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Campagne

106 poésies en cours de vérification
Campagne

Poésies de la collection campagne

    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Épilogue Ma Muse pastorale aux regards des Français Osait ne point rougir d’habiter les forêts. Elle eût voulu montrer aux belles de nos villes La champêtre innocence et les plaisirs tranquilles ; Et, ramenant Palès des climats étrangers, Faire entendre à la Seine enfin de vrais bergers. Elle a vu, me suivant dans mes courses rustiques, Tous les lieux illustrés par des chants bucoliques. Ses pas de l’Arcadie ont visité les bois, Et ceux du Mincius, que Virgile autrefois Vit à ses doux accents incliner leur feuillage ; Et d’Hermus aux flots d’or l’harmonieux rivage, Où Bion, de Vénus répétant les douleurs, Du beau sang d’Adonis a fait naître des fleurs ; Vous, Aréthuse aussi, que de toute fontaine Théocrite et Moschus firent la souveraine ; Et les bords montueux de ce lac enchanté, Des vallons de Zurich pure divinité, Qui du sage Gessner à ses nymphes avides Murmure les chansons sous leurs antres humides. Elle s’est abreuvée à ces savantes eaux, Et partout sur leurs bords a coupé des roseaux. Puisse-t-elle en avoir pris sur les mêmes tiges Que ces chanteurs divins, dont les doctes prestiges Ont aux fleuves charmés fait oublier leurs cours, Aux troupeaux l’herbe tendre, au pasteur ses amours ! De ces roseaux liés par des noeuds de fougère Elle osait composer sa flûte bocagère, Et voulait, sous ses doigts exhalant de doux sons, Chanter Pomone et Pan, les ruisseaux, les moissons, Les vierges aux doux yeux, et les grottes muettes, Et de l’âge d’amour les ardeurs inquiètes.

