Titre : Au vieux Roscoff berceuse en Nord-Ouest mineur
Auteur : Tristan Corbière
Trou de flibustiers, vieux nid À corsaires! — dans la tourmente,
Dors ton bon somme de granit
Sur tes caves que le flot hante...
Ronfle à la mer, ronfle à la brise;
Ta corne dans la brume grise,
Ton pied marin dans les brisans...
—
Dors : tu peux fermer ton œil borgne
Ouvert sur le large, et qui lorgne
Les
Anglais, depuis trois cents ans.
—
Dors, vieille coque bien ancrée;
Les margats et les cormorans
Les margats et les cormorans
Tes grands poètes d'ouragans
Viendront chanter à la marée...
—
Dors, vieille fille-à-matelots;
Plus ne te soûleront ces flots
Qui te faisaient une ceinture
Dorée, aux nuits rouges de vin,
De sang, de feu! —
Dors...
Sur ton sein
L'or ne fondra plus en friture.
—
Où sont les noms de tes amants...
—
La mer et la gloire étaient folles! —
Noms de lascars! noms de géants!
Crachés des gueules d'espingoles...
Où battaient-ils, ces pavillons, Ëcharpant ton ciel en haillons!...
—
Dors au ciel de plomb sur tes dunes...
Dors : plus ne viendront ricocher
Les boulets morts, sur ton clocher
Criblé — comme un prunier — de prunes...
—
Dors : sous les noires cheminées,
Ecoute rêver tes enfants,
Mousses de quatre-vingt-dix ans, Épaves des belles années...
Il dort ton bon canon de fer,
À plat-ventre aussi dans sa souille.
Grêlé par les lunes d'hyver...
Il dort son lourd sommeil de rouille,
—
Va : ronfle au vent, vieux ronfleur,
Tiens toujours ta gueule enragée
Braquée à l'Anglais!... et chargée
De maigre jonc-marin en fleur