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Guerre

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Guerre

Poésies de la collection guerre

    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

    @casimirDelavigne

    Le jeune diacre, ou la Grèce chrétienne À M. Pouqueville De Messène au cercueil fille auguste et plaintive, Muse des grands revers et des nobles douleurs, Désertant ton berceau, tu pleuras nos malheurs ; Comme la Grèce alors la France était captive… De Messène au cercueil fille auguste et plaintive, Reviens sur ton berceau, reviens verser des pleurs. Entre le mont évan et le cap de Ténare, La mer baigne les murs de la triste Coron ; Coron, nom malheureux, nom moderne et barbare, Et qui de Colonis détrôna le beau nom. Les grecs ont tout perdu : la langue de Platon, La palme des combats, les arts et leurs merveilles, Tout, jusqu’aux noms divins qui charmaient nos oreilles. Ces murs battus des eaux, à demi renversés Par le choc des boulets que Venise a lancés, C’est Coron. Le croissant en dépeupla l’enceinte ; Le turc y règne en paix au milieu des tombeaux. Voyez-vous ces turbans errer sur les créneaux ? Du profane étendard qui chassa la croix sainte Voyez-vous, sur les tours, flotter les crins mouvans ? Entendez-vous, de loin, la voix de l’infidèle, Qui se mêle au bruit sourd de la mer et des vents ? Il veille, et le mousquet dans ses mains étincelle. Au bord de l’horizon le soleil suspendu Regarde cette plage, autrefois florissante, Comme un amant en deuil, qui, pleurant son amante, Cherche encor dans ses traits l’éclat qu’ils ont perdu, Et trouve, après la mort, sa beauté plus touchante. Que cet astre, à regret, s’arrache à ses amours ! Que la brise du soir est douce et parfumée ! Que des feux d’un beau jour la mer brille enflammée ! … Mais pour un peuple esclave il n’est plus de beaux jours. Qu’entends-je ? C’est le bruit de deux rames pareilles, Ensemble s’élevant, tombant d’un même effort, Qui de leur chute égale ont frappé mes oreilles. Assis dans un esquif, l’œil tourné vers le bord, Un jeune homme, un chrétien, glisse sur l’onde amère. Il remplit dans le temple un humble ministère : Ses soins parent l’autel ; debout sur les degrés, Il fait fumer l’encens, répond aux mots sacrés, Et présente le vin durant le saint mystère. Les rames de sa main s’échappent à la fois ; Un luth qui les remplace a frémi sous ses doigts. Il chante… Ainsi chantaient David et les prophètes ; Ainsi, troublant le cœur des pâles matelots, Un cri sinistre et doux retentit sur les flots, Quand l’alcyon gémit, au milieu des tempêtes : « Beaux lieux, où je n’ose m’asseoir, Pour vous chanter dans ma nacelle Au bruit des vagues, chaque soir, J’accorde ma lyre fidèle ; Et je pleure sur nos revers, Comme les hébreux dans les fers, Quand Sion descendit du trône, Pleuraient au pied des saules verts Près les fleuves de Babylone. Mais dans les fers, seigneur, ils pouvaient t’adorer ; Du tombeau de leur père ils parlaient sans alarmes ; Souffrant ensemble, ensemble ils pouvaient espérer : Il leur était permis de confondre leurs larmes : Et je m’exile pour pleurer. « Le ministre de ta colère Prive la veuve et l’orphelin Du dernier vêtement de lin Qui sert de voile à leur misère. De leurs mains il reprend encor, Comme un vol fait à son trésor, Un épi glané dans nos plaines ; Et nous ne buvons qu’à prix d’or L’eau qui coule de nos fontaines. « De l’or ! Ils l’ont ravi sur nos autels en deuil ; Ils ont brisé des morts la pierre sépulcrale, Et de la jeune épouse écartant le linceuil, Arraché de son doigt la bague nuptiale, Qu’elle emporta dans le cercueil. « Ô nature, ta voix si chère S’éteint dans l’horreur du danger ; Sans accourir pour le venger, Le frère voit frapper son frère ; Aux tyrans qu’il n’attendait pas Le vieillard livre le repas Qu’il a dressé pour sa famille ; Et la mère, au bruit de leurs pas, Maudit la beauté de sa fille. « Le lévite est en proie à leur férocité ; Ils flétrissent la fleur de son adolescence, Ou, si d’un saint courroux son cœur s’est révolté, Chaste victime, il tombe avec son innocence Sous le bâton ensanglanté. « Les rois, quand il faut nous défendre, Sont avares de leurs soldats. Ils se disputent des états, Des peuples, des cités en cendre ; Et tandis que, sous les couteaux, Le sang chrétien, à longs ruisseaux, Inonde la terre où nous sommes, Comme on partage des troupeaux, Les rois se partagent des hommes. « Un récit qui s’efface, ou quelques vains discours, À des indifférens parlent de nos misères, Amuse de nos pleurs l’oisiveté des cours : Et nous sommes chrétiens, et nous avons des frères, Et nous expirons sans secours ! « L’oiseau des champs trouve un asile Dans le nid qui fut son berceau, Le chevreuil sous un arbrisseau, Dans un sillon le lièvre agile ; Effrayé par un léger bruit, Le ver qui serpente et s’enfuit Sous l’herbe ou la feuille qui tombe, Échappe au pied qui le poursuit… Notre asile à nous, c’est la tombe ! « Heureux qui meurt chrétien ! Grand dieu, leur cruauté Veut convertir les cœurs par le glaive et les flammes Dans le temple où tes saints prêchaient la vérité, Où de leur bouche d’or descendaient dans nos ames L’espérance et la charité. « Sur ce rivage, où des idoles S’éleva l’autel réprouvé, Ton culte pur s’est élevé Des semences de leurs paroles. Mais cet arbre, enfant des déserts, Qui doit ombrager l’univers, Fleurit pour nous sur des ruines, Ne produit que des fruits amers, Et meurt tranché dans ses racines. « Ô dieu, la Grèce libre en ses jours glorieux N’adorait pas encor ta parole éternelle ; Chrétienne, elle est aux fers, elle invoque les cieux. Dieu vivant, seul vrai dieu, feras-tu moins pour elle Que Jupiter et ses faux dieux ? » Il chantait, il pleurait, quand d’une tour voisine Un musulman se lève, il court, il est armé. Le turban du soldat sur son mousquet s’incline, L’étincelle jaillit, le salpêtre a fumé, L’air siffle, un cri s’entend… L’hymne pieux expire. Ce cri, qui l’a poussé ? Vient-il de ton esquif ? Est-ce toi qui gémis, Lévite ? Est-ce ta lyre Qui roule de tes mains avec ce bruit plaintif ? Mais de la nuit déjà tombait le voile sombre ; La barque, se perdant sous un épais brouillard, Et sans rame, et sans guide, errait comme au hasard ; Elle resta muette et disparut dans l’ombre. La nuit fut orageuse. Aux premiers feux du jour, Du golfe avec terreur mesurant l’étendue, Un vieillard attendait, seul, au pied de la tour. Sous des flocons d’écume un luth frappe sa vue, Un luth qu’un plomb mortel semble avoir traversé, Qui n’a plus qu’une corde à demi détendue, Humide et rouge encor d’un sang presque effacé. Il court vers ce débris, il se baisse, il le touche… D’un frisson douloureux soudain son corps frémit ; Sur les tours de Coron il jette un œil farouche ! Veut crier… La menace expire dans sa bouche ; Il tremble à leur espect, se détourne et gémit. Mais du poids qui l’oppresse enfin son cœur se lasse ; Il fuit des yeux cruels qui gênent ses douleurs ; Et regardant les cieux, seul témoin de ses pleurs, Le long des flots bruyans il murmure à voix basse : « Je t’attendais hier, je t’attendis long-temps ; tu ne reviendras plus, et c’est toi qui m’attends ! »

