Titre : L’hyver
Auteur : Théodore Agrippa d'Aubigné
Mes volages humeurs, plus sterilles que belles,
S’en vont ; et je leur dis : Vous sentez, irondelles,
S’esloigner la chaleur et le froid arriver.
Allez nicher ailleurs, pour ne tascher, impures,
Ma couche de babil et ma table d’ordures ;
Laissez dormir en paix la nuict de mon hyver.
D’un seul poinct le soleil n’esloigne l’hemisphere ;
Il jette moins d’ardeur, mais autant de lumiere.
Je change sans regrets, lorsque je me repens
Des frivoles amours et de leur artifice.
J’ayme l’hyver qui vient purger mon cœur de vice,
Comme de peste l’air, la terre de serpens.
Mon chef blanchit dessous les neiges entassées.
Le soleil, qui reluit, les eschauffe, glacées,
Mais ne les peut dissoudre, au plus court de ses mois.
Fondez, neiges ; venez dessus mon cœur descendre,
Qu’encores il ne puisse allumer de ma cendre
Du brazier, comme il fit des flammes autrefois.
Mais quoi ! serai-je esteint devant ma vie esteinte ?
Ne luira plus sur moi la flamme vive et sainte,
Le zèle flamboyant de la sainte maison ?
Je fais aux saints autels holocaustes des restes,
De glace aux feux impurs, et de naphte aux celestes :
Clair et sacré flambeau, non funebre tison !
Voici moins de plaisirs, mais voici moins de peines.
Le rossignol se taist, se taisent les Sereines.
Nous ne voyons cueillir ni les fruits ni les fleurs ;
L’esperance n’est plus bien souvent tromperesse,
L’hyver jouit de tout. Bienheureuse vieillesse
La saison de l’usage, et non plus des labeurs !
Mais la mort n’est pas loin ; cette mort est suivie
D’un vivre sans mourir, fin d’une fausse vie :
Vie de nostre vie, et mort de nostre mort.
Qui hait la seureté, pour aimer le naufrage ?
Qui a jamais esté si friant de voyage
Que la longueur en soit plus douce que le port ?