Titre : En circulant dans mon corps
Auteur : Henri Michaux
En ce temps-là, la peur que je ne connaissais plus depuis dix ans, la peur à nouveau me commanda.
D'un mal sourd d'abord, mais qui, quand il vient enfin, vient comme l'éclair, comme le souffle qui désagrège les édifices, la peur m'occupa.
Ma peur songeant à ma main qui dans un avenir proche devait se figer, cet avenir à l'instant fut; et ma main se figea, ne pouvant plus retenir un objet.
Ma peur pensant la nécrose des extrémités, aussitôt mes pieds se glacèrent et, la vie les quittant, se trouvèrent comme tronçonnées de mon corps.
Un barrage catégorique m'en tenait désormais éloigné.
Déjà j'abandonnais ces mottes qui seulement pour peu de temps encore devaient s'appeler mes pieds, me promettant des douleurs terribles, avant de s'en aller, et après, étant
partis...
Ma peur ensuite allant à ma tête, en moins de deux, un mal fulgurant me sabra le crâne et s'en suivit une défaillance telle que j'eusse reculé devant l'effort pour
retrouver mon nom.
Ainsi je circulais en angoisse dans mon corps affolé, excitant des chocs, des arrêts, des plaintes.
J'éveillai les reins, et ils eurent mal.
Je réveillai le colon, il pinça; le cœur, il dégaina.
Je me dévêtais la nuit, et dans les tremblements j'inspectais ma peau, dans l'attente du mal qui allait la crever.
Un chatouillement froid m'alertait tantôt ici, tantôt là, un chatouillement froid à toutes les zones de moi.
La guerre venait de finir et je cessais de me remparer, quand la peur qui n'attend qu'un soulagement pour paraître, la peur entra en moi en tempête et dès lors ma guerre
commença.