Femmes musiciennes Rives du lac Sebu
des femmes musiciennes
le chant de leurs luths
une musique ancienne
un imaginaire
d’arbres et d’oiseaux
de fées forestières
sur Mindanao
elles forgent le bronze
inventent des colliers
des brac’lets qui comblent
leurs bras leurs poignets
les journées d’averses
en après midi
leurs chansons s’adressent
à l’esprit des pluies
récolte du riz
une célébration
rythmes, mélodies
aux coups des pilons
s’agitent les parures
le souffle des tambours
tournent les ceintures
les grelots autour
Didier Venturini, Memento mori, 2017
il y a 9 mois
E
Emile Nelligan
@emileNelligan
Le salon La poussière s’étend sur tout le mobilier,
Les miroirs de Venise ont défleuri leur charme;
Il y rôde comme un très vieux parfum de Parme,
La funèbre douceur d’un sachet familier.
Plus jamais ne résonne à travers le silence
Le chant du piano dans les rythmes berceurs,
Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,
Ne s’entendent qu’en rêve aux soirs de somnolence.
Mais le poète, errant sous son massif ennui,
Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,
Et se crispant les mains, hagard et solitaire,
Imagine soudain, hanté par des remords,
Un grand bal solennel tournant dans le mystère,
Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.
il y a 9 mois
E
Emile Nelligan
@emileNelligan
Le violon brisé Aux soupirs de l’archet béni,
Il s’est brisé, plein de tristesse,
Le soir que vous jouiez, comtesse,
Un thème de Paganini.
Comme tout choit avec prestesse !
J’avais un amour infini,
Ce soir que vous jouiez, comtesse,
Un thème de Paganini.
L’instrument dort sous l’étroitesse
De son étui de bois verni,
Depuis le soir où, blonde hôtesse,
Vous jouâtes Paganini.
Mon cœur repose avec tristesse
Au trou de notre amour fini.
Il s’est brisé le soir, comtesse,
Que vous jouiez Paganini.
il y a 9 mois
E
Esther Granek
@estherGranek
J’ai attrapé un chant d’oiseau J’ai attrapé un chant d’oiseau
Et je l’ai mis dans ma guitare.
Il en sort un refrain de paix
Qui fait trêve de mes regrets.
J’ai rapporté des verts coteaux
Un peu de leurs parfums sauvages.
J’ai rapporté couleurs de mai
Et les ai mises en un bouquet.
J’ai emporté dans mes voyages
Et ta présence et ton visage.
Et c’est comme un cadeau des cieux
Car étant seul je suis à deux.
il y a 9 mois
François Coppée
@francoisCoppee
Adagio La rue était déserte et donnait sur les champs.
Quand j’allais voir l’été les beaux soleils couchants
Avec le rêve aimé qui partout m’accompagne,
Je la suivais toujours pour gagner la campagne,
Et j’avais remarqué que, dans une maison
Qui fait l’angle et qui tient, ainsi qu’une prison,
Fermée au vent du soir son étroite persienne,
Toujours à la même heure, une musicienne
Mystérieuse, et qui sans doute habitait là,
Jouait l’adagio de la sonate en la.
Le ciel se nuançait de vert tendre et de rose.
La rue était déserte ; et le flâneur morose
Et triste, comme sont souvent les amoureux,
Qui passait, l’oeil fixé sur les gazons poudreux,
Toujours à la même heure, avait pris l’habitude
D’entendre ce vieil air dans cette solitude.
Le piano chantait sourd, doux, attendrissant,
Rempli du souvenir douloureux de l’absent
Et reprochant tout bas les anciennes extases.
Et moi, je devinais des fleurs dans de grands vases,
Des parfums, un profond et funèbre miroir,
Un portrait d’homme à l’oeil fier, magnétique et noir,
Des plis majestueux dans les tentures sombres,
Une lampe d’argent, discrète, sous les ombres,
Le vieux clavier s’offrant dans sa froide pâleur,
Et, dans cette atmosphère émue, une douleur
Épanouie au charme ineffable et physique
Du silence, de la fraîcheur, de la musique.
