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Titre : Filles

Auteur : Paul Verlaine Recueil : Femmes, 1890

I Bonne simple fille des rues Combien te préféré-je aux grues Qui nous encombrent le trottoir De leur traîne, mon décrottoir, Poseuses et bêtes poupées Rien que de chiffons occupées Ou de courses et de paris Fléaux déchaînés sur Paris ! Toi, tu m’es un vrai camarade Qui la nuit monterait en grade Et même dans les draps câlins Garderait des airs masculins, Amante à la bonne franquette, L’amie à travers la coquette Qu’il te faut bien être un petit Pour agacer mon appétit. Oui, tu possèdes des manières Si farceusement garçonnières Qu’on croit presque faire un péché (Pardonné puisqu’il est caché) Sinon que t’as les fesses blanches De frais bras ronds et d’amples hanches Et remplaces que tu n’as pas Par tant d’orthodoxes appas. T’es un copain tant t’es bonne âme, Tant t’es toujours tout feu, tout flamme S’il s’agit d’obliger les gens Fût-ce avec tes pauvres argents Jusqu’à doubler ta rude ouvrage, Jusqu’à mettre du linge en gage ! Comme nous t’as eu des malheurs, Et tes larmes valent nos pleurs Et tes pleurs mêlés à nos larmes Ont leurs salaces et leurs charmes, Et de cette pitié que tu Nous portes sort une vertu T’es un frère qu’est une dame Et qu’est pour le moment ma femme… Bon ! Puis dormons jusqu’à potron- Minette, en boule et ron, ron, ron ! Serre-toi que je m’acoquine Le ventre au bas de ton échine Mes genoux emboîtant les tiens Tes pieds de gosse entre les miens. Roule ton cul sous ta chemise Mais laisse ma main que j’ai mise Au chaud sous ton gentil tapis. Là ! Nous voilà cois, bien tapis. Ce n’est pas la paix, c’est la trêve. Tu dors ? Oui. Pas de mauvais rêve. Et je somnole en gais frissons, Le nez pâmé sur tes frissons. II Et toi, tu me chausses aussi, Malgré ta manière un peu rude Qui n’est pas celle d’une prude Mais d’un virago réussi. Oui, tu me bottes, quoique tu Gargarises dans ta voix d’homme Toutes les gammes de rogomme, Buveuse à coudes rabattus ! Ma femme ! Sacré nom de Dieu ! À nous faire perdre la tête Nous foutre tout le reste en fête Et, nom de Dieu, le sang en feu. Ton corps dresse, sous le reps noir, Sans qu’assurément tu nous triches Une paire de nénais riches Souples, durs, excitants, faut voir ! Et moule un ventre jusqu’au bas Entre deux friands haut-de-cuisse, Qui parle de sauce et d’épice Pour quel poisson de quel repas ! Tes bas blancs — et je t’applaudis De n’arlequiner point des formes- Nous font ouvrir des yeux énormes Sur des mollets que rebondis ! Ton visage de brune où les Traces de robustes fatigues Marquent clairement que tu brigues Surtout le choc des mieux râblés, Ton regard ficelle et gobeur Qui sait se mouiller puis qui mouille Où toute la godaille grouille Sans reproche, ô non ! mais sans peur, Toute ta figure — des pieds Cambrés vers toutes les étreintes Aux traits crépis, aux mèches teintes, Par nos longs baisers épiés- Ravigote les roquentins Et les ci-devant jeunes hommes Que voilà bientôt que nous sommes, Nous électrise en vieux pantins, Fait de nous de vrais bacheliers Empressés auprès de ta croupe Humant la chair comme une soupe, Prêts à râler sous tes souliers ! Tu nous mets bientôt à quia, Mais, patiente avec nos restes, Les accommode, mots et gestes, En ragoût où de tout il y a. Et puis quoique mauvaise au fond, Tu nous a de ces indulgences ! Toi, si teigne entre les engeances, Tu fais tant que les choses vont. Tu nous gobe (ou nous le dis) Non de te satisfaire, ô goule ! Mais de nous tenir à la coule D’au moins les trucs les plus gentils. Ces devoirs nous les déchargeons, Parce qu’au fond tu nous violes, Quitte à te fiche de nos fioles Avec de plus jeunes cochons.