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    Casimir Delavigne

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    Les troyennes Aux bords du Simoïs, les Troyennes captives Ensemble rappelaient, par des hymnes pieux, De leurs félicités les heures fugitives, Et, le deuil sur le front, les larmes dans les yeux, Adressaient de leurs voix plaintives Aux restes d’Ilion ces éternels adieux : CHŒUR D’un peuple d’exilés déplorable patrie, Ton empire n’est plus, et ta gloire est flétrie. UNE TROYENNE Des rois voisins puissant recours, Que de fois Ilion s’arma pour leur défense ! D’un peuple heureux l’innombrable concours S’agitait dans les murs de cette ville immense : Ses tours bravaient des ans les progrès destructeurs, Et, fondés par les dieux, ses temples magnifiques Touchaient de leurs voûtes antiques Au séjour de leurs fondateurs. UNE TROYENNE Cinquante fils, l’honneur de Troie, Assis au banquet paternel, Environnaient Priam de splendeur et de joie ; Heureux père, il croyait son bonheur éternel ! UNE AUTRE Royal espoir de ta famille, Hector, tu prends le bouclier, Sur ton sein la cuirasse brille, Le fer couvre ton front guerrier. Aux yeux d’Hécube, qui frissonne, Dans les jeux obtiens la couronne, Pour en couvrir ses cheveux blancs ; Du ciel allumant la colère, Déjà le crime de ton frère T’apprête des jeux plus sanglants. UNE JEUNE FILLE Polyxène disait à ses jeunes compagnes : Dépouillez ce vallon favorisé des cieux ; C’est pour nous que les fleurs naissent dans ces campagnes ; Le printemps sourit à nos jeux. Elle ne disait pas : Vous plaindrez ma misère Sur ces bords où mes jours coulent dans les honneurs ; Elle ne disait pas : Mon sang teindra la terre Où je cueille aujourd’hui des fleurs. CHŒUR D’un peuple d’exilés déplorable patrie, Ton empire n’est plus, et ta gloire est flétrie. UNE TROYENNE Sous l’azur d’un beau ciel, qui promet d’heureux jours, Quel est ce passager dont la nef couronnée, Dans un calme profond, s’avance abandonnée Au souffle des Amours ? UNE AUTRE Il apporte dans nos murailles Le carnage et les funérailles. Neptune, au fond des mers que ton trident vengeur Ouvre une tombe à l’adultère ! Et vous, dieux de l’Olympe, ordonnez au tonnerre De dévorer le ravisseur. UNE TROYENNE Mais non, le clairon sonne et le fer étincelle ; Je vois tomber les rocs, j’entends siffler les dards ; Dans les champs dévastés le sang au loin ruisselle, Les chars sont heurtés par les chars. Achille s’élance, Il vole, tout fuit, L’horreur le devance, Le trépas le suit, La crainte et la honte Sont dans tous les yeux, Hector seul affronte Achille et les dieux. UNE AUTRE Sur les restes d’Hector qu’on épanche une eau pure. Apportez des parfums, faites fumer l’encens. Autour de son bûcher, vos sourds gémissements Forment un douloureux murmure ; Ah ! gémissez, Troyens ! soldats, baignez de pleurs Une cendre si chère !… Des fleurs ! vierges, semez des fleurs ! Hector dans le tombeau précède son vieux père. CHŒUR Des fleurs ! vierges, semez des fleurs ! Hector dans le tombeau précède son vieux père. UNE TROYENNE Ilion, Ilion, tu dors, et dans tes murs Pyrrhus veille enflammé d’une cruelle joie ; Tels que des loups errants par des sentiers obscurs, Les Grecs viennent saisir leur proie. UNE AUTRE Hélas ! demain à son retour Le soleil pour Argos ramènera le jour ; Mais il ne luira plus pour Troie. UNE TROYENNE 0 détestable nuit ! ô perfide sommeil ! D’où vient qu’autour de moi brille une clarté sombre ? Quels affreux hurlements se prolongent dans l’ombre ? Quel épouvantable réveil ! UNE JEUNE TROYENNE Sthénélus massacre mon frère. UNE JEUNE TROYENNE Ajax poursuit ma sœur dans les bras de ma mère. UNE AUTRE Ulysse foule aux pieds mon père. UNE TROYENNE Nos palais sont détruits, nos temples ravagés ; Femmes, enfants, vieillards, sous le fer tout succombe, Par un même trépas dans une même tombe Tous les citoyens sont plongés. UNE AUTRE Adieu, champs où fut Troie ; adieu, terre chérie, Et vous, mânes sacrés des héros et des rois, Doux sommets de l’Ida, beau ciel de la patrie, Adieu pour la dernière fois ! UNE TROYENNE Un jour, en parcourant la plage solitaire, Des forêts le tigre indompté Souillera de ses pas l’auguste sanctuaire, Séjour de la divinité. UNE TROYENNE Le pâtre de l’Ida, seul près d’un vieux portique, Sous les rameaux sanglants du laurier domestique, Où l’ombre de Priam semble gémir encor, Cherchera des cités l’antique souveraine, Tandis que le bélier bondira dans la plaine Sur le tombeau d’Hector. UNE AUTRE Et nous, tristes débris, battus par les tempêtes, La mer nous jettera sur quelque bord lointain. UNE AUTRE Des vainqueurs nous verrons les fêtes, Nous dresserons aux Grecs la table du festin. Leurs épouses riront de notre obéissance ; Et dans les coupes d’or où buvaient nos aïeux, Debout, nous verserons aux convives joyeux Le vin, l’ivresse et l’arrogance. UNE TROYENNE Chantez cette Ilion proscrite par les dieux ; Chantez, nous diront-ils, misérables captives, Et que l’hymne troyen retentisse en ces lieux. 0 fleuves d’Ilion, nous chantions sur vos rives, Quand des murs de Priam les nombreux citoyens, Enrichis dans la paix, triomphaient dans la guerre ; Mais les hymnes troyens Ne retentiront plus sur la rive étrangère ! UNE AUTRE Si tu veux entendre nos chants, Rends-nous, peuple cruel, nos époux et nos pères, Nos enfants et nos frères ! Fais sortir Ilion de ses débris fumants ! Mais puisque nul effort aujourd’hui ne peut rendre La splendeur à Pergame en cendre, La vie aux guerriers phrygiens, Sans cesse nous voulons pleurer notre misère, Et les hymnes troyens Ne retentiront pas sur la rive étrangère. CHŒUR Adieu, mânes sacrés des héros et des rois ! Adieu, terre chérie ! Doux sommet de l’Ida, beau ciel de la patrie, Vous entendez nos chants pour la dernière fois !

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    Casimir Delavigne

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    Tyrtée aux Grecs « Le soleil a paru : sa clarté menaçante Du fer des boucliers jaillit en longs reflets. Les guerriers sont debout, immobiles, muets ; Ils pressent de leurs dents leur lèvre frémissante. Tous, pleins d’un vague effroi qu’ils ont peine à cacher, Attendent le péril, sans pouvoir le chercher. Moment d’un siècle ! Horrible attente ! Ah ! Quand donnera-t-on le signal de marcher ? Vieillard, garde ton rang… Mais il court, il s’écrie : « Le signal est donné de vaincre ou de mourir ; Ma vie est mon seul bien, je l’offre à la patrie : Liberté, je cours te l’offrir. » Opprobre à tout guerrier dans la vigueur de l’âge, Qui s’enfuit comme un lâche en spectacle au vainqueur, Tandis que ce vieillard prodigue avec courage Un reste de vieux sang qui réchauffait son cœur ! Sous les pieds des coursiers il se dresse, il présente Sa barbe blanchissante, L’intrépide pâleur de son front irrité ; Tombe, expire ; et le fer, qu’il voit sans épouvante, De sa bouche expirante Arrache avec son ame un cri de liberté. Liberté ! Liberté ! Viens, reçois sa grande ame ! Devance nos coursiers sur tes ailes de flamme ; Viens, liberté, marchons. Aux vautours dévorans Que nos corps, si tu veux, soient jetés en pâture : Il est cent fois plus doux de rester dans tes rangs, Vaincus, morts et sans sépulture, Que de vaincre pour les tyrans. Gloire à nous ! Gloire au courage ! Gloire à nos vaillans efforts ! A nous le champ du carnage ! A nous les restes des morts ! Rapportons dans nos murailles Ceux qu’aux glaives des batailles Le dieu Mars avait promis : Citoyens, voilà vos frères ! Ils ont pour lits funéraires Les drapeaux des ennemis. Survivre à sa victoire, ô douce et noble vie ! Mourir victorieux, ô mort digne d’envie ! Il rentre sans blessure, et non pas sans lauriers, L’heureux vengeur de nos dieux domestiques. Quels bras reconnaissans ont dressé ces portiques ? Que de fleurs sur ses pas ! Que d’emblèmes guerriers ! Le peuple, aux jeux publics où ce héros préside, Se lève devant son appui ; Le vieillard lui fait place, et la vierge timide Le montre à sa compagne en murmurant : c’est lui ! Il rentre le vainqueur, mais porté sur ses armes. Est-il pour son bûcher d’appareil assez beau ? Pour le pleurer est-il assez de larmes ? Est-il marbre assez pur pour orner son tombeau ? Ses exploits sont chantés, sa mémoire est chérie ; Il monte au rang des dieux qu’adore la patrie. Elle comble d’honneurs ses mânes triomphans, Et son père, et ses fils, et sa famille entière, Et les enfans de ses enfans Dans leur postérité dernière. » Debout, la lyre en main, à l’aspect des deux camps, Ainsi chantait le vieux Tyrtée. Pour la Grèce ressuscitée Que ne puis-je aujourd’hui ressusciter ses chants ! Je vous dirais, ô grecs, ressemblez à vos pères : Soyez libres comme eux, ou mourez en héros. Jadis vous combattiez vos frères, Et vous combattez vos bourreaux. Ils viennent ! Aux clartés dont la mer se colore J’ai reconnu leurs pavillons. Quel volcan a lancé ces épais tourbillons ? Dans l’ombre de la nuit quelle effroyable aurore ! … La dernière pour toi, que la flamme dévore, Chio, tu vois tomber tes pieux monumens. Ils tombent ces palais que l’art en vain décore ; Et de ces bois en fleurs, où de tendres sermens Hier retentissaient encore, Sortent de longs gémissemens. Ouvrez les yeux, ô grecs ! O grecs, prêtez l’oreille : Vous verrez le tombeau, vous entendrez les cris De tout un peuple qui s’éveille, Poursuivi par le fer, la foudre et les débris ; Vous verrez une plage horrible, inhabitée, Où, chassé par les feux vainqueurs de ses efforts, Le flot qui se recule en roulant sur des morts, Laisse une écume ensanglantée. Vengez vos frères massacrés, Vengez vos femmes expirantes ; Les loups se sont désaltérés Dans leurs entrailles palpitantes. Vengez-les, vengez-vous ! … Ténédos ! Ténédos ! Deux esquifs à ta voix ont sillonné les flots : Tels, vomis par ton sein sur la plaine azurée, S’avançaient ces serpens hideux, Se dressant, perçant l’air de leur langue acérée, De leurs anneaux mouvans fouettant l’onde autour d’eux, Quand la triste Ilion les vit sous ses murailles, À leur triple victime attachés tous les deux, La saisir, l’enlacer de leurs flexibles nœuds, L’emprisonner dans leurs écailles. Tels et plus terribles encor, Ces deux esquifs de front fendent les mers profondes. De vos rames battez les ondes, Allez, vers ce vaisseau cinglez d’un même essor. L’incendie a glissé sous la carène ardente ; Il se dresse à la poupe, il siffle autour des flancs ; De cordage en cordage il s’élance, il serpente, Enveloppe les mâts de ses replis brûlans ; De sa langue de feu, qui s’alonge à leur cime, Saisit leurs pavillons consumés dans les airs, Et, pour la dévorer, embrassant la victime Avec ses mâts rompus, ses ponts, ses flancs ouverts, Ses foudres, ses nochers engloutis par les mers, S’enfonce en grondant dans l’abîme. Ah ! Puisses-tu toujours triompher et punir ! Ce sont mes vœux, ô Grèce, et, devançant l’histoire, Jadis l’heureux Tyrtée eût prédit ta victoire. Alors c’était le temps cher à ton souvenir, Où les amans des filles de mémoire, Comme dans le passé lisaient dans l’avenir. Mais du jour qu’infidèle à ces vierges célestes, Leur hommage adultère a cherché les tyrans, Du jour qu’ils ont changé leurs parures modestes Contre quelques lambeaux de la pourpre des grands, Qu’ils ont d’un art divin profané les miracles, En illustrant le vice, en consacrant l’erreur, À leur bouche vénale Apollon en fureur A ravi le don des oracles. Condamne-toi, ma muse, à de stériles vœux : Mais refuse tes chants aux oppresseurs heureux. Que de la vérité tes vers soient les esclaves ; De ses chastes faveurs faisons nos seuls amours ; Sans orgueil préférons toujours Une pauvreté libre à de riches entraves ; Et si quelque mortel justement respecté Entend frémir pour lui les cordes de ma lyre, Ô ma muse ! Qu’il puisse dire : « S’il ne m’admirait pas, il ne m’eût pas chanté ! »

