Titre : Chanson
Auteur : Guy de Coucy
La douce voix du rossignol sauvage
Qu'ouïs nuit et jour gaiement retentir,
M'adoucit tant mon cœur et le soulage
Qu'ai désir de chanter pour m'ébaudir.
Bien dois chanter puisqu'il vient à plaisir
Celle à qui j'ai fait de mon cœur hommage.
Je dois avoir grande joie en mon cœur,
Si me veut à son service retenir.
One envers ell n'eus cœur faux ni volage,
Il m'en devrait pour ce mieux advenir ;
Je l'aime et sers et adore par usage,
Et ne lui ose mes pensers découvrir.
Car sa beauté me fait tant ébahir
Que je ne sais devant ell' nul langage,
Ni regarder n'ose son simple visage,
Tant en redoute mes yeux à départir.
Tant ai en elle ferme assis mon cœur
Qu'ailleurs ne pense, et
Dieu m'en laisse jouïr ;
Jamais
Tristan, cil qui but le breuvage,
Si tendrement n'aima sans repentir.
Car j'y mets tout, coeur et corps et désir,
Sens et savoir, ne sais si fais folie,
Encore me doute qu'en toute ma vie
Ne puisse assez elle et s'amour servir.
Je ne dis pas que je fasse folie,
Ni si pour elle, il me faudra mourir ;
Car au monde n'est si belle ni si sage,
Et nulle chose n'est tant à mon plaisir.
Moult aime mes yeux qui me la firent choisir;
Dès que la vis, lui laissai en otage
Mon cœur qui depuis y a fait long stage,
Et ja nul jour ne l'en quiers départir.
Chanson, va t'en pour faire mon message
Là où je n'ose retourner ni aller,
Car tant redoute la maie gent jalouse
Qui devine avant que puissent advenir
Les biens d'amour;
Dieu les puisse maudire!
A maint amant ont fait ire et dommage,
Mais j'ai sur eux ce cruel avantage,
Qu'il me faut vaincre mon cœur pour obéir.