Le piano chantait toujours plus bas, plus bas.
Puis, un certain soir d’août, je ne l’entendis pas.
Depuis, je mène ailleurs mes promenades lentes.
Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes,
Je regrette parfois ce vieux coin négligé.
Mais la vieille ruelle a, dit-on, bien changé :
Les enfants d’alentour y vont jouer aux billes,
Et d’autres pianos l’emplissent de quadrilles.
il y a 9 mois
F
Françoise Urban-Menninger
@francoiseUrbanMenninger
Sous la musique de la pluie Sous la musique de la pluie
la rime coule de source
s’égoutte mot à mot
dans la bouche du poème
nous y buvons le verbe
dans le calice du jour
nous y noyons nos larmes
dans les draps de la nuit
nous avons pour la pluie
cette douce tendresse
qui nous berce
depuis l’enfance
nous avons pour la pluie
ces regrets de l’ombre
qui déjà nous ramènent
au bord de nous-mêmes
il y a 9 mois
Georges Rodenbach
@georgesRodenbach
Dans l'angle obscur de la chambre, le piano Dans l'angle obscur de la chambre, le piano
Songe, attendant des mains pâles de fiancée
De qui les doigts sont sans reproche et sans anneau,
Des mains douces par qui sa douleur soit pansée
Et qui rompent un peu son abandon de veuf,
Car il refrémirait sous des mains élargies
Puisqu'en lui dort encor l'espoir d'un bonheur neuf.
Après tant de silence, après tant d'élégies
Que le deuil de l'ébène enferma si longtemps,
Quelle ivresse si, par un soir doux de printemps,
Quelque vierge attirée à sa mélancolie
Ressuscitait de lui tous les rythmes latents :
Gerbe de lis blessés que son jeu lent délie ;
Eau pâle du clavier où son geste amusé
- Rafraîchi comme ayant joué dans une eau claire -
Ferait surgir un blanc cortège apprivoisé,
Cygnes vêtus de clair de lune en scapulaire,
il y a 9 mois
Germain Nouveau
@germainNouveau
Un peu de musique Une musique amoureuse
Sous les doigts d'un guitariste
S'est éveillée, un peu triste,
Avec la brise peureuse ;
Et sous la feuillée ombreuse
Où le jour mourant résiste,
Tourne, se lasse, et persiste
Une valse langoureuse.
On sent, dans l'air qui s'effondre,
Son âme en extase fondre ;
— Et parmi la vapeur rose
De la nuit délicieuse
Monte cette blonde chose,
La lune silencieuse.
il y a 9 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Crépuscule À Mademoiselle Marie Laurencin.
Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
il y a 9 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Fête Feu d'artifice en acier
Qu'il est charmant cet éclairage
Artifice d'artificier
Mêler quelque grâce au courage
Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l'on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL
SUT
AIMER
quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d'arrêt
Des roses mourir d'espérance
Il songe aux roses de
Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d'une hanche
L'air est plein d'un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses
il y a 9 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Le musicien de Saint-Merry J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s’accumulent au loin
Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu
Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien
Je ne chante pas ce monde ni les autres astres
Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres
Je chante le joie d’errer et le plaisir d’en mourir
Le 21 du mois de mai 1913
Passeur des morts et les mordonnantes mériennes
Des millions de mouches éventaient une splendeur
Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher
Jeune l’homme était brun et de couleur de fraise sur les joues
Homme Ah! Ariane
Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas
Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin
Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé
Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui
Il en venait de toutes parts
Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner
Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine
Qui se trouve au coin de la rue Simon-Le-Franc
Puis saint-Merry se tut
L’inconnu reprit son air de flûte
Et revenant sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie
Où il entra suivi par la troupe des femmes
Qui sortaient des maisons
Qui venaient par les rues traversières les yeux fous
Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur
Il s’en allait indifférent jouant son air
Il s’en allait terriblement
Puis ailleurs
À quelle heure un train partira-t-il pour Paris
À ce moment
Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades
En même temps
Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur
Ailleurs
Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen
Au même instant
Une jeune fille amoureuse du maire
Dans un autre quartier
Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs
En somme ô rieurs vous n’avez pas tiré grand-chose des hommes
Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère
Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre
Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises
Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre
Et maintenant
Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement
Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier
Ces hautes cheminées pareilles à des tours
Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol
Et tandis que le monde vivait et variait
Le cortège des femmes long comme un jour sans pain
Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien
Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes
Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris
Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine
Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry
Cortèges ô cortèges
Les femmes débordaient tant leur nombres était grand
Dans toutes les rues avoisinantes
Et se hâtaient raides comme balle
Afin de suivre le musicien
Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine
Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise
Et toi Colette et toi la belle Geneviève
Elles ont passé tremblantes et vaines
Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence
De la musique pastorale qui guidait
Leurs oreilles avides
L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre
Maison abandonnée
Aux vitres brisées
C’est un logis du seizième siècle
La cour sert de remise à des voitures de livraisons
C’est là qu’entra le musicien
Sa musique qui s’éloignait devint langoureuse
Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée
Et toutes y entrèrent confondues en bande
Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles
Sans regretter ce qu’elles ont laissé
Ce qu’elles ont abandonné
Sans regretter le jour la vie et la mémoire
Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie
Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry
Nous entrâmes dans la vieille maison
Mais nous n’y trouvâmes personne
Voici le soir
À Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne
Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes
Il vint une troupe de casquettiers
Il vint des marchands de bananes
Il vint des soldats de la garde républicaine
O nuit
Troupeau de regards langoureux des femmes
O nuit
Toi ma douleur et mon attente vaine
J’entends mourir le son d’une flûte lointaine
il y a 9 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Mai Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains ?
Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment
Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
il y a 9 mois
Gérard de Nerval
@gerardDeNerval
Épitaphe Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,
Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.
C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant : "Pourquoi suis-je venu ?"
il y a 9 mois
Gérard de Nerval
@gerardDeNerval
Fantaisie Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue… et dont je me souviens !
il y a 9 mois
Gérard de Nerval
@gerardDeNerval
Le point noir Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l’air, une tache livide.
Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux :
Un point noir est resté dans mon regard avide.
Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire !
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur !
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.
il y a 9 mois
H
Hubert-Tadéo Félizé
@hubertTadeoFelize
A la pénombre du bonheur Lorsque la nuit tombe et enveloppe,
Toute vie encore embrasée dans l’ombre
Tiède, d’un jour qui se meurt et qui nous dope,
J’aime, sur les coussins, me poser à la pénombre
Du bonheur, comme l’archet sur le violon,
Et me laisser flotter au gré des pianos épanouis
Ressentir le spasme, le silence et tous ces sons.
A la pénombre du bonheur, je m’évanouis.
Dans les parfums extatiques des arpèges,
Comme une ritournelle sans cesse de manège,
Ou d’une boîte à musique perdue sur l’étagère,
Mon cœur s’enflamme dans ce vibrant air,
Où un Saint-Saëns, un Wagner effeuille
Mes sens aiguisés dans des partitions qui cueillent
Toute l’émotion et la profondeur d’une note inouïe.
A la pénombre du bonheur, je m’évanouis.
Et dans les pays d’un Brahms, d’un maître-à-danser
En suivant la route d’un Tchaïkovski à la folie,
L’âme s’extasie d’une esthétique musique de beauté,
Conquise marquise que je me glisse à votre exquis
Minois, d’un baiser, me perdre en votre pays,
L’extase n’est jamais loin de nos heures devenues,
Laissant bercer notre âme aux heures si ténues,
Et dans les parfums d’encens qui encense la vie,
M’endormir à la pénombre d’un bonheur, je m’assoupis !
il y a 9 mois
J
Jacques Izoard
@jacquesIzoard
Fêter chaque parole Morceaux de dents, grains, déchets d'ongle ou de tabac, je ne sais quels fragments d'objets, je ne sais quels haillons, quels couteaux, quels sifflets, quels cris de buis... Ainsi, les
mots se suivent sur la page, font bonne parole, bonne mesure. Mais il suffit d'ouvrir les yeux: le regard, glu sans veines, ne déchire sans doute que la nappe noire du sommeil, n'arrache
que la coque légère du vent, ne détruit que l'apparence du chemin.
