Titre : C'est le courage des hommes qui est démis
Auteur : Aimé Césaire
L'extraordinaire téléphonie du feu central aux nébuleuses installée en une seconde et pour quels ordres !
La pluie, c'est la manière rageuse dès maintenant et dès ici de biffer tout ce qui existe, tout ce qui a été créé, crié, dit, menti, sali.
Où a-t-on pris que la pluie tombe ?
C'est le courage des hommes qui est démis.
La pluie est toujours de tout cœur.
La pluie exulte.
C'est une levée en masse de l'inspiration, un sursaut des sommeils tropicaux ; un en-avant de lymphes ; une frénésie de chenilles et de facules ; un assaut tumultueux contre tout
ce qui se terre dans les garennes ; la lancée à contre-sens des gravitations de mille folles munitions et des tur-ra-mas qui sautent en avançant - hippocampes vers les enfin et
les faubourgs.
Enfin!
L'arbre pète à la grenade.
La roche éclate.
Tendresse : de loin en loin ce grand repos.
Tendresse : de loin en loin cet orchestre qui joue et entrelace des pas comme de l'osier qu'on tresse.
Tendresse, mais celle des tortures adorables : la mise en marche d'un incendie de vilebrequins qui forent et forcent le vide à crier étoile.
C'est du sang.
Du reste on comprend mal comment ça suffit à alimenter la formidable dévolution de chevaux qui de crête en crête rebroussent l'élan des ravins.
Il n'y a plus de royauté.
Et l'invention est perpétuelle de chants d'extase, de prières écourtées, de cérémonial minutieux d'araigne, de scies qui clapotent, de chevelures
dénouées, de lampes de mosquée en verre émaillé qui s'entrechoquent, de mers qui filent et refluent, d'alambics, de serpentins qui à toute vapeur claironnent les
condensations inoubliables.
Certes inoubliables.
Une danse de sagaies comme on n'en a jamais vu et dix mille drapeaux de victoire arrachés aux cétacés et que la terre agite.
La vigne de la colère a colporté jusqu'au ciel l'alcool de son repos et du salut.