Titre : Les fréron
Auteur : Voltaire
D’où vient que ce nom de Fréron
Est l’emblème du ridicule ?
Si quelque maître Aliboron,
Sans esprit comme sans scrupule,
Brave les moeurs et la raison ;
Si de Zoïle et de Chausson
Il se montre le digne émule,
Les enfants disent : » C’est Fréron. «
Sitôt qu’un libelle imbécile
Croqué par quelque polisson
Court dans les cafés de la ville,
» Fi, dit-on, quel ennui ! quel style !
C’est du Fréron, c’est du Fréron ! «
Si quelque pédant fanfaron
Vient étaler son ignorance,
S’il prend Gillot pour Cicéron,
S’il vous ment avec impudence,
On lui dit : » Taisez-vous, Fréron. «
L’autrejour un gros ex-jésuite,
Dans le grenier d’une maison,
Rencontra fille très-instruite
Avec un beau petit garçon.
Le bouc s’empara du giton.
On le découvre, il prend la fuite.
Tout le quartier à sa poursuite
Criait : » Fréron, Fréron, Fréron. «
Lorsqu’au drame de monsieur Hume
On bafouait certain fripon,
Le parterre, dont la coutume
Est d’avoir le nez assez bon,
Se disait tout haut : » Je présume
Qu’on a voulu peindre Fréron. «
Cependant, fier de son renom,
Certain maroufle se rengorge ;
Dans son antre à loisir il forge
Des traits pour l’indignation.
Sur le papier il vous dégorge
De ses lettres le froid poison,
Sans songer qu’on serre la gorge
Aux gens du métier de Fréron.
Pour notre petit embryon,
Délateur de profession,
Qui du mensonge est la trompette,
Déjà sa réputation
Dans le monde nous semble faite :
C’est le perroquet de Fréron.
Voltaire (François Marie Arouet)