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Titre : À Paul Gavarni

Auteur : Théodore de Banville Recueil : Odelettes

La Beauté, fatal aimant, Est pareille au diamant Que la fange peut mouiller Sans le souiller. Jusqu'au milieu du ruisseau, L'éclat pur de son berceau Garde un charme essentiel Qui vient du ciel. Ainsi, leurs cheveux au vent, Vois ces folles qui souvent Bercent le premier venu Sur leur bras nu. Ces filles aux teints flétris, Qui dévisagent Paris Avec leur regard moqueur, N'ont plus de cœur. Leur sein insensible et froid Que mord le corset étroit, N'a jamais pendant un jour Tremblé d'amour. Idoles ivres d'encens, Dont rien n'éveille les sens, Elle n'ont jamais pleuré Ni soupiré. Plus pâles que nos Ennuis, Ces spectres des folles nuits Ne mentent même pas bien, Et n'aiment rien. Rien ! ni l'orgie et le bal Qui se tord en carnaval Sous les clairons furieux, La flamme aux yeux, Ni le Vin, or ruisselant, Âme du raisin sanglant Qui met ses riches manteaux Sur nos coteaux, Ni la colère du Jeu, Qui rend puissants comme un dieu Les combattants éblouis De ses louis, Ni cette perle des mers Arrachée aux flots amers, Ni Golconde et son trésor, Ni même l'Or ! Car l'Or sur notre chemin, C'est l'Art sacré dont la main Embellit les horizons De nos prisons ; C'est la sereine fierté, C'est un jour de liberté Sous les ombrages fleuris Loin de Paris ; C'est l'Amitié, douce voix, Qu'on peut encore une fois Accueillir et mieux choyer A son foyer. Mais ce gouffre où tout se perd ! Mais elles ! L'or ne leur sert Qu'à se parer de chiffons Pour des bouffons. Pourquoi donc les chantons-nous, Cœurs de l'Idéal jaloux, Qui toujours au ciel obscur Cherchons l'azur ? Sur leurs têtes sans douceur Pourquoi, poëte et penseur, Fais-tu jaillir un rayon De ton crayon ? Ô philosophe subtil, Dis-le-moi, que reste-t-il A leur front désenchanté ? Quoi ? la Beauté ! La Beauté, miroir secret, Où l'amour divin paraît Reflété comme en un ciel Matériel !