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    André Theuriet

    André Theuriet

    @andreTheuriet

    La Loire à Langeais Large et lente, la Loire aux clartés de midi Roule parmi les prés ses eaux éblouissantes; Le sol brûle, l’air tremble, et le sable attiédi Étend au grand soleil ses nappes blanchissantes. Et sur les flots moirés dorment de vertes îles, Ceintes de peupliers, d’aunes et de bouleaux: Rameaux flottans, feuillée épaisse, frais asiles Se bercent reflétés dans la splendeur des eaux. Ouvrant ses bras d’argent, la royale rivière Sur son sein frémissant les presse avec amour; L’eau vers les saules gris, les saules vers l’eau claire, Attirés et charmés, s’avancent tour à tour. Des vignes aux blés mûrs tout parle de tendresse, C’est un murmure sourd, un chant voluptueux; Loire, tout entière à sa muette ivresse, Baise avec passion les bords silencieux… La nuit vient. Au milieu d’une brume empourprée, Le soleil s’est plongé dans l’onde qui rougit. Le feuillage frissonne, et la lune dorée Au sommet des noyers se montre et resplendit. Et l’on entend dans l’eau, dans les sombres ramées, Des rires, des baisers et des éclats de voix, Comme si des amans avec leurs bien-aimées S’entretenaient d’amour dans les sentiers des bois. Et l’on croit voir passer de vagues ombres blanches. Est-ce un frêle brouillard par le vent emporté, Ou le jeu d’un rayon de lune sur les branches?… L’air exhale de chauds parfums de volupté. C’est vous qu’on voit errer, ô splendides maîtresses! Vous qui dans vos tombeaux sommeillez tout le jour, Diane, Marguerite, ô reines, ô duchesses, Fantômes des vieux temps et de la vieille cour! Vous revenez la nuit: vos amans, vos poètes Marchent à vos côtés. Fiers, sourians et beaux, Contant de gais propos, chantant des odelettes, Les couples enlacés glissent sous les bouleaux.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Aube J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les reparties de Nina LUI – Ta poitrine sur ma poitrine, Hein ? nous irions, Ayant de l’air plein la narine, Aux frais rayons Du bon matin bleu, qui vous baigne Du vin de jour ?… Quand tout le bois frissonnant saigne Muet d’amour De chaque branche, gouttes vertes, Des bourgeons clairs, On sent dans les choses ouvertes Frémir des chairs : Tu plongerais dans la luzerne Ton blanc peignoir, Rosant à l’air ce bleu qui cerne Ton grand oeil noir, Amoureuse de la campagne, Semant partout, Comme une mousse de champagne, Ton rire fou : Riant à moi, brutal d’ivresse, Qui te prendrais Comme cela, – la belle tresse, Oh ! – qui boirais Ton goût de framboise et de fraise, O chair de fleur ! Riant au vent vif qui te baise Comme un voleur ; Au rose, églantier qui t’embête Aimablement : Riant surtout, ô folle tête, À ton amant !…. ……………………………………………….. – Ta poitrine sur ma poitrine, Mêlant nos voix, Lents, nous gagnerions la ravine, Puis les grands bois !… Puis, comme une petite morte, Le coeur pâmé, Tu me dirais que je te porte, L’oeil mi-fermé… Je te porterais, palpitante, Dans le sentier : L’oiseau filerait son andante Au Noisetier… Je te parlerais dans ta bouche.. J’irais, pressant Ton corps, comme une enfant qu’on couche, Ivre du sang Qui coule, bleu, sous ta peau blanche Aux tons rosés : Et te parlant la langue franche – ….. Tiens !… – que tu sais… Nos grands bois sentiraient la sève, Et le soleil Sablerait d’or fin leur grand rêve Vert et vermeil ……………………………………………….. Le soir ?… Nous reprendrons la route Blanche qui court Flânant, comme un troupeau qui broute, Tout à l’entour Les bons vergers à l’herbe bleue, Aux pommiers tors ! Comme on les sent tout une lieue Leurs parfums forts ! Nous regagnerons le village Au ciel mi-noir ; Et ça sentira le laitage Dans l’air du soir ; Ca sentira l’étable, pleine De fumiers chauds, Pleine d’un lent rythme d’haleine, Et de grands dos Blanchissant sous quelque lumière ; Et, tout là-bas, Une vache fientera, fière, À chaque pas… – Les lunettes de la grand-mère Et son nez long Dans son missel ; le pot de bière Cerclé de plomb, Moussant entre les larges pipes Qui, crânement, Fument : les effroyables lippes Qui, tout fumant, Happent le jambon aux fourchettes Tant, tant et plus : Le feu qui claire les couchettes Et les bahuts : Les fesses luisantes et grasses Du gros enfant Qui fourre, à genoux, dans les tasses, Son museau blanc Frôlé par un mufle qui gronde D’un ton gentil, Et pourlèche la face ronde Du cher petit….. Que de choses verrons-nous, chère, Dans ces taudis, Quand la flamme illumine, claire, Les carreaux gris !… – Puis, petite et toute nichée, Dans les lilas Noirs et frais : la vitre cachée, Qui rit là-bas…. Tu viendras, tu viendras, je t’aime ! Ce sera beau. Tu viendras, n’est-ce pas, et même… Elle – Et mon bureau ?

