Titre : Désir de Printemps
Auteur : David Herbert Lawrence
Je voudrais que ce fût le printemps dans le monde.
Que le printemps soit !
Viens, bouillonnement, ondée montante de sève !
Viens, flux de création !
Viens, vie ! monte à travers toute cette décomposition,
Viens, balaie ces exquises, ces sinistres premières fleurs,
qui sont plutôt dernières fleurs !
Viens, dégèle leur froid présage, dissous-les :
perce-neige, raideurs, exhalaisons veinées de mort des crocus, blancs,
violets,
fleurs de pénombre, filles de corruption, nourries de décomposition,
jets d’exquise finalité.
Viens printemps, saccage-les !
Je piétine les perce-neige, j’ai plaisir à fouler les jonquilles,
à détruire les froids narcisses ;
car j’en suis dégoûté, de leur sang pauvre
et de sa lenteur, de leur chair glacée, de leurs présages.
Il me faut la bonne sève vineuse, ardente, du printemps,
l’or, l’éclat inconcevable, la fine quintessence,
ténue comme d’un rayon, pourtant d’écrasante puissance,
forte comme l’ultime force équilibrant les mondes.
Telle est bien celle qui soulève la moisson des blés,
et la berce par tonnes de grain sur le vent mûrisseur,
celle qui balade les myriades de fruits globulaires
tentatrice, en l’air, entre le pouce et l’index, badine,
de poirier, de pommier, d’amandier, d’abricotier, de cognassier,
tempêtes et cumulus de toutes fleurs imaginables
autour de nos visages interdits,
adorateurs, ou non.
Je voudrais que ce fût le printemps,
soufflant, malin, sur les étincelles tombées, fragments épars de la
vieille flamme,
allumant de jolies petites conflagrations :
curieux poulains aux longues jambes, veaux aux larges oreilles,
moineaux nés tout nus.
Je voudrais que le printemps
lançât le tonnerre des pas en marche
des pas neufs sur la terre, battant d’impatience.
Je voudrais que ce fût le printemps, le tonnerre
délicat, tendre, du printemps.
Je voudrais que ces fleurs de corruption passionnée, mystérieuse
cassantes, au charme de gel,
ne fussent pas à venir encore, du déplaisir de l’hiver toujours actif.
Ah, au printemps la jacinthe sauvage se courbe dans l’excès de son
exubérance,
exultant d’un secret excès de chaleur,
courbée par son cœur de magnificence !
Oui, le jaillissement du printemps est assez fort
pour soulever le globe terrestre comme une balle sur un jet d’eau
dansant gaiement,
comme on voit la petite balle de celluloïd portée par une colonne
d’eau
pour les tireurs à deux sous la partie, dans un stand de foire.
Le jaillissement du printemps est assez fort
pour jouer avec le globe terrestre comme avec une balle sur une
fontaine ;
en même temps il ouvre les petites mains du coudrier
en toute, infinie patience.
Le pouvoir de la sève montante, dorée, toute créatrice, pourrait
prendre la terre
et la soulever parmi les étoiles, dans l’invisible ;
tout comme il place la grive au couchant sur une branche
chantant contre le merle,
surgit dans la vibrante hésitation de la primevère,
trahit sa candeur dans la blanche fleur ronde du fraisier,
trouve une dignité de chef Peau- Rouge dans la digitale.
Ah, viens, viens vite printemps,
Viens, élève nos myriades vers leur comble,
nous qui n’avons jamais fleuri, tels de patients cactus.
Viens, élève – nous au terme, à la floraison, porte nous à notre été,
nous lassés de l’hiver dans l’hiver de ce monde.
Viens faire le nid des pinsons creux et doux
Viens attendrir les bourgeons du saule, gonfle – les, fourre – les,
Puis souffle l’or dessus.
Viens enjoler les gauches fleurs du pas d’âne.
Viens, hâte- toi, rachète – nous
d’une excessive mort.
Viens vite, ébranle du dedans le globe pourri du monde,
fais-y éclater la germination, nouveau monde.
Viens maintenant vers nous, tes adeptes qui ne peuvent fleurir
dans la glace.
Le monde entier luit des lis de la Mort, l’invincible,
mais viens, donne- nous notre tour.
Assez de vierges et de lis, du parfum passionné, suffocant de la
corruption,
Plus d’odeur de narcisse, de lis prostitués, lames de sensation
perçant la chair en fleurs de mort.
Finissons, finissons de cette affaire, de ces délices frissonnantes,
frémissant désastre de la chair, acre passion, rare extase ourlée de mort.
A notre tour, vienne notre chance, sonne notre heure,
Ah, bientôt, bientôt !
Que la nuit tourne au violet d’une riche aurore
Que la nuit soit plus chaude, toute réchauffée par un rougeoiement
violet,
l’annonce violette de l’été dans le cœur cosmique de l’homme.
Est – ce déjà les violettes ?
Montrez – moi ! Je tremble si fort à l’entendre qu’à l’instant même
au seuil du printemps, j’ai peur de mourir.
Montrez – moi les violettes écloses.
Ah, si c’est vrai, si la vivante nuit du sang de l’homme prend teinte
de violette
si les violettes percent de dessous les ruines humaines, pourriture de
l’hiver écroulée,
le printemps viendra.
Prions de ne pas mourir sur ce Pigsa(1) fleuri de violettes.
Prions d’y survivre.
S’il vous vient une bouffée de violettes de l’ombre obscure de
l’humanité,
ce sera le printemps au monde
ce sera le printemps au monde des vivants
l’émerveillement qui s’organise, annoncé par les violettes,
l’émoi des saisons nouvelles.
Ah, que je ne meure pas au bord de telles promesses !
Que, pire encore, je ne me fasse pas illusion.