splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Titre : Chanson d'amour

Auteur : Pierre de Ronsard Recueil : Poésies diverses

Chanson XV Quand ce beau printemps je vois, J'aperçois Rajeunir la terre et l'onde, Et me semble que le jour Et l'amour, Comme enfants, naissent au monde. Le jour, qui plus beau se fait, Nous refait Plus belle et verte la terre : Et Amour, armé de traits Et d'attraits, En nos cœurs nous fait la guerre, II répand de toutes parts Feu et dards, Et dompte sous sa puissance Hommes, bêtes et oiseaux, Et les eaux Lui rendent obéissance. Vénus, avec son enfant Triomphant Au haut de son Coche assise, Laisse ses cygnes voler Parmi l'air Pour aller voir son Anchise. Quelque part que ses beaux yeux Par les Cieux Tournent leurs lumières belles, L'air qui se montre serein Est tout plein D'amoureuses étincelles. Puis en descendant à bas, Sous ses pas Naissent mille fleurs écloses : Les beaux lys et les oeillets Vermeillets Rougissent entre les roses. Je sens en ce mois si beau Le flambeau D'Amour qui m'échauffe l'âme, Y voyant de tous côtés Les beautés Qu'il emprunte de ma Dame. Quand je vois tant de couleurs Et de fleurs Qui émaillent un rivage, Je pense voir le beau teint Qui est peint Si vermeil en son visage. Quand je vis les grands rameaux Des ormeaux Qui sont lacez de lierre, Je pense être pris et las De ses bras, Et que mon col elle serre. Quand j'entends la douce voix Par les bois Du gai Rossignol qui chante, D'elle je pense jouir Et ouïr Sa douce voix qui m'enchante. Quand je vois en quelque endroit Un pin droit, Ou quelque arbre qui s'élève. Je me laisse décevoir, Pensant voir Sa telle taille et sa grève (1). Quand je vois dans un jardin Au matin S'éclore une fleur nouvelle, Je compare le bouton Au téton De son beau sein qui pommelle. Quand le soleil tout riant D'Orient Nous montre sa blonde tresse, II me semble que je vois Devant moi Lever ma belle maîtresse. Quand je sens parmi les prés Diaprez (2) Les fleurs dont la terre est pleine, Lors je fais croire à mes sens Que je sens La douceur de son haleine. Bref, je fais comparaison Par raison Du Printemps et de ma mie : II donne aux fleurs la vigueur, Et mon cœur D'elle prend vigueur et vie. Je voudrais, au bruit de l'eau D'un ruisseau. Déplier ses tresses blondes, Frisant en autant de nœuds Ses cheveux, Que je verrais friser d'ondes. Je voudrais, pour la tenir, Devenir Dieu de ces forets désertes, La baisant autant de fois Qu'en un bois Il y a de feuilles vertes. Ah, maîtresse mon souci, Vient ici, Vient contempler la verdure Les fleurs, de mon amitié Ont pitié, Et seule tu n'en as cure (3). Au moins lève un peu tes yeux Gracieux, Et vois ces deux colombelles, Qui font naturellement, Doucement, L'amour, du bec et des ailes : Et nous, sous ombre d'honneur, Le bonheur Trahissons par une crainte : Les oiseaux sont plus heureux Amoureux Qui font l'amour sans contrainte. Toutefois ne perdons pas Nos ébats Pour ces lois tant rigoureuses : Mais si tu m'en crois, vivons, Et suivons Les colombes amoureuses. Pour effacer mon émoi, Baise-moi, Rebaise-moi, ma Déesse ; Ne laissons passer en vain Si soudain Les ans de notre jeunesse. 1. Grève : Jambe. 2. Diaprer : Varier. 3. Cure : Souci.