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Les jours de Juin Eugène, puisque Juin, le plus feuillu des mois, Est de retour, veux-tu tous deux aller au bois ? Ensemble et seuls, veux-tu, sous l’épaisse ramure, Prendre un long bain de calme, et d’ombre, et de verdure ? Viens-t-en sous la forêt de Meudon ou d’Auteuil Ouïr gaîment siffler le merle et le bouvreuil. Vois, ami, le beau ciel ! la belle matinée ! Tout nous promet sur l’herbe une bonne journée. Qui te retient ? Partons, amis au cœur joyeux, Allons vivre ! fermons nos livres ennuyeux ! Oublions nos travaux, nos soucis, notre prose ! Sur sa tige allons voir s’épanouir la rose ! Dans la mousse odorante où croît le serpolet, Quel bonheur d’égrener des fraises dans du lait, Et, d’un tabac ambré fumant des cigarettes, Assis sur le gazon jonché de pâquerettes, De discourir de tout, de demain, d’aujourd’hui, Et du passé d’hier, bel âge évanoui, Jours si vite envolés de collège et d’études, Et de nos froids pédants aux doctes habitudes, Et des maîtres aimés, nos bons vieux professeurs, Les Ménard, les Duguet, aux sévères douceurs ! Nous nous rappellerons nos longues promenades Au Pont du Sens, nos bains l’été, nos camarades, Chers enfants dispersés à tous les vents du sort, Ceux-là pris par le monde, et ceux-ci par la mort, Hélas ! Et le silence aux molles rêveries Alors remplacera nos vives causeries ; Et des dômes ombreux qu’attiédit le soleil, Descendra sur nos fronts un transparent sommeil, Sommeil fait de lumière et de vague pensée ; Et, comme une onde errante et d’un doux vent bercée, Abandonnant notre âme à ses songes flottants, Les yeux à demi clos nous rêverons longtemps… Puis, renouant le fil des longues confidences, Nous dirons nos travaux, nos vœux, nos espérances ; Et, tels que dans l’églogue aux couplets alternés, Deux pasteurs devisant sur leurs vers nouveau-nés, Nous nous réciterons, toi ta chère Vendée, Beau livre où ton esprit couve une grande idée ; Moi, mes chants sur mon île aux palmiers toujours verts, Éclose au sein des eaux comme une fleur des mers. Et tu verras passer dans ces vers sans culture Un monde jeune et fort, une vierge nature, Des savanes, des monts pleins de mâles beautés, Et, creusés dans leurs flancs, ces vallons veloutés Où, près des froids torrents bordés de mousse fraîche, Mûrissent pour l’oiseau le jam-rose et la pêche ; Un soleil merveilleux, un ciel profond et clair, Des bengalis, des fleurs, joie et parfums de l’air, Tout un Éden baigné de splendeur et d’arôme Où tout est poétique et grand, excepté l’homme ! Puis les oiseaux viendront, gazouillant leurs amours, A mes lointains pensers donner un autre cours. Ils diront leurs amours, et moi, sous la ramée, Comme eux, je te dirai ma pâle bien-aimée, Aux longs cheveux plus noirs que l’aile du corbeau, Aux yeux d’ébène, au front intelligent et beau, Sa bouche jeune et mûre, et sur ses dents nacrées Le rire éblouissant de ses lèvres pourprées, Et sa belle indolence et sa belle fierté, Et sa grâce plus douce encor que sa beauté ! Alors, adieu mon île et les vertes savanes, Et les ravins abrupts tapissés de lianes, Les mimosas en fleur, le chant des bengalis ! Adieu travaux et vers, la Muse et mon pays ! J’aurai tout oublié, radieux et fidèle, Pour ne me souvenir et ne parler que d’elle ! Je te raconterai – souvenir embaumé ! – Comment, un soir d’avril, je la vis et l’aimai ; Comment de simples fleurs, de douces violettes, Furent de notre amour les chastes interprètes ; Comment, un autre soir, à son front j’ai posé Des lèvres où mon cœur palpitait embrasé ; Comment dans un éclair de volupté suprême, Pressant contre mon sein le sein brisé qui m’aime, Foudroyé de bonheur et me sentant mourir, J’ai crié : « Maintenant, ô mort ! tu peux venir ! » Mais, vois ! le ciel serein ! la belle matinée ! Tout nous promet sur l’herbe une bonne journée. Viens-t’en ! fuyons la ville ! Amis au cœur joyeux, Allons vivre ! fermons nos livres ennuyeux ! Ensemble et seuls, allons sous l’épaisse ramure Prendre un long bain d’oubli, de calme et de verdure.

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Les soleils de Juillet Les voici revenus, les jours que vous aimez, Les longs jours bleus et clairs sous des cieux sans nuage. La vallée est en fleur, et les bois embaumés Ouvrent sur les gazons leur balsamique ombrage. Tandis que le soleil, roi du splendide été, Verse tranquillement sa puissante clarté, Au pied de ce grand chêne aux ramures superbes, Amie, asseyons-nous dans la fraîcheur des herbes ; Et là, nos longs regards perdus au bord des cieux, Allant des prés fleuris dans l’éther spacieux, Ensemble contemplons ces beaux coteaux, ces plaines Où les vents de midi, sous leurs lentes haleines, Font des blés mûrissants ondoyer les moissons. Avec moi contemplez ces calmes horizons, Ce transparent azur que la noire hirondelle Emplit de cris joyeux et franchit d’un coup d’aile ; Et là-bas ces grands bœufs ruminants et couchés, Et plus loin ces hameaux d’où montent les clochers, Et ce château désert, ces croulantes tourelles, Qu’animent de leur vol les blanches tourterelles, Et ce fleuve paisible au nonchalant détour, Et ces ravins ombreux, frais abris du pâtour, Et tout ce paysage, heureux et pacifique, Où s’épanche à flots d’or un soleil magnifique ! …

