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Titre : L’amour, le dédain et l’espérance

Auteur : Guillaume Apollinaire Recueil : Poèmes à Lou

Je t’ai prise contre ma poitrine comme une colombe qu’une petite fille étouffe sans le savoir Je t’ai prise avec toute ta beauté ta beauté plus riche que tous les placers de la Californie ne le furent au temps de la fièvre de l’or J’ai empli mon avidité sensuelle de ton sourire, de tes regards, de tes frémissements (J’ai eu à moi, à ma disposition ton orgueil même quand je te tenais courbée et que tu subissais ma puissance et ma domination) J’ai cru prendre tout cela, ce n’était qu’un prestige (Et je demeure semblable à Ixion après qu’il eut fait l’amour avec le fantôme de nuées fait à la semblance de celle qu’on appelle Héra ou bien Junon l’invisible. Et qui peut prendre, qui peut saisir des nuages ? qui peut mettre la main sur un mirage ? et qu’il se trompe celui-là qui croit emplir ses bras de l’azur céleste ! J’ai bien cru prendre toute ta beauté et je n’ai eu que ton corps Le corps hélas n’a pas l’éternité Le corps a la fonction de jouir mais il n’a pas l’amour Et c’est en vain maintenant que j’essaie d’étreindre ton esprit Il fuit, il me fuit de toutes parts comme un noeud de couleuvres qui se dénoue Et tes beaux bras sur l’horizon lointain sont des serpents couleur d’aurore qui se lovent en signe d’adieu Je reste confus, je demeure confondu Je me sens las de cet amour que tu dédaignes Je suis honteux de cet amour que tu méprises tant Le corps ne va pas sans l’âme Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps de naguère puisque ton âme était si éloignée de moi Et que le corps a rejoint l’âme Comme font tous les corps vivants Ô toi que je n’ai possédée que morte !) Et malgré tout, cependant que parfois je regarde au loin si vient le vaguemestre Et que j’attends comme un délice ta lettre quotidienne mon cœur bondit comme un chevreuil lorsque je vois venir le messager Et j’imagine alors des choses impossibles puisque ton coeur n’est pas avec moi Et j’imagine alors que nous allons nous embarquer, tous deux, tout seuls peut-être trois, et que jamais personne au monde ne saurait rien de notre cher voyage vers rien, mais vers ailleurs et pour toujours Sur cette mer plus bleue encore, plus bleue que tout le bleu du monde Sur cette mer où jamais l’on ne crierait : « Terre ! » Pour ton attentive beauté mes chants plus purs que toutes les paroles monteraient plus libres encore que les flots Est-il trop tard, mon coeur, pour ce mystérieux voyage ? La barque nous attend, c’est notre imagination Et la réalité nous rejoindra un jour Si les âmes se sont rejointes Pour le trop beau pèlerinage… Allons, mon coeur d’homme la lampe va s’éteindre Verses-y ton sang. Allons, ma vie, alimente cette lampe d’amour Allons, canons, ouvrez la route, Et qu’il arrive enfin le temps victorieux, le cher temps du retour Je donne à mon espoir mes yeux, ces pierreries Je donne à mon espoir mes mains, palmes de victoire Je donne à mon espoir mes pieds, chars de triomphe Je donne à mon espoir ma bouche, ce baiser Je donne à mon espoir mes narines qu’embaument les fleurs de la mi-mai Je donne à mon espoir mon cœur en ex-voto Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt Courmelois, mi-mai 1915