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Titre : Cantique des Mères

Auteur : Marceline Desbordes-Valmore

Reine pieuse aux flancs de mère, Ecoutez la supplique amère Des veuves aux rares deniers Dont les fils sont vos prisonniers : Si vous voulez que Dieu vous aime Et pardonne au geôlier lui-même, Priez d'un salutaire effroi Pour tous les prisonniers du roi ! On dit que l'on a vu des larmes Dans vos regards doux et sans armes ; Que Dieu fasse tomber ces pleurs. Sur un front gros de nos malheurs. Soulagez la terre en démence ; Faites-y couler la clémence ; Et priez d'un céleste effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Car ce sont vos enfants, madame, Adoptés au fond de votre âme, Quand ils se sont, libres encor, Rangés sous votre rameau d'or ; Rappelez aux royales haines Ce qu'ils font un jour de leurs chaînes ; Et priez d un prudent effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Ne sentez-vous pas vos entrailles Frémir des fraîches funérailles Dont nos pavés portent le deuil ? Il est déjà grand le cercueil ! Personne n'a tué vos filles ; Rendez-nous d'entières familles : Priez d'un maternel effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Comme Esmer s'est agenouillée Et saintement humiliée Entre le peuple et le bourreau, Rappelez le glaive au fourreau ; Vos soldats vont la tête basse. Le sang est lourd, la haine lasse : Priez d'un courageux effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Ne souffrez pas que vos bocages Se changent en lugubres cages ; Tout travail d'homme est incomplet ; C'est en vain qu'on tend le filet, Devant ceux qui gardent leurs ailes. Pour qu'un jour les vôtres soient belles, Priez d'un angélique effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Madame ! les geôles sont pleines ; L'air y manque pour tant d'haleines ; Nos enfants n'en sortent que morts ! Où commence donc le remords ? S'il est plus beau que l'innocence, Qu'il soit en aide à la puissance, Et priez d'un ardent effroi Pour tous les prisonniers du roi ! C'est la faim, croyez-en nos larmes, Qui, fiévreuse, aiguisa leurs armes. Vous ne comprenez pas la faim : Elle tue, on s'insurge enfin ! Ô vous ! dont le lait coule encore. Notre sein tari vous implore : Priez d'un charitable effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Voyez comme la Providence Confond l'oppressive imprudence ; Comme elle ouvre avec ses flambeaux, Les bastilles et les tombeaux ; La liberté, c'est son haleine Qui d'un rocher fait une plaine : Priez d'un prophétique effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Quand nos cris rallument la guerre, Cœur sans pitié n'en trouve guère ; L'homme qui n'a rien pardonné ; Se voit par l'homme abandonné ; De noms sanglants, dans l'autre vie, Sa terreur s'en va poursuivie ; Priez d'un innocent effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Reine ! qui dites vos prières, Femme ! dont les chastes paupières Savent lire au livre de Dieu ; Par les maux qu'il lit en ce lieu. Par la croix qui saigne et pardonne, Par le haut pouvoir qu'il vous donne : Reine ! priez d'un humble effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Avant la couronne qui change, Dieu grava sur votre front d'ange, Comme un impérissable don : "Amour ! amour ! pardon ! pardon !" Colombe envoyée à l'orage, Soufflez ces mots dans leur courage : Et priez de tout notre effroi, Pour tous les prisonniers du roi. Redoublez vos divins exemples, Madame ! le plus beau des temples. C'est le cœur du peuple ; entrez-y ! Le roi des rois l'a bien choisi. Vous ! qu'on aimait comme sa mère, Pesez notre supplique amère. Et priez d'un sublime effroi Pour tous les prisonniers du roi ! Lyon, 1834.