Titre : La toquade de Tatwu
Auteur : Gabriel Leroy
Il avait un regard pailleté d’ambre et d’or,
des sabots de cobalt, et le menton cornu.
Dans ses veines ruaient les hydres de l’ichor
dont l’ire incandescente empourprait son corps nu.
Tatwu aurait été un démon ordinaire
s’il n’avait eu un jour l’étrange volonté
de dédaigner les lois prodigues des enfers
pour convoiter les cieux et leur immensité.
Car Tatwu enviait la belle lune blême.
Lui qui était déchu, injustement puni,
jalousait les atours et les grâces suprêmes
de celle qui buvait au broc de l’infini.
Pendant presque mille ans il amassa des plumes,
de celles que parfois sous les cieux tourmentés
aiment à disperser les feux qui se consument.
Et le démon s’aila d’ombre et de vanité.
Il put choisir alors comme on choisit sa reine
le volcan le plus fier et le plus élevé.
Mais l’envol annoncé aux charmes de Sélène
ne se déroula pas comme il l’avait rêvé.
Comme au nœud d’une corde une vie reste prise
quand il s’était jeté vers la douce Phoebé,
son âme était restée accrochée à la brise
et son corps impatient au sol était tombé.
Puisqu’en cet instant là si hauts étaient ses rêves
et si démesuré son désenchantement,
son destin fut depuis de relier sans trêve,
le céleste au chtonien, l’enfer au firmament.
En essayant en vain de rallier son corps
tel au gouffre sans fond son esprit mécréant
ne cesse de tomber et de tomber encore,
de descendre à jamais les pentes du néant.
Il est le passager d’une chute éternelle.
C’est lui qui nous inspire et que nous contemplons
lorsque l’envie d’aimer vers les cieux nous appelle,
mais que nous n’avons foi qu’en des ailes de plomb.
Son essence à jamais se cherche entre deux mondes.
Quand l’espoir se repait de nos corps impuissants,
quand la mélancolie du couchant nous inonde,
c’est éternellement Tatwu qui redescend.