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Titre : Le cygne

Auteur : Christian Mégrelis

C’était un jour heureux, c’était presqu’autrefois. Fidèles aux vieux serments, solitaires, édéniques, Ensemble parcourant la forêt endémique, Nous recherchions un lac enchâssé dans ces bois. C’étaient aux antipodes où les cygnes sont noirs, Et ce lac disait-on, possédait les plus nobles. Le cygne était pour nous la métaphore commode De ce qu’aux temps passés on appelait devoir. Ils étaient si nombreux, tellement assortis Sur les berges et sur l’eau, mystérieux et altiers, Qu’à les regarder vivre nous étions fascinés Par ces couples funèbres au milieu des orties. Cette course lointaine fut presque la dernière. Aveugles aux présages, sûrs de notre hyménée, Ce lac, et puis ses cygnes, comme un rêve éveillé Sous les flots du malheur brusquement s’effacèrent. Et puis le temps passa. Le temps passe toujours. Et la vie, sous mon toit, retrouvait son chemin Au bord d’un autre lac dont, la main dans la main, En ne pensant qu’à nous, nous aimions faire le tour. Sur le miroir immense où l’azur se contemple, Au milieu de ce lac, témoin de nos amours Dont les rives emprisonnent le parfum de tes jours, Un pur flocon de neige glisse sur l’eau qui tremble. Le col raide, figé dans sa tunique blanche, Il trace un sillon droit sans chercher alentour Ni la volée qu’il mène, ni celle qui, toujours, Lui apprit l’art d’aimer et de voguer ensemble. Sa compagne enfuie, l’immense solitude L’a d’abord étranglé, puis est venue la nuit Où il a deviné qu’elle ne vivrait qu’en lui. Puis cette intuition s’est muée en certitude. Solitaire à présent, il conduit ses fidèles. J’aime à te regarder, j’admire ta prestance Qui nourrît mes pensées au long du deuil immense Qui m’a vu terrassé de survivre sans elle. Comme toi, maintenant, je suis calme et pensif. Me récitant nos vies pour peser nos erreurs, Et je n’en trouve aucune méritant la douleur De cette solitude qui me consume à vif. Comme le cygne du lac, j’apprends la gravité Et reprends mon chemin sur l’océan du temps. Ma tribu, qui m’entoure de son amour constant, Dessine le devoir qui devra m’habiter. Il s’agit de ma vie, toujours tournée vers elle, Ou plutôt de ce qu’il m’en reste aujourd’hui. De ce bout de vie-là, je veux faire une pluie Pour irriguer les vies qu’ils ont tous reçues d’elle. Si jamais je parviens, comme l’oiseau chanteur, A donner à ces vies l’envie de nos espoirs, Nos vies renouvelées, en arrivant au soir, Unies, témoigneront la force du bonheur. Patriarche du lac, cygne mélancolique, Tu m’as montré la vie avecques l’espérance. Voilà, j’avais besoin de cette tâche immense Pour rejoindre Eurydice en son séjour orphique. Ta blancheur triomphante me dessine un bonheur Que tes sombres cousins, présages de la mort, Auraient pu abolir, si tu n’avais guidé mon sort Vers la rive embrasée du feu de nos deux cœurs.