Suffit-il donc de lire? Peut-être. Alors, chaque possible, autre et semblable, affleure. De toutes les directions affluent des lieux, des aires, des espaces.
Histoires coloriées, récits inachevés, on-dit, liturgies, bleues anecdotes, enfantillages, contes de ressasseurs.
Une activité multiple naît : prononcés, les mots meurent, s'effritent; aurons-nous la longue patience de les ressusciter ? (Les dire, malgré tout, les écrire sans
cesse, à satiété, jusqu'à les vider de leur sang, de leur sens...) Ainsi, nous épierons le mot «maison» dit dans l'arbre et le mot «arbre» dit dans
la maison.
Et je voudrais que nous soyons nombreux à fêter -travestir, dénuder, trahir - chaque parole. Où dorment les séismes, dorment les aphasies, et ce que je disais tel hiver
sans ambages («Les femmes assourdissent les traquenards, les commerces de jambes et de pluies»).
N'importe-t-il pas de contrefaire notre écriture, de nous glisser entre l'encre et le papier? En cet écart, tout existe souverainement: contrées de haute lucidité où
les mots sont ce qu'ils sont, signes purs, dessins sans ombre.
Sans l'écriture gauche sous la main (sans la main elle-même), nos conversations ne perdraient-elles pas crêtes et sabots, incendies ou ronronnements?
J'apprenais à écrire, à être. J'apprenais à lire, à être. Le poème conduit, confusément, vers ce que l'on est. Mais que d'échecs, que de
chemins battus sans issue! Nos mots les plus simples bougent, pourtant: vois le geste de l'a, le geste du b. Ainsi court la phrase, ainsi s'accroche-t-elle au papier. Pour tous, la poésie
regorge de mots. À travers elle, nous sommes sains et saufs. Mais vit toujours la ville et ceux qui vivent ici, ceux qui disent «muscat», «coups pleuvent»,
«courants d'air».
Voix du papier déchire l'ouïe, quand le glas casse le sang, quand le langage natal avoue.
il y a 9 mois
Jacques Prévert
@jacquesPrevert
Fête a Mennecy À
Paris autrefois, c'est-à-dire il y a seulement quelque temps les fêtes foraines avaient droit de cité.
La fête ça existait.
La musique de carton des manèges à vapeur vous appelait de très loin, et la rumeur heureuse des tours de chevaux de bois et des tours de cochons mêlée au rugissement
des lions de chez
Pezon, c'était beau, tendre et violent et comme toute fête un petit peu triste en même temps.
Les gens allaient à la fête comme ils allaient au bois, au muguet, à
Luna-Park ou à
Robinson.
Aujourd'hui, on dirait que les fêtes, c'est seulement les fantômes des fêtes d'autrefois.
Et puis il y avait les fêtes « rituelles », les fêtes des autres âges.
Au mardi-gras, à la mi-carême défilaient des chars, des rêves de reines, des rois de cirque, des déguisés, enrubannés de serpentins et bombardés de
confetti.
Aujourd'hui le peuple ne fait plus la fête comme avant, il n'a plus la place, il n'a plus le temps... il ne fait plus la fête mais les savants font la
Bombe.
Aujourd'hui, c'est la foire roulante, les feux follets rouges, les feux follets verts, les clignotants.
C'est le grand
Pardon de saint
Parking, l'exode hebdomadaire, et défilent seulement les déesses, les jaguars, les idées, les deux chevaux : en s'engueulant.
Les mots les plus grossiers, les gens bien élevés les ont piqués au peuple et en font un bien pauvre usage.
Pourtant, un peu partout, de temps en temps, de joyeux drilles font encore la fête.
C'est pourquoi à deux coups d'aile de
Paris, vous pouvez voir « comme si vous y étiez » ou en garder le souvenir, comme si vous y étiez allés, le carnaval de
Men-necy: une petite ville aux volets fermés.
