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Titre : Pâques 1916

Auteur : William Butler Yeats Recueil : Michael Robartes et la danseuse, 1994

Je les ai rencontrés à la tombée du jour, Qui venaient avec des visages éclatants De leur comptoir, de leur bureau, parmi les grises Maisons du dix-huitième siècle. J’ai passé avec un salut de la tête Ou des mots polis dépourvus de sens, Ou bien je me suis attardé un instant et j’ai dit Des mots polis dépourvus de sens, Ou avant même d’avoir fini j’ai pensé A quelque histoire plaisante, ou à un bon mot, Destinés à distraire une connaissance Au club, au coin du feu, Parce que j’étais sûr qu’eux et moi Nous jouions dans la même farce: Tout est changé, changé du tout au tout : Une beauté terrible est née. Cette femme, ses jours se passaient Dans un dévouement sans méfiance; Ses nuits, ses argumentations A en avoir la voix brisée. Quelle voix pourtant était plus douce que la sienne Dans la beauté de sa jeunesse, Au temps où elle chassait à courre? Cet homme avait tenu une école, Et monté notre cheval ailé; Cet autre qui l’aidait, son ami, Arrivait à la force de l’âge: Pour finir il aurait sans doute conquis la gloire Tant sa nature paraissait sensible, Si audacieuse et délicate sa pensée. Cet autre encore, toujours j’avais songé à lui Comme à un rustre ivrogne et prétentieux. Il avait causé un tort très amer A des êtres proches de mon coeur. Pourtant, je le compterai au nombre de ceux que je chante ; Lui aussi a cédé son rôle Dans la comédie dérisoire ; Lui aussi a été changé à son tour, Transformé du tout au tout : Une beauté terrible est née. Les coeurs qui n’ont qu’un seul dessein, Hiver comme été, voici qu’un sortilège Semble les avoir changés en une pierre Qui trouble le courant de la vie. Le cheval qui vient sur la route, Le cavalier, les oiseaux qui errent Dans le mouvant désordre des nuages, Changent de minute en minute ; L’ombre d’un nuage sur le courant De minute en minute change ; Le sabot d’un cheval dérape sur le bord De l’eau, et le cheval y tombe ; Les poules d’eau aux longues pattes plongent, Les poules d’eau appellent les coqs des marais ; Tous vivent dans l’instant : Mais la pierre est au milieu d’eux tous. Un sacrifice trop long Peut changer le coeur en pierre. Quand cela sera-t-il assez ? En finir est le rôle du Ciel, et notre rôle Est de murmurer les noms l’un après l’autre Comme une mère le nom de son enfant Lorsqu’enfin le sommeil s’est appesanti Sur ses membres fatigués par la course. Qu’est-ce d’autre que la nuit qui tombe ? Non, non, – non pas la nuit : la mort ; Mais était-ce, après tout, une mort inutile ? L’Angleterre, en effet, pourrait tenir parole Malgré tout ce qui a été dit et fait. Nous le connaisons leur rêve ; assez Pour savoir qu’ils ont rêvé et qu’ils sont morts ; Mais si le mirage d’un excessif amour Les ayant égarés, était la cause de leur mort ? en vérité je le résume à un poème- MacDonagh et MacBride, Et Connolly et Pearse, Maintenant et à tout jamais, Partout où l’on porte le vert, Sont changés, changés du tout au tout : Une beauté terrible est née. 25 septembre 1916