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    Casimir Delavigne

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    Une semaine à Paris Aux Français Debout ! mânes sacrés de mes concitoyens ! Venez ; inspirez-les, ces vers où je vous chante. Debout, morts immortels, héroïques soutiens De la liberté triomphante ! Brûlant, désordonné, sans frein dans son essor, Comme un peuple en courroux qu’un même cri soulève, Que cet hymne vers vous s’élève De votre sang qui fume encor ! Quels sont donc les malheurs que ce jour nous apporte ? — Ceux que nous présageaient ses ministres et lui. — Quoi ! malgré ses serments ! — Il les rompt aujourd’hui… — Le ciel les a reçus.— Et le vent les emporte. — Mais les élus du peuple ?… — Il les a cassés tous. — Les lois qu’il doit défendre ? — Esclaves comme nous. — Et la pensée ? — Aux fers. — Et la liberté ? — Morte. — Quel était notre crime ? — En vain nous le cherchons. — Pour mettre en interdit la patrie opprimée, Son droit ? — C’est le pouvoir. — Sa raison ? — Une armée. — La nôtre est un peuple : marchons. Ils marchaient, ils couraient sans armes, Ils n’avaient pas encor frappé, On les tue ; ils criaient : Le monarque est trompé ! On les tue… ô fureur ! Pour du sang, quoi ! des larmes ! De vains cris pour du sang ! — Ils sont morts les premiers ; Vengeons-les, ou mourons. — Des armes ! — Où les prendre ? — Dans les mains de leurs meurtriers : A qui donne la mort c’est la mort qu’il faut rendre. Vengeance ! place au drapeau noir ! Passage, citoyens ! place aux débris funèbres Qui reçoivent dans les ténèbres Les serments de leur désespoir ! Porté par leurs bras nus, le cadavre s’avance. Vengeance ! tout un peuple a répété : Vengeance ! Restes inanimés, vous serez satisfaits. Le peuple vous l’a dit, et sa parole est sûre ; Ce n’est pas lui qui se parjure : Il a tenu quinze ans les serments qu’il a faits. Il s’est levé : le tocsin sonne ; Aux appels bruyants des tambours, Aux éclats de l’obus qui tonne, Vieillards, enfants, cité, faubourgs, Sous les haillons, sous l’épaulette, Armés, sans arme, unis, épars, Se roulent contre les remparts Que le fer de la baïonnette Leur oppose de toutes parts. Ils tombent ; mais dans cette ville, Où sur chaque pavé sanglant La mort enfante en immolant, Pour un qui tombe il en naît mille. Ouvrez, ouvrez encor les grilles de Saint-Cloud ! Vomissez des soldats pour nous livrer bataille. Le sabre est dans leurs mains ; dans leurs rangs, la mitraille, Mais de la Liberté l’arsenal est partout. Que nous importe, à nous, l’instrument qui nous venge ! Une foule intrépide agite en rugissant La scie aux dents d’acier, le levier, le croissant ; Sous sa main citoyenne en arme tout se change : Des foyers fastueux les marbres détachés, Les grès avec effort de la terre arrachés, Sont des boulets pour sa colère ; Et, soldats comme nous, nos femmes et nos sœurs Font pleuvoir sur les oppresseurs Cette mitraille populaire. Qu’ils aient l’ordre pour eux, le désordre est pour nous ! Désordre intelligent, qui seconde l’audace, Qui commande, obéit, marque à chacun sa place, Comme un seul nous fait agir tous, Et qui prouve à la tyrannie, En brisant son sceptre abhorré, Que par la patrie inspiré, Un peuple, comme un homme, a ses jours de génie. Quoi ! toujours sous le feu, si jeune, au premier rang ! Retenons ce martyr que trop d’ardeur enflamme. Il court, il va mourir… Relevons le mourant : O Liberté !… c’est une femme ! Quel est-il, ce guerrier suspendu dans les airs ? De son drapeau qu’il tient encore Il roule autour de lui le linceul tricolore, Et disparaît au milieu des éclairs. Viens recueillir sa dernière parole, Grande ombre de Napoléon ! C’est à toi de graver son nom Sur les piliers du nouveau pont d’Arcole. Ce soleil de juillet qu’enfin nous revoyons, Il a brillé sur la Bastille, Oui, le voilà, c’est lui ! La Liberté, sa fille, Vient de renaître à ses rayons. Luis pour nous, accomplis l’œuvre de délivrance ; Avance, mois sauveur, presse ta course, avance : Il faut trois jours à ces héros. Abrège au moins pour eux les nuits qui sont sans gloire ; Avance, ils n’auront de repos Que dans la tombe ou la victoire. Nuits lugubres ! tout meurt, lumière et mouvement. De cette obscurité muette et sépulcrale Quels bruits inattendus sortent par intervalle ? Le cliquetis du fer qui heurte pesamment Des débris entassés la barrière inégale ; Ces cris se répondant de moment en moment : Qui vive ? — Citoyens. — Garde à vous, sentinelles ! L’adieu de deux amis, dont un embrassement Vient de confondre encor les âmes fraternelles ; Les soupirs d’un blessé qui s’éteint lentement, Et sous l’arche plaintive un sourd frémissement, Quand l’onde, en tournoyant, vient refermer la tombe D’un cadavre qui tombe… Au Louvre, amis ; voici le jour ! Battez la charge ! Au Louvre ! Au Louvre ! Balayé par le plomb qui se croise et les couvre, Chacun, pour mourir à son tour, Vient remplir le rang qui s’entr’ouvre. Le bataillon grossit sous ce feu dévorant. Son chef dans la poussière en vain roule expirant, Il saisit la victime, il l’enlève, il l’emporte, Il s’élance, il triomphe, il entre… Quel tableau ! Dieu juste ! la voilà victorieuse et morte, Sur le trône de son bourreau ! Allez, volez, tombez dans la Seine écumante, D’un pouvoir parricide emblèmes abolis. Allez, chiffres brisés ; allez, pourpre fumante ; Allez, drapeaux déchus, que le meurtre a salis ! Dépouilles des vaincus, par le fleuve entraînées, Dépouilles des martyrs que je pleure aujourd’hui, Allez, et sur les flots, à Saint-Cloud, portez-lui Le bulletin des trois journées ! Victoire ! embrassons-nous. — Tu vis ! — Je te revoi ! — Le fer de l’étranger m’épargna comme toi. — Quel triomphe ! en trois jours. —Honneur à ton courage ! — Gloire au tien ! — C’est ton nom qu’on cite le premier. — N’en citons qu’un. — Lequel ? — Celui du peuple entier. Hier qu’il était brave ! aujourd’hui qu’il est sage ! — Du trépas, en mourant, un d’eux m’a préservé. — Mais ton sang coule encor.—Ma blessure est légère. — Et ton frère ? — Il n’est plus. — L’assassin de ton frère, Tu l’as puni ? — Je l’ai sauvé. Ah ! qu’on respire avec délices, Et qu’il est enivrant, l’air de la liberté ! Comment regarder sans fierté Ces murs couverts de cicatrices, Ces drapeaux qu’à l’exil redemandaient nos pleurs, Et dont nous revoyons les glorieux symboles Voltiger, s’enlacer, courber leurs trois couleurs Sur ces nobles enfants, l’orgueil de nos écoles ! Des fleurs à pleines mains, des fleurs pour ces guerriers ! Jetez-leur au hasard des couronnes civiques : Ils ne tomberont, vos lauriers, Que sur des têtes héroïques. Mais lui, que sans l’abattre ont jadis éprouvé Le despotisme et la licence, Que la vieillesse a retrouvé Ce qu’il fut dans l’adolescence, Entourons-le d’amour ! Français, Américains, De baisers et de pleurs couvrons ses vieilles mains ! La popularité, si souvent infidèle, Est fille de la terre et meurt en peu d’instants : La sienne, plus jeune et plus belle, A traversé les mers, a triomphé du temps : C’était à la vertu d’en faire une immortelle. O toi, roi citoyen, qu’il presse dans ses bras Aux cris d’un peuple entier dont les transports sont juste Tu fus mon bienfaiteur, je ne te louerai pas : Les poètes des rois sont leurs actes augustes. Que ton règne te chante, et qu’on dise après nous : Monarque, il fut sacré par la raison publique ; Sa force fut la loi ; l’honneur, sa politique ; Son droit divin, l’amour de tous. Pour toi, peuple affranchi, dont le bonheur commence, Tu peux croiser tes bras après ton œuvre immense ; Purs de tous les excès, huit jours l’ont enfanté, ils ont conquis les lois, chassé la tyrannie, Et couronné la Liberté : Peuple, repose-toi ; ta semaine est finie !