Sur la neige à peine balayée l'homme invisible, tcharlie chapline, et une femme du monde de « la belle époque» s'en vont retrouver leurs amis.
Mennecy en
Seine-et-Oise.
Pays trop près, pays trop loin, c'est un dit-on des environs.
30 kilomètres, trop près pour faire un vrai voyage et loin, trop loin pour y aller souvent.
À
Mennecy une fois l'an, les carnavaliers se réunissent, se déguisent, se maquillent et en avant la musique.
L'unique char c'est un tracteur, un bœuf gras déguisé en robot.
Parfois dans la petite foule, sur la grand'place, des voix regrettent l'ardeur, l'intensité des fêtes du passé.
Mais chaque année, cette fête recommence, elle est comme elle est, les joyeux drilles de
Mennecy se refusent à demander l'aide de la municipalité.
Ils chantent, ils boivent le coup, ils font la quête, ils dressent une croix et cette croix, quand la nuit tombe tout à fait, ils la font flamber.
Et tous dansent autour de ce tout petit feu de joie.
Carnaval de
Mennecy
fête d'aujourd'hui et d'autrefois.
il y a 9 mois
Jean de La Fontaine
@jeanDeLaFontaine
Épilogue Bornons ici cette carrière.
Les longs ouvrages me font peur.
Loin d’épuiser une matière,
On n’en doit prendre que la fleur.
Il s’en va temps que je reprenne
Un peu de forces et d’haleine,
Pour fournir à d’autres projets.
Amour, ce tyran de ma vie,
Veut que je change de sujets ;
Il faut contenter son envie.
Retournons à Psyché ; Damon, vous m’exhortez
À peindre ses malheurs et ses félicités.
J’y consens ; peut-être ma veine
En sa faveur s’échauffera.
Heureux si ce travail est la dernière peine
Que son époux me causera !
il y a 9 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Au fleuve de Loire Ô de qui la vive course
Prend sa bienheureuse source,
D'une argentine fontaine,
Qui d'une fuite lointaine,
Te rends au sein fluctueux
De l'Océan monstrueux,
Loire, hausse ton chef ores
Bien haut, et bien haut encores,
Et jette ton œil divin
Sur ce pays Angevin,
Le plus heureux et fertile,
Qu'autre où ton onde distille.
Bien d'autres Dieux que toi, Père,
Daignent aimer ce repaire,
A qui le Ciel fut donneur
De toute grâce et bonheur.
Cérès, lorsque vagabonde
Allait quérant par le monde
Sa fille, dont possesseur
Fut l'infernal ravisseur,
De ses pas sacrés toucha
Cette terre, et se coucha
Lasse sur ton vert rivage,
Qui lui donna doux breuvage.
Et celui-là, qui pour mère
Eut la cuisse de son père,
Le Dieu des Indes vainqueur
Arrosa de sa liqueur
Les monts, les vaux et campaignes
De ce terroir que tu baignes.
Regarde, mon Fleuve, aussi
Dedans ces forêts ici,
Qui leurs chevelures vives
Haussent autour de tes rives,
Les faunes aux pieds soudains,
Qui après biches et daims,
Et cerfs aux têtes ramées
Ont leurs forces animées.
Regarde tes Nymphes belles
A ces Demi-dieux rebelles,
Qui à grand'course les suivent,
Et si près d'elles arrivent,
Qu'elles sentent bien souvent
De leurs haleines le vent.
Je vois déjà hors d'haleine
Les pauvrettes, qui à peine
Pourront atteindre ton cours,
Si tu ne leur fais secours.
Combien (pour les secourir)
De fois t'a-t-on vu courir
Tout furieux en la plaine ?
Trompant l'espoir et la peine
De l'avare laboureur,
Hélas ! qui n'eut point d'horreur
Blesser du soc sacrilège
De tes Nymphes le collège,
Collège qui se récrée
Dessus ta rive sacrée.
Qui voudra donc loue et chante
Tout ce dont l'Inde se vante,
Sicile la fabuleuse,
Ou bien l'Arabie Heureuse.