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Paysage Midi. L’astre au zénith flamboyait dans les cieux. L’azur immaculé, profond et radieux, Posait sur l’horizon sa coupole sereine. Le fleuve au loin passait, lent, sur la brune arène. Des vallons aux coteaux, des coteaux aux vallons, Les champs jaunis ou verts prolongeaient leurs sillons. Sur les versants ombreux des collines prochaines La forêt étageait ses hêtres et ses chênes. Ce n’est plus, ô printemps ! tes riantes couleurs ; C’est l’été mûrissant aux fécondes chaleurs. Sous les soleils d’août, d’une teinte plus dure, L’arbre à l’épais feuillage assombrit sa verdure ; La fraîcheur a fait place à la force ; l’été Resplendit dans sa flamme et sa virilité. Aux fleurs ont succédé les fruits, — saintes richesses De l’homme ; — la nature a rempli ses promesses. Il est midi. Planant dans l’immobilité, L’astre épanche sa flamme avec tranquillité. Le vent s’est assoupi, la forêt est paisible. Parfois, sous les rameaux, l’oiseau chante, invisible, Puis se tait, fatigué de lumière, et s’endort ; Les abeilles, les taons des bois, les mouches d’or, Enivrés des rayons qui tombent des ramures, Sur l’herbe tiède et molle éteignent leurs murmures : La lumière au silence, hymen mystérieux, S’accouple dans la paix des bois et dans les cieux. Paix sainte des grands bois ! paix des cieux pleins de flamme ! Heureux, heureux qui peut, dans ses yeux, dans son âme, Sans pleurs, sans deuils poignants, sans regrets acérés, Paix saintes, recevoir vos effluves sacrés ! Heureux l’esprit sans trouble, heureuse la paupière Que le silence enivre et qu’endort la lumière, Qui jouit d’un beau jour sans le voir se ternir Des ombres qu’après soi traîne le souvenir !

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    Blaise Cendrars

    Blaise Cendrars

    @blaiseCendrars

    Campagne Paysage magnifique Verdoyantes forêts de sapins de hêtres de châtaigniers coupées de florissantes cultures de blé d'avoine de sarrasin de chanvre Tout respire l'abondance Le pays d'ailleurs est absolument désert A peine rencontre-î-on par-ci par-là un paysan conduisant une charrette de fourrage Dans le lointain les bouleaux sont comme des colonnes d'argent