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

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    À Napoléon De lumière et d’obscurité, De néant et de gloire étonnant assemblage, Astre fatal aux rois comme à la liberté; Au plus haut de ton cours porté par un orage, Et par un orage emporté, Toi, qui n’as rien connu, dans ton sanglant passage, D’égal à ton bonheur que ton adversité; Dieu mortel, sous tes pieds les monts courbant leurs têtes T’ouvraient un chemin triomphal; Les élémens soumis attendaient ton signal; D’une nuit pluvieuse écartant les tempêtes, Pour éclairer tes fêtes, Le soleil t’annonçait sur son char radieux; L’Europe t’admirait dans une horreur profonde, Et le son de ta voix, un signe de tes yeux, Donnaient une secousse au monde. Ton souffle du chaos faisait sortir les lois; Ton image insultait aux dépouilles des rois, Et, debout sur l’airain de leurs foudres guerrières, Entretenait le ciel du bruit de tes exploits. Les cultes renaissans, étonnés d’être frères, Sur leurs autels rivaux, qui fumaient à la fois, Pour toi confondaient leurs prières. << Conservez, disaient-ils, le vainqueur du Thabor, Conservez le vainqueur du Tibre; >> Que n’ont-ils pour ta gloire ajouté plus encor: << Dieu juste, conservez le roi d’un peuple libre! >> Tu régnerais encor si tu l’avais voulu. Fils de la Liberté, tu détrônas ta mère. Armé contre ses droits d’un pouvoir éphémère, Tu croyais l’accabler, tu l’avais résolu! Mais le tombeau creusé pour elle Dévore tôt ou tard le monarque absolu; Un tyran tombe ou meurt; seule elle est immortelle. Justice, droits, sermens, peux-tu rien respecter? D’un antique lien périsse la mémoire! L’Espagne est notre soeur de dangers et de gloire; Tu la veux pour esclave, et n’osant ajouter À ta double couronne un nouveau diadème, Sur son trône conquis ton orgueil veut jeter Un simulacre de toi-même. Mais non, tu l’espérais en vain. Ses prélats, ses guerriers l’un l’autre s’excitèrent, Les croyances du peuple à leur voix s’exaltèrent. Quels signes précurseurs d’un désastre prochain! Le beffroi, qu’ébranlait une invisible main, S’éveillait de lui-même et sonnait les alarmes; Les images des preux s’agitaient sous leurs armes; On avait vu des pleurs mouiller leurs yeux d’airain; On avait vu le sang du sauveur de la terre Des flancs du marbre ému sortir à longs ruisseaux; Les morts erraient dans l’ombre, et ces cris : guerre! guerre! S’élevaient du fond des tombeaux. Une nuit, c’était l’heure où les songes funèbres Apportent aux vivans les leçons du cercueil; Où le second Brutus vit son génie en deuil Se dresser devant lui dans l’horreur des ténèbres; Où Richard, tourmenté d’un sommeil sans repos, Vit les mânes vengeurs de sa famille entière, Rangés autour de ses drapeaux, Le maudire et crier : voilà ta nuit dernière! Napoléon veillait, seul et silencieux; La fatigue inclinait cette tête puissante Sur la carte immobile où s’attachaient ses yeux; Trois guerrières, trois soeurs parurent sous sa tente. Pauvre et sans ornemens, belle de ses hauts faits, La première semblait une vierge romaine Le front ceint d’un rameau de chêne, Elle appuyait son bras sur un drapeau français. Il rappelait un jour d’éternelle mémoire; Trois couleurs rayonnaient sur ses lambeaux sacrés Par la foudre noircis, poudreux et déchirés, Mais déchirés par la Victoire. << Je t’ai connu soldat; salut : te voilà roi. De Marengo la terrible journée Dans tes fastes, dit-elle, a pris place après moi; Salut; je suis sa soeur aînée. << Je te guidais au premier rang; Je protégeai ta course et dictai la parole Qui ranima des tiens le courage expirant, Lorsque la mort te vit si grand, Qu’elle te respecta sous les foudres d’Arcole. << Tu changeas mon drapeau contre un sceptre d’airain; Tremble, je vois pâlir ton étoile éclipsée. La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein. Adieu, ton règne expire et ta gloire est passée. >> La seconde unissait aux palmes des déserts Les dépouilles d’Alexandrie. Les feux dont le soleil inonde sa patrie, De ses brûlans regards allumaient les éclairs. Sa main, par la conquête armée, Dégouttante du sang des descendans d’Omar, Tenait le glaive de César Et le compas de Ptolémée. << Je t’ai connu banni; salut : te voilà roi. Du mont Thabor la brillante journée Dans tes fastes, dit-elle, a pris place après moi; Salut! Je suis sa soeur aînée. << Je te dois l’éclat immortel Du nom que je reçus aux pieds des pyramides. J’ai vu les turbans d’Ismaël Foulés au bord du Nil par tes coursiers rapides. Les arts sous ton égide avaient placé leurs fils, Quand des restes muets de Thèbe et de Memphis Ils interrogeaient la poussière; Et, si tu t’égarais dans ton vol glorieux, C’était comme l’aiglon qui se perd dans les cieux, C’était pour chercher la lumière. << Tu voulus l’étouffer sous ton sceptre d’airain; Tremble, je vois pâlir ton étoile éclipsée. La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein. Adieu! Ton règne expire, et ta gloire est passée. >> La dernière… O pitié, des fers chargeaient ses bras! L’oeil baissé vers la terre où chacun de ses pas Laissait une empreinte sanglante, Elle s’avançait chancelante En murmurant ces mots : meurt et ne se rend pas. Loin d’elle les trésors qui parent la conquête, Et l’appareil des drapeaux prisonniers! Mais des cyprès, beaux comme des lauriers, De leur sombre couronne environnaient sa tête. << Tu ne me connaîtras qu’en cessant d’être roi. Écoute et tremble : aucune autre journée Dans tes fastes jamais n’aura place après moi, Et je n’eus point de soeur aînée. << De vaillance et de deuil souvenir désastreux, J’affranchirai les rois que ton bras tient en laisse, Et je transporterai la chaîne qui les blesse Aux peuples qui vaincront pour eux. Les siècles douteront, en lisant ton histoire, Si tes vieux compagnons de gloire, Si ces débris vivans de tant d’exploits divers, Se sont plus illustrés par trente ans de victoire, Que par un seul jour de revers. << Je chasserai du ciel ton étoile éclipsée; Je briserai ton glaive et ton sceptre d’airain; La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein. Adieu! Ton règne expire, et ta gloire est passée. >> Toutes trois vers le ciel avaient repris l’essor, Et le guerrier surpris les écoutait encor; Leur souvenir pesait sur son ame oppressée; Mais aux roulemens du tambour, Cette image bientôt sortit de sa pensée, Comme l’ombre des nuits se dissipe effacée Par les premiers rayons du jour. Il crut avoir dompté les enfans de Pélage; Entraîné de nouveau par ce char vagabond Qui portait en tous lieux la guerre et l’esclavage, Passant sur son empire, il le franchit d’un bond; Et tout fumans encor, ses coursiers hors d’haleine, Que les feux du midi naguère avaient lassés, De la Bérésina, qui coulait sous sa chaîne, Buvaient déjà les flots glacés. Il dormait sur la foi de son astre infidèle, Trompé par ces flatteurs dont la voix criminelle L’avait mal conseillé. Il rêvait, en tombant, l’empire de la terre, Et ne rouvrit les yeux qu’aux éclats du tonnerre; Où s’est-il réveillé! … Seul et sur un rocher d’où sa vie importune Troublait encor les rois d’une terreur commune, Du fond de son exil encor présent partout, Grand comme son malheur, détrôné, mais debout Sur les débris de sa fortune. Laissant l’Europe vide et la victoire en deuil, Ainsi, de faute en faute et d’orage en orage, Il est venu mourir sur un dernier écueil, Où sa puissance a fait naufrage. La vaste mer murmure autour de son cercueil. Une île t’a reçu sans couronne et sans vie, Toi qu’un empire immense eut peine à contenir; Sous la tombe, où s’éteint ton royal avenir, Descend avec toi seul toute une dynastie. Et le pêcheur le soir s’y repose en chemin; Reprenant ses filets qu’avec peine il soulève Il s’éloigne à pas lents, foule ta cendre, et rêve… A ses travaux du lendemain.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'homme et la mer Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets : Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ; Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets ! Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

