Titre : De l'hiver
Auteur : Eugène Guillevic
C'est comme écrit
Entre ciel et terre, dans des gris,
Inscrit sur quelque chose
Qui tient du ciel et de sa banlieue.
Il n'y a plus
Qu'à déchiffrer.
En soi-même surtout,
Probablement.
Chercher de quoi
S'y consacrer.
En somme tout ce gris
Au long cours dans l'hiver
Doit dépenser son temps
A se trouver des formes.
Il n'y aurait qu'à ouvrir,
Et ce serait différent.
Il n'y a qu'à penser
Qu'il suffirait d'ouvrir,
Et c'est tout différent.
Faire usage
De cela qui, en toi,
Ne fait encore qu'assister
A ce que tu regardes
Et qu'intéressera
Ce que tu vas pouvoir tirer
De ce spectacle et par-delà.
Tout ce qu'il y a
Comme gris dans l'hiver,
Toutes ces espèces de gris,
Tout ce qui va
Du presque blanc parfois de certains coins de ciel
Au plus foncé des terres, des lointains, des nuages.
Tous ces gris sont encore
Pour le inonde un moyen
De s'essayer semblable
A qui se croit heureux
De n'avoir pas en lui
Plus que des déchirures,
Et qui toujours espère
Se voir sans trop d'effort
Remodelé bientôt
Sur son noyau de joie.
Dans l'hiver aussi
Il y a des charnières.
Il faut bien qu'il y en ait
Puisque tout cela s'ouvrira.
La terre a beau maintenant
Se couvrir d'hiver pour se cacher,
Il y a de la lumière de plus tard qui entre,
Du noir qui retourne vers ses tréfonds.
Il n'est pas toujours facile de cacher
Sa force et l'assurance
Que ce n'est pas fini.
Ce qui roule dans l'hiver
Avec un bruit plus ou moins ouaté,
Ce qui roule continuellement
Comme si c'était une condamnation.
Il semblerait que cela
Coule vers un crible qui, lui, ne bouge pas,
Que ceux qui ne pourront passer
Ne rouleront plus,
Mais tomberont d'un coup
Dans un abîme qui est sans cri.
Il y a une lumière
Qui parle de ceux
Qui ne sont pas encore
Dans le roulement,
Qui sont seulement
En route vers lui,
Et l'on voit bien
Que la lumière aimerait dire :
Ceux qui viendront, ceux-là
Ce ne sera pas pareil,
Il n'y a pas condamnation
Au roulement dans l'identique.
C'est curieux
Comme l'hiver se creuse
Et creuse,
Toujours plus profond, sinon plus large,
Et, à la fin,
Il y aura pourtant
Une grande surface plane
Qui ne portera pas trace de son travail,
Comme s'il s'était lui-même
Enseveli dedans.
Le printemps
A son porte-parole dans le coucou
Quand les bois reviennent de la préhistoire,
L'été dans l'hirondelle
Quand elle s'en prend au tissu du ciel.
L'automne aussi dans l'hirondelle
Quand elle rengaine ses ciseaux.
L'hiver a les corbeaux qui eux-mêmes s'étonnent
De leur présence et signifient
Que cela pourrait être pire, que tous ces gris
Pourraient être noirs comme eux,
Et c'est contre cela sans doute
Qu'ils ont ce cri venu d'un temps
Hors des quatre saisons.
On peut penser
Que derrière ou bien
Au sein de tous ces gris, dans l'intérieur
De ce qu'ils sont et qu'ils deviennent,
Il y a
Une masse de noir, un océan
Qui se cherche et tâtonne
Et qui ne peut
Percer la croûte ici ou là, venir
Que lorsqu'il abandonne en partie sa couleur,
Prend alors forme et mouvement,
Conscience un peu.
Car ce noir, ce n'est pas quelqu'un
Qui spéculerait, modèlerait, modulerait.
Il n'a conscience de rien
Tant qu'il n'a pas pris forme.
C'est du départ.
On voit émerger des poussées
De ce qui en dehors de l'hiver
Ne pourrait pas être aussi aigu
Que par exemple des glaçons,
Ne pourrait pas attaquer
Avec autant de force que le froid,
Avoir aussi peu
De remords que lui.
Et tout ce blanc de la neige pour nier
Ce que tant d'autres si longtemps
Ont essayé de faire.
Il y a un temps pour tout,
Paraît dire la terre pendant l'hiver.
Ce n'est pas encore
Le moment de s'embrasser.
Cela viendra quand l'eau
Sera en état de se marier.
Tout le monde alors
Doit participer.
L'hiver est lourd des morts
Largués par les saisons
Tout au long de l'année,
Lesté des morts menés
S'englober dans les soutes
Qu'il traîne sur les fonds.
Ces morts que nous sentons
Monter, édulcorés,
De l'un à l'autre gris.
Il n'y a pas besoin
De beaucoup de couleur
Dans l'hiver, pour qu'elle compte.
Il suffit d'une tache, d'une traînée
De couleur, même pas violente.
Et la montée s'ébauche,
Et la verticale revendique.
Un orchestre
Veut accompagner.
D'où
Peut venir la douceur
Qu'il y a quand même
Dans l'hiver?
A quoi
Tient-elle?
Comment arrive-t-elle
Dans les teintes que prend le ciel,
Dans celles des champs,
Dans l'inclinaison des toits,
Dans leurs façons
De se répondre,
Dans l'air qu'ont les chemins
D'être contents
De trouver un village?
Il y a toujours
Noël qui arrive.
Il y a toujours dans le plus noir des noirs
De la lumière à supposer,
A voir déjà monter,
Même en dehors de soi,
Surtout lorsque la nuit où l'on patauge
Est la plus longue.
C'est un tunnel sans voûte
Qui débouche
Dès maintenant
Sur un enfant dans la lumière.
Il y a dans l'hiver
Beaucoup de canaux.
C'est un réseau
Qui doit faire entendre un grésillement
A ceux qui ont l'oreille fine.
Ce réseau pourrait ne véhiculer
Que de la lumière et du gris,
Mais il transporte aussi
Tous les secrets
Que la terre veut se cacher
Pendant l'hiver,
Des secrets
Pas tellement sûrs d'eux-mêmes.
La terre détrempée
Dans les sous-bois
Lassés d'eux-mêmes.
La terre
Qui ne pourrait tenir
Si elle devait longtemps
Rester ainsi, sans perspective.
On dirait qu'il arrive
Même à la terre
De s'ennuyer à mort.
Voici
Que je ne sais plus rien de l'hiver,
Que je suis coupé de lui.
Il n'y a plus
Que ma chambre et son silence.
Et sans doute
Il y a communication
Entre elle et lui.