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Titre : Épitaphe d’un chat

Auteur : Joachim du Bellay

Maintenant le vivre me fâche ; Et afin, Magny, que tu saches, Pourquoi je suis tant éperdu, Ce n’est pas pour avoir perdu Mes anneaux, mon argent, ma bourse ; Et pourquoi est-ce donques ? pour ce Que j’ai perdu depuis trois jours Mon bien, mon plaisir, mes amours. Et quoi ? ô souvenance grève ! À peu que le cœur ne me crève, Quand j’en parle, ou quand j’en écris : C’est Belaud mon petit Chat gris : Belaud, qui fut par avanture Le plus bel œuvre que Nature Fit onc en matière de Chats : C’était Belaud la mort aux Rats, Belaud, dont la beauté fut telle, Qu’elle est digne d’être immortelle. Donques Belaud premièrement Ne fut pas gris entièrement, Ni tel qu’en France on les voit naître ; Mais tel qu’à Rome on les voit être. Couvert d’un poil gris argentin, Ras & poli comme satin, Couché par ondes sur l’échine, Et blanc dessous comme une hermine ; Petit museau, petites dents ; Yeux qui n’étaient point trop ardents ; Mais desquels la prunelle perse Imitait la couleur diverse Qu’on voit en cet arc pluvieux, Qui se courbe au travers des Cieux ; La tête à la taille pareille, Le col grasset, courte l’oreille, Et dessous un nez ébenin, Un petit mufle lionnin, Autour duquel était plantée Une barbelette argentée, Armant d’un petit poil folet Son musequin damoiselet ; Jambe grêle, petite patte, Plus qu’une moufle délicate ; Sinon alors qu’il dégainait Cela dont il égratignait ; La gorge douillette & mignonne ; La queue longue à la guenonne, Mouchetée diversement D’un naturel bigarement ; Le flanc haussé, le ventre large, Bien retroussé dessous sa charge, Et le dos moyennement long, Vrai souriant, s’il en fut onq’. Tel fut Belaud, la gente bête, Qui des pieds jusques à la tête, De telle beauté fut pourvu, Que son pareil on n’a point vu. Ô quel malheur ! ô quelle perte, Qui ne peut être recouverte ! Ô quel deuil mon âme en reçoit ! Vraiment la mort, bien qu’elle soit Plus fière qu’un ours, l’inhumaine, Si de voir, elle eût pris la peine, Un tel chat, son cœur endurci En eût eu, ce crois-je, merci : Et maintenant ma triste vie Ne haïrait de vivre l’envie. Mais la cruelle n’avait pas Goûté les folâtres ébats De mon Belaud, ni la souplesse De sa gaillarde gentillesse : Soit qu’il sautât, soit qu’il grattât, Soit qu’il tournât, ou voltigeât D’un tour de chat, ou soit encore, Qu’il prît un rat, & or’ & ores Le relâchant pour quelque temps, S’en donnât mille passe-temps. Soit que, d’une façon gaillarde, Avec sa patte frétillarde, Il se frottât le musequin ; Ou soit que ce petit coquin Privé sautelât sur ma couche ; Ou soit qu’il ravît de ma bouche La viande sans m’outrager, Alors qu’il me voyait manger ; Soit qu’il fît en diverses guises Mille autres telles mignardises. Mon Dieu ! quel passe-temps c’était Quand ce Belaud virevoltait, Folâtre autour d’une pelote ! Quel plaisir, quand sa tête sotte Suivant sa queue en mille tours, D’un rouet imitait le cours ! Ou quand, assis sur le derrière Il s’en faisait une jartière ; Et montrant l’estomac velu, De panne blanche crêpelu, Semblait, tant sa trogne était bonne, Quelque Docteur de la Sorbonne ! Ou quand, alors qu’on l’animait, À coups de patte il escrimait, Et puis apaisait sa colère, Tout soudain qu’on lui faisait chère. Voilà, Magny, les passe-temps, Où Belaud employait son temps ; N’est-il pas bien à plaindre donques ? Au demeurant tu ne vis onques Chat plus adroit, ni mieux appris À combattre rats & souris. Belaud savait mille manières De les surprendre en leurs tanières, Et lors leur fallait bien trouver Plus d’un pertuis, pour se sauver : Car onques rat, tant fût-il vite, Ne se vit sauver à la fuite Devant Belaud. Au demeurant Belaud n’était pas ignorant : Il savait bien, tant fut traitable, Prendre la chair dessus la table, J’entends, quand on lui présentait ; Car autrement il vous grattait, Et avec la patte friande De loin muguetait la viande. Belaud n’était point mal-plaisant : Belaud n’était point malfaisant ; Et ne fit onq’ plus grand dommage Que de manger un vieux fromage, Une linotte, & un pinson Qui le fâchaient de leur chanson ; Mais quoi, Magny, nous-mêmes hommes Parfaits de tous points nous ne sommes. Belaud n’était point de ces chats Qui nuit & jour vont au pourchas, N’ayant souci que de leur panse : Il ne faisait si grand dépense, Mais était sobre à son repas, Et ne mangeait que par compas. Aussi n’était-ce sa nature De faire partout son ordure, Comme un tas de chats, qui ne font Que gâter tout par où ils vont. Car Belaud, la gentille bête, Si de quelque acte moins qu’honnête Contraint possible il eût été, Avait bien cette honnêteté De cacher dessous de la cendre Ce qu’il était contraint de rendre. Belaud me servait de jouet : Belaud ne filait au rouet, Grommelant une litanie De longue & fâcheuse harmonie ; Ains se plaignait mignardement D’un enfantin miaulement. Belaud (que j’aie souvenance) Ne me fit onq’ plus grand’ offense Que de me réveiller la nuit, Quand il entroyait quelque bruit De rats qui rongeaient ma paillasse : Car lors il leur donnait la chasse, Et si dextrement les happait, Que jamais un n’en échappait. Mais, las ! depuis que cette fière Tua de sa dextre meurtrière La sûre garde de mon corps, Plus en sureté je ne dors ; Et or’, ô douleurs non pareilles ! Les rats me mangent les oreilles ; Même tous les vers que j’écris, Sont rongés de rats & souris. Vraiment les Dieux sont pitoyables Aux pauvres humains misérables, Toujours leur annonçant leurs maux, Soit par la mort des animaux, Ou soit par quelque autre présage, Des Cieux le plus certain message. Le jour que la sœur de Cloton Ravit mon petit Peloton, Je dis, j’en ai bien souvenance, Que quelque maligne influence Menaçait mon chef de là-haut ; Et c’était la mort de Belaud : Car quelle plus grande tempête Me pouvait foudroyer la tête ! Belaud était mon cher mignon ; Belaud était mon compagnon À la chambre, au lit, à la table ; Belaud était plus accointable Que n’est un petit Chien friand, Et de nuit n’allait point criant Comme ces gros marcoux terribles En longs miaulements horribles : Aussi le petit mitouard N’entra jamais en matouard ; Et en Belaud, quelle disgrâce ! De Belaud s’est perdu la race. Que plût à Dieu, petit Belon, Que j’eusse l’esprit assez bon, De pouvoir en quelque beau style Blasonner ta grâce gentille, D’un vers aussi mignard que toi ! Belaud, je te promets ma foi, Que tu vivrais, tant que sur terre Les Chats aux Rats feront la guerre.