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    Charles d'Orléans

    @charlesDorleans

    Ballade III Comment voy je ses Anglois esbaÿs ! Resjoÿs toy, franc royaume de France. On apparçoit que de Dieu sont haÿs, Puis qu’ilz n’ont plus couraige ne puissance. Bien pensoient, par leur oultrecuidance ; Toy surmonter et tenir en servaige, Et ont tenu à tort ton heritaige. Mais à présent Dieu pour toy se combat Et se monstre du tout de ta partie, Leurgrant orgueil entierement abat, Et t’a rendu Guyenne et Normandie. Quant les Anglois as pieça envaÿs, Rien n’y valoit ton sens ne ta vaillance. Lors estoies ainsi que fut Taÿs Pecheresse qui, pour faire penance, Enclouse fut par divine ordonnance. Ainsi as tu esté en reclusaige De Desconfort, et douleur de Couraige. Et les Anglois menoient leur sabat En grans pompes, baubans et tirannie. Or, a tourné Dieu ton dueil en esbat, Et t’a rendu Guyenne et Normandie. N’ont pas Anglois souvent leurs Rois traÿs ? Certes ouil, tous en ont congnoissance ; Et encore le Roy de leur paÿs Est maintenant en doubteuse balance ; D’en parler mal, chascun Anglois s’avance ; Assez monstrent, par leur mauvais langaige, Que voulentiers lui feroient oultraige. Qui sera Roy entr’eux est grant desbat ; Pource, France, que veulx tu que te dye ? De sa verge Dieu les punist et bat Et t’a rendu Guyenne et Normendie. ENVOI AU PRINCE Roy des Françoys, gaigné as l’advantaige, Parfaiz ton jeu, comme vaillant et saige, Maintenant l’as plus belle qu’au rabat. De ton bon eur, France, Dieu remercie ; Fortune en bien avecques toi s’embat Et t’a rendu Guyenne et Normandie.

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    Charles Marie René Leconte de Lisle

    @charlesMarieReneLeconteDeLisle

    Le soir d’une bataille Tels que la haute mer contre les durs rivages, À la grande tuerie ils se sont tous rués, Ivres et haletants, par les boulets troués, En d’épais tourbillons pleins de clameurs sauvages. Sous un large soleil d’été, de l’aube au soir, Sans relâche, fauchant les blés, brisant les vignes, Longs murs d’hommes, ils ont poussé leurs sombres lignes Et là, par blocs entiers, ils se sont laissés choir. Puis ils se sont liés en étreintes féroces, Le souffle au souffle uni, l’œil de haine chargé. Le fer d’un sang fiévreux à l’aise s’est gorgé ; La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses. Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers, Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches, Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches, Dans la mort furieuse étendus par milliers. La pluie, avec lenteur lavant leurs pâles faces, Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux ; Et par la morne plaine où tourne un vol d’oiseaux Le ciel d’un soir sinistre estompe au loin leurs masses. Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés. Sur le sol bossué de tant de chair humaine, Aux dernières lueurs du jour on voit à peine Se tordre vaguement des corps entrelacés ; Et là-bas, du milieu de ce massacre immense, Dressant son cou roidi, percé de coups de feu, Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu Que la nuit fait courir à travers le silence. Ô boucherie ! ô soif du meurtre ! acharnement Horrible ! odeur des morts qui suffoques et navres ! Soyez maudits devant ces cent mille cadavres Et la stupide horreur de cet égorgement. Mais, sous l’ardent soleil ou sur la plaine noire, Si, heurtant de leur cœur la gueule du canon, Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom, Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !

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    Charles Marie René Leconte de Lisle

    @charlesMarieReneLeconteDeLisle

    Qaïn En la trentième année, au siècle de l'épreuve, Étant captif parmi les cavaliers d'Assur, Thogorma, le Voyant, fils d'Elam, fils de Thur, Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve, A l'heure où le soleil blanchit l'herbe et le mur. Depuis que le Chasseur Iahvèh, qui terrasse Les forts et de leur chair nourrit l'aigle et le chien, Avait lié son peuple au joug assyrien, Tous, se rasant les poils du crâne et de la face, Stupides, s'étaient tus et n'entendaient plus rien. Ployés sous le fardeau des misères accrues, Dans la faim, dans la soif, dans l'épouvante assis, Ils revoyaient leurs murs écroulés et noircis, Et, comme aux crocs publics pendent les viandes crues, Leurs princes aux gibets des Rois incirconcis Le pied de l'infidèle appuyé sur la nuque Des vaillants, le saint temple où priaient les aïeux Souillé, vide, fumant, effondré par les pieux, Et les vierges en pleurs sous le fouet de l'eunuque Et le sombre Iahvèh muet au fond des cieux. Or, laissant, ce jour-là, près des mornes aïeules Et des enfants couchés dans les nattes de cuir, Les femmes aux yeux noirs de sa tribu gémir, Le fils d'Elam, meurtri par la sangle des meules, Le long du grand Khobar se coucha pour dormir. Les bandes d'étalons, par la plaine inondée De lumière, gisaient sous le dattier roussi, Et les taureaux, et les dromadaires aussi, Avec les chameliers d'Iran et de Khaldée. Thogorma, le Voyant, eut ce rêve. Voici :

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    Charles Peguy

    Charles Peguy

    @charlesPeguy

    Adieu à la Meuse Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance, Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas. Meuse, adieu : j'ai déjà commencé ma partance En des pays nouveaux où tu ne coules pas.

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    Charles Vildrac

    @charlesVildrac

    Élégie à Henri Doucet Tué le 11 mars 1915 (extrait) Pendant trente ans ton père a fabriqué Des fusils Lebel, à la Manufacture; Et maintenant qu’elle est finie, la guerre, Le voici retraité. Il trouve encore à s’employer aux champs, Mais il est triste ; il pense à son fils mort; Il pense au temps où il t’aidait le soir A broyer tes couleurs, à tendre tes toiles; Au temps où le dimanche, au petit jour, Vous partiez à la pêche ensemble. Et son métier aussi, lui manque: Le voici dévêtu de la vieille habitude; Il n’aima pas en vain sa tâche tant d’années. Mais comme il ne sait pas démêler ses regrets Ni penser au delà de ses mains travailleuses, Cœur trop simple, il confond dans la même tendresse Son temps de père heureux et les jours sans reproche Où ses doigts ajustaient d’innombrables fusils Semblables au fusil qui tua son enfant.

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    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    Autour du feu invisible Ce jour là, Il faisait froid, Un froid glacial, Un froid à mourir, Le soldat ne sentait rien. Un cri silencieux au ralenti. Son arme lourde, un lourd engourdi. Une bouche crevassée et un goût trop sec. Le blanc de la terre jusqu’à l’horizon. Une douleur sans fin et sans raison. Partout déchets de corps, et du sang mélangé. Parmi ce ravage, En duo chantent une cornemuse et une voix, illuminées, par un feu invisible. Silhouettes d’homme s’approchent de la musique Comme des étincelles de feu dans une neige gelée, Cet instant unique dans l’histoire du monde. Hommes réchauffés pour survivre une journée. Courageuse et inspirée, Cette harmonie des ennemis.

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    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    Avec toi Frère-Réfugié Je ferme les yeux L’odeur pourrie Fait mal au cœur Fort douloureux L’enfer est cette guerre Chaude Bouillonnante Et toujours enneigée de l’hiver. Cela s’explose de nouveau Un fracas énorme Dans la tète Puis le tas de débris Et les hurlements Comment le bloquer ? J’ouvre les yeux Je suis là Avec toi mon frère Gelé de terreur Et douleur Dans le cœur brisé C’est ce qui reste De notre passé. Tu es arrivé …enfin ! Je suis avec toi Frère-refugié Et à travers Les nuages perturbés Le ciel se prête à se transformer.

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    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    Jour final Avec les yeux fermés Je te vois Souriant fier Plus jeune que ta démarche Plus âgé que ton savoir Parce que je ne supporte plus La pensée que Je ne pourrais jamais te revoir. Mon amour inconditionnel Mon garçon courageux Avec les pieds de la tranchée gelés Et la tête fiévreuse Les oreilles en écho Et la bouche sèche La mémoire hurlante Et les pleurs silencieux Dans tes bribes de sommeil Et dans tes rêvasseries En pleine explosion. L’odeur de la peur est pire que La puanteur de la saleté Trop tard pour calmer ta confusion Tu es prêt à mourir Tu as dit toutes tes prières Et tu as souhaité d’être loin Pourtant, sur la terre renversée et brûlée La trompette sonne la fin. Les ténèbres se sont levées Et tes yeux sont grand ouverts Mon garçon bien-aimé va rentrer à la maison Des larmes de rage et de joie se mêlent Dans les séquelles de la guerre Pour la perte et le soulagement Que le monde va respirer à nouveau Or le seul feu est dans la cheminée T’envoyant paisiblement à t’endormir À la fin de la journée du jour final.

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    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    N’oublions pas ! N’oublions pas Néanmoins cela nous peine L’objectif est mis au point Une vision interne. Le ciel pleut du rouge Avec d’espions galants Qui parachutent Dans des lits De coquelicots Pour accomplir ou échouer À leur mission. Enfin, et à la place de, Certains marcheront Passer des villes désertes Et puis des maisons fantômes. Tous essayent de se rendre chez eux Visages sans nom Organes et ceinture abdominale Sur travaillés Et les membres lourds. Humain, juste, Prêts pour gâchettes sensibles Les yeux guettent De droite à gauche. Encore de cauchemars Dans le dur Blessures et cicatrices Continuent à sécher Assoiffées de caresses. À la surface De tout, Nourriture vraie Grâce aux étrangers Aimables, prennent le risque. Une fois de plus Les cafés sont ouverts Les marchés sont dehors, Peur et dégout Fondent Comme la promesse De mai, Et la fin de la guerre ? Toute cette absurdité À vrai dire, Avec le recul, Révélations torturent Nos esprits, Notre humanité. Finalement, Aux plages de Normandie, Corps jeunes et vieux Tentent les vagues Pour enlever la cendre, Les décombres, Et se faire remonter Jusqu’aux côtes de Blighty. La dérive intermittente, Bercés par le doux balancement, À travers ces régions vertes, Et la campagne Jacinthe des bois, de Kent, Vers les rues en fleur de cerisier Dodelinent Œillets rose Et les Saxifrage Fierté de Londres Près de portes d’entrée ouvertes, Tables à tréteau garnies De limonade et gâteaux, Les bras étendus de chères familles. Foules s’alignent Le bord des routes Jusqu’à Trafalgar Square Une coupe pleine de jeunes et vieux ; Bouffée de rires enjoués Et bonne gaieté, Et des sourires en thé dansant, Tous recueillis en joie Ensemble ici Tous chers, N’oublions pas !

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    Christine de Pisan

    Christine de Pisan

    @christineDePisan

    A Il Doncques tel Guerredon? Amours! Amours! ce m'as tu fait, Qui m'as mis en si dur parti. Se ne te feis je oncques meffait, Et si ay tant de maulx parti Largement m'en as departi; Et qui te fait de son cuer don, A il doncques tel guerredon? Ton soulas est bien contrefait, Il s'est de moy tost departi, Contre le bien mal me reffait; En grant doulour s'est converti, Tu m'occis sanz dire «gar t'y!» Va il ainsi qui te sert don, A il doncques tel guerredon? Et pour quoy, ne pour quel tort fait, M'as tu un tel ami sorti, Qui ma vie et mes jours deffait? Car par lui suis en tel parti Que tout mon sens est amorti. Qui tu esprens de ton brandon, A il doncques tel guerredon?

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    Christine Larrieu

    @christineLarrieu

    Clair-Obscur Sur sportifs millionnaires, Acteurs oscarisés Ou stars siliconées, Ô combien honorés ! Sur le cœur parfois lourd, De soldats héroïques, Ou discrets anonymes Au service d’une Vie. Sur un cercueil glacé, Héros si regretté, Sous le regard noyé De familles effondrées. Ainsi au fil des ans, Sans grand discernement, Pour Services éminents, La voici épinglée. Clair-Obscur effrayant !

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    Claire Raphaël

    @claireRaphael

    Guerre Les échos de la mort d’un peuple sacrifié nous parviennent soudain par les couleurs sépia arrachées à la poudre de ces photographies d’un drame trop humain. Nous regardons ces corps entrés dans l’agonie calcinés par la peur noircis par la folie d’une guerre animale arrachant des enfants à leurs rêves futurs et leurs destins s’épuisent. Ces images mouillées par le sang des martyres crèvent notre avenir brisent nos lendemains nos promesses de paix nos serments les plus chers, affirment la passion d’une histoire indomptable où nos esprits nos âmes souillées par la violence et son comptant de drames tremblent sous les accords d’un ciel plus ténébreux que l’image du mal.

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    Didier Venturini

    @didierVenturini

    La lettre A la lueur d’une bougie Je t’écris ces quelques mots Ces quelques mots pour dire qu’ici On monte au front c’est pour bientôt Mais ne t’inquiètes pas pour moi J’ai la santé juste de l’ennui Courage, confiance, priez pour moi Nous serons bientôt réunis C’est de la tranchée que j’écris Je n’ai pas une minute à moi Alors comment vont les petits Toujours sans nouvelles de toi Surtout écris moi tous les jours J’ai des heures de nostalgie Le danger m’effraye à mon tour Y’a t’il encore des jours des nuits Je joins quelques photographies Celle du soldat sous le pommier Pourrait faire oublier qu’ici Nos joies de gosse sont envolées J’espère quand même que mon étoile Me fera revenir au monde Que tout ne finira pas mal Dans cette boue, cette guerre immonde

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    Didier Venturini

    @didierVenturini

    Les rails rouillés Les rails sont rouillés mais gardent la mémoire de ces trains déportés les yeux fermés des gares une foule et des bagages des enfants dans les bras la nuit est du voyage elle est d’un noir de croix s’éteignent les étoiles dans cette nuit ferroviaire sur elle tombera le voile d’un oubli ordinaire dans ces wagons bestiaux s’est perdue l’innocence d’un dieu et son troupeau ses hommes de complaisance ils furent Charon, cerbères des passeurs incessants les valets d’un enfer mais pour quel châtiment? les rails sont rouillés mais gardent la mémoire de ces trains déportés sous les yeux clos des gares

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    Didier Venturini

    @didierVenturini

    Pour l’exemple Pas de clairon ni de couronne juste une chanson celle de Craonne pour les mutins d’la der des ders pour le trop-plein de leurs colères chemins des drames bout du rouleau poser les armes l’assaut de trop jours sans soleils il fait si froid même nos sommeils portent leurs croix tombe la sentence du déshonneur morts pour l’offense au champ d’horreur alors adieux frères de combat quel douloureux jour ce trépas c’est en soldats que nous mourons ne laissez pas salir nos noms même sans clairon même sans couronne reste une chanson celle de Craonne

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    Djelloul Marbrook

    @djelloulMarbrook

    Hasan Ibn Al-Sabah L'exil est un double problème: Nul ne lui échappe et les terres endeuillées disparaissent. Tandis que j'espérais me plaindre, Je n'ai plus rien à dire sauf l'illusion poignante que certains d'entre nous appartiennent et doivent être vigilants pour ceux qui vivent déguisés parmi nous. Nous avons besoin des assassins pour exonérer ce que nous faisons en le faisant apparaître moins terrible. Hasan ibn al-Sabah vit dans nos églises le dimanche, dans les mosquées et les synagogues. Nous ne pouvons pas décrire son visage parce que nous le portons au moment où nous persécutons les étrangers, ces démons.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Au Reichstag On m’affirmait :  » Partout où les cités de vapeurs s’enveloppent, Où l’homme dans l’effort s’exalte et se complaît, Bat le coeur fraternel d’une plus haute Europe. De la Sambre à la Ruhr, de la Ruhr à l’Oural, Et d’Allemagne en France et de France en Espagne L’ample entente disperse un grand souffle auroral Qui va de ville en plaine et de plaine en montagne. Ici le charbon fume et là-bas l’acier bout, Le travail y est sombre et la peine y est rude, Mais des tribuns sont là dont le torse est debout Et dont le verbe éclaire au front les multitudes. Aux soirs d’émeute brusque et de battant tocsin, Quand se forme et grandit la révolte brutale, Pour qu’en soient imposés les voeux et les desseins Leurs gestes fulguraux domptent les capitales. Ils maîtrisent les Parlements astucieux Grâce à leur force franche, ardente et réfractaire, Ils ont le peuple immense et rouge derrière eux Et leur grondant pouvoir est fait de son tonnerre. Leurs noms sont lumineux de pays en pays ; Dans les foyers où l’homme et la femme travaillent, Où la fille est la servante des plus petits, Leur image à deux sous s’épingle à la muraille. On les aime : ne sont-ils point simples et droits, Avec la pitié grande en leur âme profonde ? Et quand s’étend en sa totale ampleur leur voix, Ne couvre-t-elle point de sa force le monde ? «  Et l’on disait encor :  » Eux seuls tissent les rets où sera pris le sort. Qu’un roi hérisse un jour de ses armes la terre, Leur ligue contre lui arrêtera la guerre. «  Ainsi S’abolissait l’effroi, le trouble et le souci Et s’exaltait la foi dans la concorde ardente. La paix régnait déjà, normale et évidente Comme un déroulement de jours, de mois et d’ans. On se sentait heureux de vivre en un tel temps Où tout semblait meilleur au monde, où les génies Juraient de le doter d’une neuve harmonie, Où l’homme allait vers l’homme et cherchait dans ses yeux On ne sait quoi de grand qui l’égalait aux Dieux, Quand se fendit soudain, en quelle heure angoissée ! Cette tour où le rêve étageait la pensée, Ce fut en août, là-bas, au Reichstag, à Berlin, Que ceux en qui le monde avait mis sa foi folle Se turent quand sonna la mauvaise parole. Un nuage passa sur le front du destin. Eux qui l’avaient proscrite, accueillirent la guerre. La vieille mort casquée, atroce, autoritaire, Sortit de sa caserne avec son linceul blanc, Pour en traîner l’horreur sur les pays sanglants. Son ombre s’allongea sur les villes en flammes, Le monde se fit honte et tua la grande âme Qu’il se faisait avec ferveur pour qu’elle soit Un jour l’âme du Droit Devant l’audace inique et la force funeste. Aux ennemis dont tue et ravage le geste, Il fallut opposer un coeur qui les déteste ; On s’acharna ensemble à se haïr soudain, Le clair passé glissa au ténébreux demain, Tout se troublait et ne fut plus, en somme, Que fureur répandue et que rage dardée ; Au fond des bourgs et des campagnes On prenait peur d’être un vivant, Car c’est là ton crime immense, Allemagne, D’avoir tué atrocement L’idée Que se faisait pendant la paix, En notre temps, L’homme de l’homme.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Une statue (soldat) Au carrefour des abattoirs et des casernes, Il apparaît, foudroyant et vermeil, Le sabre en bel éclair sous le soleil. Masque d’airain, casque et panache d’or ; Et l’horizon, là-bas, où le combat se tord, Devant ses yeux hallucinés de gloire ! Un élan fou, un bond brutal Jette en avant son geste et son cheval Vers la victoire. Il est volant comme une flamme, Ici, plus loin, au bout du monde, Qui le redoute et qui l’acclame. Il entraîne, pour qu’en son rêve ils se confondent, Dieu, son peuple, ses soldats ivres ; Les astres mêmes semblent suivre, Si bien que ceux Qui se liguent pour le maudire Restent béants : et son vertige emplit leurs yeux. Il est de calcul froid, mais de force soudaine : Des fers de volonté barricadent le seuil Infrangible de son orgueil. Il croit en lui — et qu’importe le reste ! Pleurs, cris, affres et noire et formidable fête, Avec lesquels l’histoire est faite. Il est la mort fastueuse et lyrique, Montrée, ainsi qu’une conquête, Au bout d’une existence en or et en tempête. Il ne regrette rien de ce qu’il accomplit, Sinon que les ans brefs aillent trop vite Et que la terre immense soit petite. Il est l’idole et le fléau : Le vent qui souffle autour de son front clair Toucha celui des Dieux armés d’éclairs. Il sent qu’il passe en rouge orage et que sa destinée Est de tomber en brusque écroulement, Le jour où son étoile étrange et effrénée, Cristal rouge, se cassera au firmament. Au carrefour des abattoirs et des casernes, Il apparaît, foudroyant et vermeil, Le sabre en bel éclair dans le soleil.

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    Esther Granek

    @estherGranek

    Le jeu Seize sont blancs. Seize sont noirs. Alignement d’un face-à-face. Selon son rang, chacun se place. En symétrie, de part en part. Les plus petits sur le devant. Seize sont noirs. Seize sont blancs. Huit fois huit cases. Un jeu démarre. Joutes, et coups bas, et corps à corps, et durs combats. Ultime effort pour asséner à ceux d’en face : « Échec et mat ! le roi est mort ! » Complimenté est le gagnant. Mais la revanche est dans le sang. Déjà tout se remet en place. Et du combat ne reste trace. Tout aussitôt le jeu reprend. Seize sont noirs. Seize sont blancs… N’ayant soixante-quatre cases ni trente-deux participants, mais autres nombres et autres temps, la vie, pourtant, a mêmes bases.

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    Francis Etienne Sicard

    @francisEtienneSicard

    Le combat fantastique Voilà deux Samouraïs, enlacés dans le sang, Qui brûlent leurs paupières et tachent leurs peaux De plaies, tranchant les chairs rompues jusque au noyau, D’un éclair aiguisé comme un rasoir dormant. Ils jurent, écoutez-les, en se dévorant, Des paroles magiques lues sur les caveaux De barons dévoués aux cultes ancestraux, Avant que ne tombât, malgré leurs mains, le gant. Sur le mur du clos, froissée, ne voyez-vous pas Cette robe de soie qui palpite et qui bat D’un cœur rompant le souffle aux ossements des yeux? Or, si vous le vouliez, vous remarqueriez là, Une femme à genoux, transpirant les grenats D’un rosaire alourdi par les remous du feu.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Chant de guerre circassien Du Volga sur leurs bidets grêles Les durs Baskirs vont arriver. Avril est la saison des grêles, Et les balles vont le prouver. Les neiges ont fini leurs fontes, Les champs sont verts d’épis nouveaux ; Mettons les pistolets aux fontes Et les harnais d’or aux chevaux. Que le plus vieux chef du Caucase Bourre, en présence des aînés, Avec le vélin d’un ukase Les longs fusils damasquinés. Qu’on ait le cheval qui se cabre Sous les fourrures d’Astracan, Et qu’on ceigne son plus grand sabre, Son sabre de caïmacan. Laissons les granges et les forges. Que les fusils de nos aïeux Frappent l’écho des vieilles gorges De leur pétillement joyeux. Et vous, prouvez, fières épouses, Que celles-là que nous aimons Aussi bien que nous sont jalouses De la neige vierge des monts. Adieu, femmes, qui serez veuves ; Venez nous tendre l’étrier ; Et puis, si les cartouches neuves Nous manquent, au lieu de prier, Au lieu de filer et de coudre, Pâles, le blanc linceul des morts, Au marchand turc pour de la poudre Vendez votre âme et votre corps.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    La bénédiction Or, en mil huit cent neuf, nous prîmes Saragosse. J’étais sergent. Ce fut une journée atroce. La ville prise, on fit le siège des maisons, Qui, bien closes, avec des airs de trahisons, Faisaient pleuvoir les coups de feu par leurs fenêtres. On se disait tout bas : « C’est la faute des prêtres. » Et, quand on en voyait s’enfuir dans le lointain, Bien qu’on eût combattu dès le petit matin, Avec les yeux brûlés de poussière et la bouche Amère du baiser sombre de la cartouche, On fusillait gaîment et soudain plus dispos Tous ces longs manteaux noirs et tous ces grands chapeaux. Mon bataillon suivait une ruelle étroite. Je marchais, observant les toits à gauche, à droite, A mon rang de sergent, avec les voltigeurs, Et je voyais au ciel de subites rougeurs Haletantes ainsi qu’une haleine de forge. On entendait des cris de femmes qu’on égorge, Au loin, dans le funèbre et sourd bourdonnement. Il fallait enjamber des morts à tout moment. Nos hommes se baissaient pour entrer dans les bouges, Puis en sortaient avec leurs baïonnettes rouges, Et du sang de leurs mains faisaient des croix au mur, Car dans ces défilés il fallait être sûr De ne pas oublier un ennemi derrière. Nous allions sans tambour et sans marche guerrière. Nos officiers étaient pensifs. Les vétérans, Inquiets, se serraient des coudes dans les rangs Et se sentaient le cœur faible d’une recrue. Tout à coup, au détour d’une petite rue, On nous crie en français : « À l’aide ! » En quelques bonds Nous joignons nos amis en danger et tombons Au milieu d’une belle et grave compagnie De grenadiers chassés avec ignominie Du parvis d’un couvent seulement défendu Par vingt moines, démons noirs au crâne tondu. Qui sur la robe avaient la croix de laine blanche, Et qui, pieds nus, le bras sanglant hors de la manche, Les assommaient à coups d’énormes crucifix. Ce fut tragique : avec tous les autres je fis Un feu de peloton qui balaya la place. Froidement, méchamment, car la troupe était lasse Et tous nous nous sentions des âmes de bourreaux, Nous tuâmes ce groupe horrible de héros. Et cette action vile une fois consommée, Lorsque se dissipa la compacte fumée, Nous vîmes, de dessous les corps enchevêtrés, De longs ruisseaux de sang descendre les degrés. — — Et, derrière, s’ouvrait l’église, immense et sombre. Les cierges étoilaient de points d’or toute l’ombre ; L’encens y répandait son parfum de langueur ; Et, tout au fond, tourné vers l’autel, dans le chœur, Comme s’il n’avait pas entendu la bataille, Un prêtre en cheveux blancs et de très haute taille Terminait son office avec tranquillité. Ce mauvais souvenir si présent m’est resté Qu’en vous le racontant je crois tout revoir presque : Le vieux couvent avec sa façade moresque, Les grands cadavres bruns des moines, le soleil Faisant sur les pavés fumer le sang vermeil, Et, dans l’encadrement noir de la porte basse, Ce prêtre et cet autel brillant comme une châsse, Et nous autres cloués au sol, presque poltrons. Certes, j’étais alors un vrai sac à jurons, Un impie ; et plus d’un encore se rappelle Qu’on me vit une fois, au sac d’une chapelle, Pour faire le gentil et le spirituel, Allumer une pipe aux cierges de l’autel. Déjà j’étais un vieux traîneur de sabretache ; Et le pli que donnait ma lèvre à ma moustache Annonçait un blasphème et n’était pas trompeur. — Mais ce vieil homme était si blanc qu’il me fit peur. « Feu ! » dit un officier. Nul ne bougea. Le prêtre Entendit, à coup sûr, mais n’en fit rien paraître, Et nous fit face avec son grand saint sacrement, Car sa messe en était arrivée au moment Où le prêtre se tourne et bénit les fidèles. Ses bras levés avaient une envergure d’ailes. Et chacun recula, lorsqu’avec l’ostensoir Il décrivit la croix dans l’air et qu’on put voir Qu’il ne tremblait pas plus que devant les dévotes ; Et quand sa belle voix, psalmodiant les notes, Comme font les curés dans tous leurs Oremus, Dit : Benedicat vos omnipotens Deus, « Feu ! répéta la voix féroce, ou je me fâche. » Alors un d’entre nous, un soldat, mais un lâche, Abaissa son fusil et fit feu. Le vieillard Devint très pâle, mais, sans baisser son regard Étincelant d’un sombre et farouche courage : Pater et Filius, reprit-il. Quelle rage Ou quel voile de sang affolant un cerveau Fit partir de nos rangs un coup de feu nouveau ? Je ne sais ; mais pourtant cette action fut faite. Le moine, d’une main s’appuyant sur le faîte De l’autel et tâchant de nous bénir encor De l’autre, souleva le lourd ostensoir d’or. Pour la troisième fois il traça dans l’espace Le signe du pardon, et d’une voix très basse, Mais qu’on entendit bien, car tous bruits s’étaient tus, Il dit, les yeux fermés : Et Spiritus sanctus. Puis tomba mort, ayant achevé sa prière. L’ostensoir rebondit par trois fois sur la pierre. Et, comme nous restions, même les vieux troupiers, Sombres, l’horreur vivante au cœur et l’arme aux pieds, Devant ce meurtre infâme et devant ce martyre : Amen ! dit un tambour en éclatant de rire.

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    François de Malherbe

    François de Malherbe

    @francoisDeMalherbe

    Prière pour le roi Henri le Grand Pour le roi allant en Limousin. Ô Dieu, dont les bontés, de nos larmes touchées, Ont aux vaines fureurs les armes arrachées, Et rangé l'insolence aux pieds de la raison ; Puisqu'à rien d'imparfait ta louange n'aspire, Achève ton ouvrage au bien de cet empire, Et nous rends l'embonpoint comme la guérison ! Nous sommes sous un roi si vaillant et si sage, Et qui si dignement a fait l'apprentissage De toutes les vertus propres à commander, Qu'il semble que cet heur nous impose silence, Et qu'assurés par lui de toute violence Nous n'avons plus sujet de te rien demander. Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes Les funestes éclats des plus grandes tempêtes Qu'excitèrent jamais deux contraires partis, Et n'en voit aujourd'hui nulle marque paraître, En ce miracle seul il peut assez connaître Quelle force a la main qui nous a garantis.

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    François Fabié

    @francoisFabie

    Le laboureur soldat Laboureur ! – Il n’était, ne voulut jamais être Que laboureur ; – un beau laboureur, lent et doux Et fort comme ses boeufs, qui l’aimaient entre tous Leurs bouviers, et venaient très docilement mettre, Dès son premier appel, leurs cornes et leurs cous Sous le dur joug en bois de hêtre… A vingt ans il dut les quitter, étant conscrit ; Mais, libéré, vers eux il revint à la hâte, Et, dès le lendemain de son retour, reprit Avec eux le labeur qui soulève, pétrit Et repétrit le soi comme une bonne pâte Dont le blé futur se nourrit… Un soir qu’il leur chantait le vieil air sans paroles Qu’ils comprennent fort bien et qui rythme leurs pas. Et qui les fait marcher encor quand ils sont las, Au petit clocher bleu soudain les cloches folles S’agitèrent dans un furieux branle-bas… Surpris, il s’arrête : Est-ce un glas ? Non. – Le gai carillon des veilles de dimanche ? Non plus. – Quelque incendie ? Ah ! certes ! Et partout Des gens courent :  » La guerre !… on mobilise !  » Au bout Du sillon brun, le laboureur lâche le manche, Dételle :  » Adieu, mes boeufs !  » Il part, et le trois août Il labourait pour la Revanche. Il porta le fusil et le sac vaillamment, Mais sans fanfaronnade et sans emballement, Se battit à Namur, fut blessé, guérit vite, Fut blessé de nouveau…, puis, comme nul n’évite Sa destinée, alla périr obscurément Dans cette presqu’île maudite Où sur un sol ingrat sans verdure et sans eaux, Sous la soif et la faim, les obus et les balles, Tant de pauvres enfants, des meilleurs, des plus beaux, – Ainsi qu’au grand soleil des épis sous la faux, – Si follement, si loin des campagnes natales, Tombèrent dans de vains assauts… Mon laboureur qui tant aimait son coin de terre, Ses genêts, ses prés verts et ses coteaux herbeux, Et la source où, le soir, il abreuvait ses boeufs, Et sa ferme, et peut-être, avec crainte et mystère D’un amour patient qu’il devait encor taire, La fille d’un maître ombrageux ; Le voyez-vous mourir longuement sur le sable, Là-bas, dans un pays atroce de païens, Les yeux martyrisés par l’azur implacable, Sans un regard ami de son ciel ni des siens, Sans que nul sur sa lèvre, à l’instant redoutable, Mît le signe aimé des chrétiens !… Pauvre petit soldat, ta mort, dont on ignore L’heure et le lieu, ne t’aura point valu la croix ; Que dis-je ! tu n’as pas même celle de bois Sur ta tombe perdue et que rien ne décore, Ni les ordres du jour flatteurs qui font encore Qu’on parle de vous quelquefois. Puisse le Dieu que tu servais et qui dénombre Exactement les morts et sait où sont leurs os, Sur le tertre où tu dors mettre au moins un peu d’ombre Et, quand vient la saison où migrent nos oiseaux, Faire gémir sur toi les ramiers du bois sombre Qui couvrit nos communs berceaux ; Et puisse-t-il donner à ceux-là qui te pleurent, Mais qui ne doutent pas de l’éternel revoir, La résignation, soeur tendre de l’espoir, Et leur persuader que les jeunes qui meurent En faisant comme toi simplement leur devoir Doublent l’ange veillant sur les vieux qui demeurent !

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