop plein de soleil L’iris en parchemin Récit des folies de ma jeunesse Mes muscles à présent atrophiés d’avoir trop ou mal aimé De rares cheveux formeront ici ma couronne Unique récompense pour toutes mes conquêtes Personne pour laver ma dépouille Lui donner les derniers sacrements païens Juste une vieille photo monstrueuse pliée dans mon poing droit Et qui n’aura plus rien à voir Avec cette chose sans âge aux traits aguicheurs Couchée là Sur son lit de ronces L’ironie glorieuse aux coins des lèvres Innocence encadrée dans un miroir de poche Enfin confrontée à son portrait ravagé Une vie entière pour un rien Car privée de tout Même d’une descendance

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    Guillaume Apollinaire

    Guillaume Apollinaire

    @guillaumeApollinaire

    Allons plus vite Et le soir vient et les lys meurent Regarde ma douleur beau ciel qui me l’envoies Une nuit de mélancolie Enfant souris ô sœur écoute Pauvres marchez sur la grand-route Ô menteuse forêt qui surgis à ma voix Les flammes qui brûlent les âmes Sur le boulevard de Grenelle Les ouvriers et les patrons Arbres de mai cette dentelle Ne fais donc pas le fanfaron Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite Tous les poteaux télégraphiques Viennent là-bas le long du quai Sur son sein notre République A mis ce bouquet de muguet Qui poussait dru le long du quai Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite La bouche en cœur Pauline honteuse Les ouvriers et les patrons Oui-dà oui-dà belle endormeuse Ton frère Allons plus vite nom de Dieu Allons plus vite

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