Titre : Élégie de mon Père
Auteur : Jacques Chessex
Ce matin je regarde monter la brume dans la couleur jaune des vallons
Je songe avec l'oiseau dans l'air comme dans la mort
Je songe à la musique enveloppée de brume dans les pentes
J'écoute la voix de mon père dans mon corps
Ce matin je regarde le visage de mon père
dans la brume dorée et jaune des collines
J'écoute l'appel d'un unique oiseau à la cime de l'arbre encore emperlé de pluie
Je vois le visage de mon père aux yeux de ciel
de juillet et d'éclair métallique avant l'orage
Son regard aigu et bon sur mes songes
Ce matin je descends dans l'écorce de l'arbre
et dans la pierre
Je ploie à la fraîcheur du vent dans la souple herbe
Je marche dans cette herbe à côté de mon père
Puis il s'arrête il approche un visage au front
ridé et lisse
Peut-être je touche ses yeux de prairie dans le ciel
entre les nuages
Peut-être j'entre dans le lac de verre de ces yeux
Avec les arbres les nuages la cime des monts
Peut-être je descends sous la terre du rocher
avec ces yeux
Ce matin je ne sais plus si c'est toi qui parles
ou si c'est moi
Tellement fort et précise parle ta voix dans ma voix
Je regarde un paysage d'ombre et d'air
J'écoute en toi le passage de la rivière
ô mon père
Et le vent qui fait bouger tes cheveux
pas encore blancs
Ce matin je marche dans l'herbe de jadis avec mon
père
Je rêve que je ne verrai jamais ses cheveux blancs
Ni que j'entendrai la rivière dans le temps
qui lui reste à vivre
Ni cet automne qui vient de vallon en vallon avec le
givre
Avec le chant de l'oiseau dans cet air jaune
Ni l'appel au fond de son corps
plus triste appel
Que les voix de la forêt, des pentes, des vallons
Plus triste et mélodieux appel
que celui de mon cœur mortel 0 si tu dois être mort en moi si longtemps
Jusqu'à ma mort peut-être si tu dois attendre
la vraie mort