Titre : Quelque ennui donc qu'en cette absence
Auteur : François de Malherbe
Quelque ennui donc qu'en cette absence
Avec une injuste licence
Le Destin me fasse endurer,
Ma peine lui semble petite
Si chaque jour il ne l'irrite
D'un nouveau sujet de pleurer !
Paroles que permet la rage
À l'innocence qu'on outrage,
C'est aujourd'hui votre saison ;
Faites-vous ouïr en ma plainte :
Jamais l'âme n'est bien atteinte,
Quand on parle avecque raison.
Ô fureurs dont même les Scythes
N'useraient pas vers des mérites
Qui n'ont rien de pareil à soi !
Madame est captive ; et son crime
C'est que je l'aime, et qu'on estime
Qu'elle en fait de même de moi.
Rochers où mes inquiétudes
Viennent chercher les solitudes
Pour blasphémer contre le sort,
Quoiqu'insensibles aux tempêtes,
Je suis plus rocher que vous n'êtes
De le voir et n'être pas mort.
Assez de preuves à la guerre,
D'un bout à l'autre de la terre,
Ont fait paraître ma valeur ;
Ici je renonce à la gloire,
Et ne veux point d'autre victoire
Que de céder à ma douleur.
Quelquefois les Dieux pitoyables
Terminent des maux incroyables :
Mais, en un lieu que tant d'appas
Exposent à la jalousie,
Ne serait-ce pas frénésie
De ne les en soupçonner pas ?
Qui ne sait combien de mortelles
Les ont fait soupirer pour elles,
Et, d'un conseil audacieux,
En bergers, bêtes et satyres,
Afin d'apaiser leurs martyres,
Les ont fait descendre des cieux ?
Non, non ; si je veux un remède,
C'est de moi qu'il faut qu'il procède,
Sans les importuner de rien :
J'ai su faire la délivrance
Du malheur de toute la France ;
Je la saurai faire du mien.
Hâtons donc ce fatal ouvrage ;
Trouvons le salut au naufrage ;
Et multiplions dans les bois
Les herbes dont les feuilles peintes
Gardent les sanglantes empreintes
De la fin tragique des rois.
Pour le moins, la haine et l'envie
Ayant leur rigueur assouvie,
Quand j'aurai clos mon dernier jour,
Oranthe sera sans alarmes,
Et mon trépas aura des larmes
De quiconque aura de l'amour.
À ces mots tombant sur la place,
Transi d'une mortelle glace,
Alcandre cessa de parler ;
La nuit assiégea ses prunelles ;
Et son âme, étendant les ailes,
Fut toute prête à s'envoler.
Que fais-tu, monarque adorable,
Lui dit un démon favorable ?
En quels termes te réduis-tu ?
Veux-tu succomber à l'orage,
Et laisser perdre à ton courage
Le nom qu'il a pour sa vertu ?
N'en doute point, quoi qu'il advienne,
La belle Oranthe sera tienne ;
C'est chose qui ne peut faillir.
Le temps adoucira les choses,
Et tous deux vous aurez des roses
Plus que vous n'en sauriez cueillir.