Titre : Je n'ai donc pu rêver
Auteur : Raymond Queneau
Je n'ai donc pu rêver que de fausses manœuvres, vaisseau que des hasards menaient de port en port, de havre en havre et de la naissance à la mort, sans connaître le fret
ignorant de leur œuvre.
Marins et passagers et navire qui tangue
et ce je qui débute ont même expression,
une charte-partie ou la démolition,
mais sur ce pont se livrent des combats exsangues.
Voici : le capitaine a regardé les nuages qui démolissaient l'horizon, il descend dans la cale où déjà du naufrage se profile l'inclinaison.
Voici : les rats se sauvent et plus d'un prisonnier trouve sa délivrance. La coquille a viré pour courir d'autres chances, et voici : l'on innove.
Que disent les marins ? ils grimpent aux cordages en sacrant comme des loups, ils ont passé la ligne affublés en sauvages, voulant encor faire les fous.
Voici : ce navire entre dans d'autres eaux,
d'autres mers où les orages
n'ont pas détruit le balisage,
et voici : les marins ont fermé leurs couteaux.
Voici : ce ne sont plus vers de faux rivages
que nous appareillons.
La vie est un songe, dit-on,
mais deux c'est trop pour mon âge.