Titre : Espoir
Auteur : Georges Emmanuel Clancier
La ville jette sur mon corps les griffes de son jeu,
Sa nuit, et la verdure pâle perverse des arbres,
Sa nuit où les voix ne sont plus qu'une parole en feu
Et qui murmure au noir la fureur douce de la chair.
Tant d'amoureuses, de rêves et de destins se perdent,
Tant d'appels lourds se perdent qui me frôlent jusqu'au
sang.
Je ne les connais plus : pauvres aveux élincelants
Dont la lueur même signe la secrète misère,
Je ne sais quels parfums de campagne veillent en eux
Ni l'enfance de leur désir le nom de leur soleil,
Je ne sais que ces solitudes errantes au ciel :
Passions désertes d'une croisade sans regards,
Un vent tournoie qui les entraîne et les hausse à la
mort.
Seul, j'écoute la vaine rumeur des vies égarées,
Par la nuit je l'écoute et sous l'ombre de mon silence,
Malgré la chaleur qui rôde d'étreintes et de danses
Il me faut croire au gel fatal où se prend la pensée.
N'est-ce rien d'autre qu'un songe l'astre de cette ville,
Ample délire charnel grondant sous la nuit comme île
D'été ?
Cette menace est mienne qui râle aux faubourgs ;
Les murs là-bas sont battus des lames des landes grises :
L'herbe brûle, les feux crient, jamais n'y chante le
jour.
Toute l'horrible absence du monde y creuse les hommes,
Aspire leur odorante saison de souvenirs ;
Telle qu'une blessure bleue de néant gît la guerre,
Bave la guerre, jusqu'aux veines obscures du temps,
Cendres et ruines aux combes de l'univers déferlent,
La houle des landes amères courbe les vivants.
Seul je sens les rues charrier leur poids de simples merveilles,
Je guette sous les murs l'insecte mort de la pensée.
Seul j'écoute au delà des branches déchirées de l'île
Gémir le crime contre l'espoir hautain d'une fleur.
Puis, lente, si patiente une aube apaise les présences...
Des brumes douloureuses je vois sourdre un peu du
baume.
Un peu de l'abandon timide où saura fuir la sève.
Au loin, pleine des musiques de la terre, une fleur,
Mille fleurs poussent leur fraîcheur têtue, percent le
gel.
Redeviennent les pourpres nervures d'une pensée,
Lavent ces atroces fumées où s'écroulaient les peuples, —
Des fleurs gonflées de l'aube mélancolique de dieu.
Violette et blanche prairie promise hors de l'horizon,
J'attends que s'enroulent à l'île les bras de ta sève,
Que ton balancement déjà soulève la moisson
Du désert ; une tige, un oiseau, le ciel, seules trêves
Jaillies à l'âme et brisant l'éternité de la guerre.
Viennent la chevauchée et l'oraison de tes feuillages ;
Le seuil lisse des fleurs qu'A aborde autour de la terre
Et qu'y glisse un être libre de nos pauvres orages !
Je te devine forêt transparente de l'espoir ;
Tes rameaux enchevêtrés dans les ombres de la ville
Gagnent soudain les hommes, les vêtent de leur
écorce
Puis les meuvent sous le soir, doucement, comme leurs
fruits;
Les solitudes, pures des fards anciens de l'angoisse.
Fuient la chair, ouvrent les amours, montent, calmes
étoiles, À travers les branches sans automne où le monde luit.
L'air pose sur mes yeux le même tissu de secrets.
Rien n'a tremblé, parmi les allusives inconnues
Qui brassaient vers leurs seins, d'une main sauvage,
cette heure.
Elles passent en moi toujours avec cette senteur
De pluie au crépuscule, et toujours, elles chantent,
nues.
Mais le souffle futur, mais le cœur égal des pollens
Ont respiré dans l'élan sans royaume des sirènes,
Le présage en est sur leur peau ce reflet de fontaine
Où les rêves, les caresses et l'être s'uniraient.
Le sommeil des prairies oscille loin des destinées
Mais les signes de sa puissance en mon désir se
frayent
Une trace d'herbes et de sable sous la rosée :
Signes des menthes, des iris dressant sur mes années
Une foule dont les fleurs rythment la céleste haleine
Comme elles rythment le battement inquiet de ma
vie...
L'espoir est cette jeune fougère qui m'envahit
Novembre 1940