Quant à moi, tant que ma Lyre
Voudra les chansons élire
Que je lui commanderai,
Mon Anjou je chanterai.
Ô mon Fleuve paternel,
Quand le dormir éternel
Fera tomber à l'envers
Celui qui chante ces vers,
Et que par les bras amis
Mon corps bien près sera mis
De quelque fontaine vive,
Non guère loin de ta rive,
Au moins sur ma froide cendre
Fais quelques larmes descendre,
Et sonne mon bruit fameux
A ton rivage écumeux.
N'oublie le nom de celle
Qui toutes beautés excelle,
Et ce qu'ai pour elle aussi
Chanté sur ce bord ici.
il y a 9 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Heureux, de qui la mort de sa gloire est suivie Heureux, de qui la mort de sa gloire est suivie,
Et plus heureux celui dont l'immortalité
Ne prend commencement de la postérité,
Mais devant que la mort ait son âme ravie.
Tu jouis (mon Ronsard), même durant ta vie,
De l'immortel honneur que tu as mérité :
Et devant que mourir (rare félicité)
Ton heureuse vertu triomphe de l'envie.
Courage donc, Ronsard, la victoire est à toi,
Puisque de ton côté est la faveur du Roi :
Là du laurier vainqueur tes tempes se couronnent,
Et là la tourbe épaisse à l'entour de ton flanc
Ressemble ces esprits, qui là-bas environnent
Le grand prêtre de Thrace au long sourpelis blanc.
il y a 9 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Las où est maintenant ce mépris de Fortune Las où est maintenant ce mépris de Fortune
Où est ce coeur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l'immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
il y a 9 mois
Joachim du Bellay
@joachimDuBellay
Maintenant je pardonne à la douce fureur Maintenant je pardonne à la douce fureur
Qui m'a fait consumer le meilleur de mon âge,
Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage
Que le vain passe-temps d'une si longue erreur.
Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
Puisque seul il endort le souci qui m'outrage,
Et puisque seul il fait qu'au milieu de l'orage,
Ainsi qu'auparavant, je ne tremble de peur.
Si les vers ont été l'abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l'appui de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison.
il y a 9 mois
J
Jules Delavigne
@julesDelavigne
Le vent d’autrefois Il est minuit et demi
Le vinyle tourne
Toujours
Ce vent d’autrefois
Café, et encore du café
Ses yeux diamants
Inconscients
Ne se cachent jamais
L’encre des idées
A peine séchée
Et tout est repris
Tout est réécrit à nouveau
Le rythme de la basse
Coule à travers son corps
Comme du chocolat fondant
Dans la bouche veloutée
De celle qu’il aime
il y a 9 mois
Jules Laforgue
@julesLaforgue
Complainte des pianos qu'on entend dans les quartiers aisés Menez l'âme que les
Lettres ont bien nourrie,
Les pianos, les pianos, dans les quartiers aisés !
Premiers soirs, sans pardessus, chaste flânerie,
Aux complaintes des nerfs incompris ou brisés.
Ces enfants, à quoi rêvent-elles,
Dans les ennuis des ritournelles ?
— «
Préaux des soirs,
Christ des dortoirs !
«
Tu t'en vas et tu nous laisses,
Tu nous laiss's et tu t'en vas,
Défaire et refaire ses tresses.
Broder d'étemel canevas. »
Jolie ou vague ? triste ou sage ? encore pure ?
Ô jours, tout m'est égal ? ou, monde, moi je veux ?
Et si vierge, du moins, de la bonne blessure.
Sachant quels gras couchants ont les plus blancs aveux ?
Mon
Dieu, à quoi donc rêvent-elles ?
A des
Roland, à des dentelles ?
— «
Cœurs en prisons.
Lentes saisons !
«
Tu t'en vas et tu nous quittes.
Tu nous quitt's et tu t'en vas !
Couvents gris, chœurs de
Sulamites,
Sur nos seins nuls croisons nos bras. »
Fatales clés de l'être un beau jour apparues ;
Psitt ! aux hérédités en ponctuels ferments.
