Titre : Corps du Vendredi
Auteur : Jean-Claude Renard
Corps du vendredi — s'en vont dans ton corps tous les corps d'ici condamnés à mort.
S'en vont vers le lit des jeunes rivières chercher ton pays sous la menthe amère.
Comme des brebis vers l'herbage fort, s'en vont à la mort où le pain est cuit.
Et leur amour bouge le long de la ville comme du persil sur les pierres rouges.
S'en vont aux fontaines laver le varech, les corps dans ta laine chargés de bois sec.
Et les feuilles poussent sous tes pieds brûlés. Ô grand corps tombé sur les ossements,
ils vont vers la mer les corps dans ta chair !
Et la
Mère est douce autour de leur sang.
Corps du vendredi,
— les corps poissonneux sous le bois coupé
s'en vont vers ta nuit et vers ton secret, s'en vont vers la nuit où mûrit le feu.
S'en vont dans tes os vers la haute mort au milieu du fleuve,
— la face essuyée.
S'en vont chercher l'or salés comme agneaux et la tête en terre.
Et les lunes neuves naissent de leurs plaies et de leur mystère.
Dehors est l'anis.
Dehors sont les femmes qu'ils ont consolées,
— dehors et dedans.
Et l'étrange pluie toujours revenue est sur eux ta manne, tes mains, l'iode blanc des vrais alchimistes.
Couchés dans ton corps, debout dans ton corps jusqu'au soleil triste, ils vont vers le roi.
Ils vont au pays de cuir et de soie,
— le corps mis à nu.
Le corps attaché s'en vont sur le bois vers les forêts roses.
S'en vont dans ton corps le corps assoiffé,
le corps desséché s'en vont dans la mort qui métamorphose, s'en vont dans ta mort vers l'eau et le lait, vers la noire ruche où le corps qui mange se fait miel vivant.
Et le vin d'orange
est frais dans la cruche.
Corps du vendredi,
— les corps crucifiés
s'en vont rassembler dans ton corps ouvert comme une prairie les lions et les cerfs.
Les corps transpercés qui lavent les morts s'en vont dans ton corps, s'en vont dans ton sang prendre la beauté des corps transparents.
Aux corps dans les noces s'en vont avec toi les corps dépendus.
S'en vont vers la force que la mer salue sous leurs os étroits.
S'en vont embaumés dans l'huile et le lin délivrer les morts, sortir des sommeils et changer en or les amours anciens.
Et les verts soleils sont leurs aromates.
O corps en semence au milieu du monde où la joie se hâte, — tous les corps entrés dans la ressemblance
s'en vont vers le blé, s'en vont sous la terre commencer l'été que ta mort mûrit, s'en vont dans ta mort préparer le monde à se transmuer, préparer le corps
à ressusciter !
Et déjà l'Esprit descelle la pierre.