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Titre : À sa guiterre

Auteur : Pierre de Ronsard Recueil : Poésies diverses, Musique, Lieux, 1587

Ma guiterre, je te chante, Par qui seule je deçoy, Je deçoy, je romps, j'enchante Les amours que je reçoy. Nulle chose, tant soit douce, Ne te sçauroit esgaler, Toi qui mes ennuis repousse Si tost qu'ils t'oyent parler. Au son de ton harmonie Je refreschy ma chaleur ; Ardante en flamme infinie, Naissant d'infini malheur. Plus chèrement je te garde Que je ne garde mes yeux, Et ton fust que je regarde Peint dessus en mille lieux, Où le nom de ma déesse En maint amoureux lien, En mains laz d'amour se laisse, Joindre en chiffre avec le mien ; Où le beau Phebus, qui baigne Dans le Loir son poil doré, Du luth aux Muses enseigne Dont elles m'ont honoré, Son laurier preste l'oreille, Si qu'au premier vent qui vient, De reciter s'apareille Ce que par cœur il retient. Icy les forests compagnes Orphée attire, et les vents, Et les voisines campagnes, Ombrage de bois suivants. Là est Ide la branchue, Où l'oiseau de Jupiter Dedans sa griffe crochue Vient Ganymede empieter, Ganymede délectable, Chasserot délicieux, Qui ores sert à la table D'un bel échanson aux Dieux. Ses chiens après l'aigle aboient, Et ses gouverneurs aussi, En vain étonnez, le voient Par l'air emporter ainsi. Tu es des dames pensives L'instrument approprié, Et des jeunesses lascives Pour les amours dédié. Les amours, c'est ton office, Non pas les assaus cruels, Mais le joyeux exercice De souspirs continuels. Encore qu'au temps d'Horace Les armes de tous costez Sonnassent par la menace Des Cantabres indomtez, Et que le Romain empire Foullé des Parthes fust tant, Si n'a-il point à sa lyre Bellonne accordé pourtant, Mais bien Venus la riante, Ou son fils plein de rigueur, Ou bien Lalagé fuyante Davant avecques son cœur. Quand sur toy je chanteroye D'Hector les combas divers, Et ce qui fut fait à Troye Par les Grecs en dix hyvers, Cela ne peut satisfaire A l'amour qui tant me mord : Que peut Hector pour moy faire ? Que peut Ajax, qui est mort ? Mieux vaut donc de ma maistresse Chanter les beautez, afin Qu'à la douleur qui me presse Daigne mettre heureuse fin ; Ces yeux autour desquels semble Qu'amour vole, ou que dedans II se cache, ou qu'il assemble Cent traits pour les regardants. Chantons donc sa chevelure, De laquelle Amour vainqueur Noua mille rets à l'heure Qu'il m'encordela le cœur, Et son sein, rose naïve, Qui va et vient tout ainsi Que font deux flots à leur rive Poussez d'un vent adoucy.