Dans le bal incessant de nos étranges rues ;
Ah ! pensionnats, théâtres, journaux, romans !
Allez, stériles ritournelles,
La vie est vraie et criminelle.
— «
Rideaux tirés,
Peut-on entrer ?
«
Tu t'en vas et tu nous laisses.
Tu nous laiss's et tu t'en vas,
La source des frais rosiers baisse,
Vraiment !
Et lui qui ne vient pas... »
Il viendra !
Vous serez les pauvres cœurs en faute.
Fiancés au remords comme aux essais sans fond.
Et les suffisants cœurs cossus, n'ayant d'autre hôte
Qu'un train-train pavoisé d'estime et de chiffons.
Mourir ? peut-être brodent-elles,
Pour un oncle à dot des bretelles ?
— «
Jamais !
Jamais !
Si tu savais !
«
Tu t'en vas et tu nous quittes,
Tu nous quitt's et tu t'en vas.
Mais tu nous reviendras bien vite
Guérir mon beau mal, n'est-ce pas ? »
Et c'est vrai ! l'Idéal les faits divaguer toutes.
Vigne bohème, même en ces quartiers aisés.
La vie est là ; le pur flacon des vives gouttes
Sera, comme il convient, d'eau propre baptisé.
Aussi, bientôt, se joueront-elles
De plus exactes ritournelles.
« —
Seul oreiller !
Mur familier !
«
Tu t'en vas et tu nous laisses.
Tu nous laiss's et tu t'en vas.
Que ne suis-je morte à la messe ! Ô mois, ô linges, ô repas ! »
il y a 9 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Chopin Le moulage original
de ta main gauche
d’une bouleversante blancheur
dans sa prison de verre
relique de ton passage
parmi nous
Assieds-toi au piano
et joue ces étranges Nocturnes
qui nous font quitter la Terre
chacun de tes doigts
traduisant les nuances
de l’âme
Compositeur de la désincarnation
venu de Pologne
qui mit son exil en musique
nous laissant le frisson
de son génie étoilé
il y a 9 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Rocker La mer des Caraïbes
berce de sa voix bleue
ton absence irréelle
Là-bas les larmes des êtres
que ton départ a brisés
sont ici essuyées
par la rumeur des vagues
grandes sœurs éternelles
gardiennes de ton sommeil
Johnny
tes chansons te regrettent
Elles émanaient de toi
comme le parfum d’une fleur
cette incommensurable fleur de la douleur
qui pousse
dans le labyrinthe du chagrin
de tes semblables
Quelque chose de toi inextinguible
en nous demeure
Et le bleu de ton regard
irradie nos mémoires
il y a 9 mois
K
Kamal Zerdoumi
@kamalZerdoumi
Une musicienne Dans son jeu maladroit
s’était logée mon âme de père
Son violon n’était pas un diamant vert
un simple instrument de pauvre
cadeau d’un raté ployant sous tant d’hivers
Aujourd’hui elle abandonne la musique
Tel est son désir
pour moi une nouvelle tragique
Je croyais en cette chance
qui ne me fut pas donnée
d’avoir une enfant
musicienne
maintenant rêve mort-né
Tes pizzicatos résonneront longtemps encore
dans ma mémoire
Ce soir je me sens en parfait accord
avec mon désespoir
il y a 9 mois
L
Laetitia Sioen
@laetitiaSioen
Le pianiste Clé de sol au matin,
La première note résonne dans un silence.
Ses longs doigts effleurent les touches,
Le do crescendo confond le noir et le blanc.
D’accroche coeur en croche à tête,
La corde raide vibre au fur et à mesure.
Son visage charge la mélodie,
Les lignes de partition vide se courbent.
Ses mains courent et s’arrêtent,
Le son du ventre de la baleine résonne encore.
Dans un dernier soupir,
Il se dresse et s’incline pour une dernière révérence.
il y a 9 mois
Louise Labé
@louiseLabe
Tant que mes yeux pourront larmes épandre Tant que mes yeux pourront larmes épandre
A l'heur passé avec toi regretter,
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes grâces chanter ;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre,