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Titre : Élégie de ma Mère

Auteur : Jacques Chessex

C'est presque toujours un chant d'oiseau Qui te fait venir Non l'oiseau des morts ou celui par qui la moquerie arrive Mais l'oiseau de l'enfance, le premier Celui qui ne se laisse pas voir mais que nous devinons à sa voix Et maintenant cette voix ne cesse d'appeler dans toutes les voix d'oiseaux que j'entends, mère À la forêt songeuse que tu connais Aux taillis du cimetière où j'apprends notre repos séparé Et bien plus profond dans mes os qui se sont formés en toi Et qui de toi gardent ce regret inguérissable Mère, je ne veux pas qu'il soit dit que l'enfance est gaie Mais j'ai des souvenirs qui sont beaux Je ne veux pas que tu souffres de mon ingratitude Mais l'enfance n'est pas gaie avec ses attentes Ni par la suite avec le doute sur le possible Mère, je déteste l'incertain et l'attente Toute mon enfance j'ai attendu et je ne comprenais pas Que tu ne saches pas ma haine de ces circonstances Mère aujourd'hui tu es vivante et je sais qu'un jour Abominablement je regretterai de ne t'avoir pas montré Que je t'aimais Comment être avec cette science et cet appel Qui sourd de l'ombre et trouve mon âme? Je sais que l'oiseau n'appelle pas, il parle innocemment Dans le secret ou la cloison C'est moi qui sens mon âme vibrer à ce que je trouve Comme un message de toi dans sa voix parfaite et détachée Tu connais bien les oiseaux mère tu les nommes La mésange la fauvette le rouge-gorge J'entends ces noms je revois des scènes très anciennes Par la fenêtre un jardin calme Une sente au bois où brillent les anémones l'étang noir avec les nénuphars qui luisent Tu as dit l'oiseau Mère et le Paradis se noue dans ce nom Dans la voix simple et unique de l'oiseau Où parle ta voix, bleuit ton regard Ô chante, mère Chante sans mots le chant de notre séparation et de ma peine Chante le chant de l'enfant si ton destin voulait Que tu le laisses seul à la rive Oui chante ce destin et ses conséquences Sur notre double destin de mère et de fils J'étais dans toi à former mon squelette Et déjà mes pensées couraient par le monde Avides de se séparer de toi et de t'oublier J'étais dans toi j'ai fui et je ne t'ai pas oubliée C'est l'histoire que raconte l'oiseau À la cime de l'arbre ou dans l'obscur C'est notre histoire, mère Je le jure comme une histoire de vrai amour