Titre : Le mal d'aimer
Auteur : Pierre de Ronsard
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ! ses beautés laissé choir ! vraiment, marâtre
Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir,
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous, bocages verts,
Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes,
Vallons bossus et plages blondoyantes ;
Et vous, rochers, les hôtes de mes vers :
Puisqu'au partir, rongé de soin et d'ire,
A ce bel œil l'adieu je n'ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi :
Je vous supplie,
Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le lui pour moi.
Quand au temple nous serons
Agenouillés, nous ferons
Les dévots, selon la guise
De ceux qui pour louer
Dieu,
Humbles, se courbent au lieu
Le plus secret de l'église.
Mais quand au lit nous serons
Entrelacés, nous ferons
Les lascifs, selon les guises
Des amants qui, librement,
Pratiquent folâtrement
Dans les draps cent mignardises.
Pourquoi doncque, quand je veux,
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloître enfermée ?
Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ton front, ta lèvre jumelle ?
En veux-tu baiser
Pluton
Là-bas, après que
Charon
T'aura mise en sa nacelle ?
Après ton dernier trépas,
Grêle, tu n'auras là-bas
Qu'une bouchette blêmie,
Et quand mort je te verrais
Aux
Ombres je n'avouerais
Que jadis tu fus m'amie.
Ton test n'aura plus de peau,
Ni ton visage si beau
N'aura veines ni artères :
Tu n'auras plus que les dents
Telles qu'on les voit dedans
Les têtes des cimetières.
Doncque, tandis que tu vis,
Change, maîtresse, d'avis
Et ne m'épargne ta bouche :
Incontinent tu mourras ;
Lors, tu te repentiras
De m'avoir été farouche.
Ah ! je meurs !
Ah, baise-moi !
Ah ! maîtresse, approche-toi !
Tu fuis comme un faon qui tremble ;
Au moins, souffre que ma main
S'ébatte un peu dans ton sein
Ou plus bas, si bon te semble.
(Amours de
Cassandre)
Vous triomphez de moi, et pour ce je vous donne
Ce lierre qui coule et se glisse à l'entour
Des arbres et des murs, lesquels, tour dessus tour,
Plis dessus plis il serre, embrasse et environne.
A vous de ce lierre appartient la couronne :
Je voudrais, comme il fait, et de nuit et de jour,
Me plier contre vous et, languissant d'amour,
D'un nœud ferme enlacer votre belle colonne.
Ne viendra point le temps que, dessous les rameaux,
Au matin où l'aurore éveille toutes choses,
En un ciel bien tranquille, au caquet des oiseaux,
Je vous puisse baiser à lèvres demi-closes
Et vous conter mon mal, et, de mes bras jumeaux,
Embrasser à souhait votre ivoire et vos roses ?
Il ne faut s'ébahir, disaient ces bons vieillards,
Dessus le mur troyen voyant passer
Hélène,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine :
Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards.
Toutefois il vaut mieux, pour n'irriter point
Mars,
La rendre à son époux, afin qu'il la remmène,
Que voir de tant de sang notre campagne pleine,
Notre havre gagné, l'assaut à nos remparts.
Pères, il ne fallait (à qui la force tremble)
Par un mauvais conseil les jeunes retarder :
Mais, et jeunes et vieux vous deviez tous ensemble
Pour elle corps et biens et ville hasarder.
Ménélas fut bien sage, et
Paris, ce me semble,
L'un de la demander, l'autre de la garder.
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui, au bruit de mon nom, ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Maîtresse, embrasse-moi, baise-moi, serre-moi,
Haleine contre haleine, échauffe-moi la vie,
Mille et mille baisers donne-moi, je te prie :
Amour veut tout sans nombre,
Amour n'a point de loi.
Baise et rebaise-moi ; belle bouche, pourquoi
Te gardes-tu là-bas, quand tu seras blêmie,
A baiser de
Pluton ou la femme ou l'amie,
N'ayant plus ni couleur, ni rien semblable à toi ?
En vivant presse-moi de tes lèvres de rose,
Bégaye, en me baisant, à lèvres demi-closes,
Mille mots tronçonnés, mourant entre mes bras.
Je mourrai dans les tiens, puis, toi ressuscitée,
Je ressusciterai ; allons ainsi là-bas ;
Le jour, tant soit-il court, vaut mieux que la nuitée.
Rossignol, mon mignon, qui par cette saulaie,
Vas seul de brariche en branche à ton gré voletant,
Et chantes à
Y envi de moi qui vais chantant
Celle qu'il faut toujours que dans la bouche j'aie,
Nous soupirons tous deux : ta douce voix s'essaie
De sonner les amours d'une qui t'aime tant,
Et moi, triste, je vais la beauté regrettant
Qui m'a fait dans le cœur une si aigre plaie.
Toutefois, rossignol, nous différons d'un point :
C'est que tu es aimé, et je ne le suis point,
Bien que tous deux ayons les musiques pareilles ;
Car tu fléchis t'amie au doux bruit de tes sons,
Mais la mienne, qui prend à dépit mes chansons,
Pour ne les écouter, se bouche les oreilles.
Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies :
Qui ne les eût à ce vespre cueillies,
Chutes à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flétries
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma
Dame :
Las !
Le temps non, mais nous nous en allons
Et tôt serons étendus sous la lame,
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle.
Nuit, des amours ministre, et ministre fidèle
Des arrêts de
Vénus et des saintes lois d'elle,
Qui, secrète, accompagnes
L'impatient ami de l'heure accoutumée, Ô mignonne des dieux, mais plus encore aimée
Des étoiles compagnes,
Nature de tes dons honore l'excellence,
Tu caches les plaisirs dessous muet silence
Que l'amour jouissante
Donne, quand ton obscur étroitement assemble
Les amants embrassés, et qu'ils tombent ensemble
Sous l'ardeur languissante.
Lorsque la main tâtonne ores la cuisse, et ores
Le tétin pommelu qui ne s'égale encore
A nul rubis qu'on voie,
Et la langue, en errant sur la joue et la face,
Plus d'odeurs et de fleurs d'un seul baiser amasse
Que l'Orient n'envoie,
C'est toi qui les soucis et les gênes mordantes,
Et tout le soin enclos en nos âmes dolentes
Par ton présent arraches.
C'est toi qui rends la vie aux vergers qui languissent,
Aux jardins la rosée et aux deux qui noircissent
Les idoles attaches.
Mets, s'il te plaît,
Déesse, une fin à ma peine
Et dompte sous mes bras celle qui m'est trop pleine
De menaces cruelles,
Afin que de ses yeux, yeux qui captif me tiennent,
Les trop ardents flambeaux plus brûler ne me viennent
Le fond de mes moelles.