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    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    Le fleuve À Monsieur Ernest Legouvé Ravi des souvenirs clairs de l’eau dont s’abreuve La terre, j’ai conçu cette chanson du Fleuve. Derrière l’horizon sans fin, plus loin, plus loin Les montagnes, sur leurs sommets que nul témoin N’a vus, condensent l’eau que le vent leur envoie. D’où le glacier, sans cesse accru, mais qui se broie Par la base et qui fond en rongeant le roc dur. Plus bas, non loin des verts sapins, le rire pur Des sources court parmi les mousses irisées Et sur le sable fin pris aux roches usées. Du ravin de là-bas sort un autre courant, Et mille encore. Ainsi se grossit le torrent Qui descend vers la plaine et commence le Fleuve. Mais l’eau court trop brutale et d’une ardeur trop neuve Pour féconder le sol. Sur ces bords déchirés, Aubépines, lavande et thym, genêts dorés Trouvent seuls un abri dans les fentes des pierres. Voici que le torrent heurte en bas les barrières De sable et de rochers par lui-même traînés. C’est la plaine. Il s’y perd en chemins détournés Qui calment sa fureur. Et quelques petits arbres Suivent l’eau qui bruit sur les grès et les marbres. Ces collines, derniers remous des monts géants, Flots figés du granit coulant en océans, Ces coteaux, maintenant verts, se jaspent de taches Blanches et rousses qui marchent. Ce sont les vaches Ou, plus près, le petit bétail. Le tintement Des clochettes se mêle au murmure endormant De l’eau. Les peupliers pointus aiment les rives Plates. Voici déjà que leurs files passives Escortent çà et là le Fleuve calme et fort. Les champs sont possédés par les puissants. Au bord Ceux qui n’ont pas l’espoir des moissons vont en foule Attendre l’imprévu qu’apporte l’eau qui coule : Paillettes d’or, saphirs, diamants et rubis, Que les roches, après tant d’orages subis, Abandonnent du fond de leur masse minée, Sous l’influx caressant de l’eau froide, obstinée. Que de sable lavé, que de rêves promis, Pour qu’un peu d’or, enfin, reste au fond du tamis ! Prends ton bâton, chercheur ! La ville n’est pas proche, Et d’obliques regards ont pesé ta sacoche. D’autres, durs au travail sèment en rond les plombs Des grands filets ; l’argent frétillant des poissons Gonfle la trame grise, apportant l’odeur fraîche Et fade qui s’attache aux engins de la pêche. Mais le gain est précaire, et plus d’un écumeur Descend, cadavre enflé, dans le flot endormeur. Le fleuve emporte tout, d’ailleurs. Car de sa hache Le bûcheron, tondeur des montagnes, arrache Les sapins des hauteurs, qu’il confie au courant ; Et, plus bas, la scierie industrieuse prend Ces arbres, et, le Fleuve étant complice encore, Les dépèce, malgré leur révolte sonore. Puis la plaine avec ses moissons, puis les hameaux D’où viennent s’abreuver, au bord, les animaux : Bœufs, chevaux ; tandis qu’en amont, les lavandières Font claquer leurs battoirs sur le linge et les pierres. Ou bien plongent leurs bras nacrés dans l’eau qui court, Et, montrant leurs pieds nus, le jupon troussé court, Chantent une chanson où le roi les épouse. Chanson, pieds nus, bras blancs, font que ce gars en blouse Distrait, laisse aller seul son cheval fatigué, Fumant, poitrail dans l’eau, par les courbes du gué. Ces feuillages, en plein courant, couvrent quelqu’île Qu’on voudrait posséder, pour y rêver tranquille. Puis des collines à carreaux irréguliers, Des petits bois ; plus près de l’eau, les peupliers Et les saules. Le Fleuve élargi, moins rapide, S’emplit de nénuphars, de joncs. Dans l’or fluide Du soir, les moucherons valsent. Mais, rapprochés, Maintenant les coteaux s’élèvent. Des rochers Interrompent souvent les cultures en pente. Tout le pays pierreux, où le Fleuve serpente Nourrit, pauvre et moussu, la ronce et le bandit. Le courant étranglé dans les ravins, bondit Sur les roches, ou bien dort dans les trous qu’il creuse. Mais l’eau n’interrompt pas sa course aventureuse Malgré tant de travaux et de sommeils. Voici La brèche ouverte sur l’horizon obscurci Par la poussière d’eau. Le lit de pierre plate Finit brusque, et le flot, pesante nappe, éclate En un rugissement perpétuel. En bas, Les rocs éparpillés comme après des combats De titans, brisent l’eau sur leurs arêtes dures. Au loin, tout est mouillé. L’audace des verdures Plantureuses encadre et rompt souvent l’éclat De la chute écumeuse. Ici le pays plat Étale encor ses prés, ses moissons. Des rivières, Venant on ne sait d’où, capricieuses, fières Courent les champs, croyant qu’elles vivront toujours Dans la parure en fleur de leur jeune parcours. Mais le Fleuve vainqueur les arrête au passage, Et fait taire ce rire en son cours vaste et sage. Aux rives les hameaux se succèdent pareils. Puis, voici l’industrie aux discordants réveils. Les rossignols, troublés par le bruit et la suie Des usines, s’en vont vers les bois frais qu’essuie La pluie et qu’au matin parfume le muguet. Le soleil luit toujours ; mais l’homme fait le guet. Voilà qu’il a bâti des quais et des écluses ; Et les saules cendrés, méfiants de ces ruses, Et les peupliers fiers ne vont pas jusque-là. Ces coteaux profanés, d’où le loup s’en alla, S’incrustent de maisons blanches et de fabriques Qui dressent gravement leurs hauts tuyaux de briques. Sur le Fleuve tranquille, égayant le tableau, Les jeunes hommes, forts et beaux, qui domptent l’eau, Oublieux, en ramant, de l’intrigue servile, S’en vont, joyeux, avec des femmes. C’est la ville, La ville immense avec ses cris hospitaliers, L’eau coule entre les quais corrects. Des escaliers Mènent aux profondeurs glauques du suicide. À la paroi moussue un gros anneau s’oxide, Pour celui qui se noie inaccessible espoir. Ligne capricieuse et noire sur le soir Verdâtre, les maisons, les palais en étages Se constellent. Au port, les ventes, les courtages Sont finis. Le jour baisse, et les chauves-souris Voltigent lourdement, poussant des petits cris. Ces vieux quais oubliés sur leurs pierres disjointes Supportent des maisons grises aux toits en pointes. Là, sèchent des chiffons que de leurs maigres bras Les femmes pauvres ont rincés. En bas, des rats. Le flot profond, serré par les piles massives Du pont, court plus féroce, et les pierres passives Se laissent émietter par l’eau, tranquillement. On voit s’allumer moins d’astres au firmament Que de lumières sur les quais et dans les rues Pleines du bruit des voix, des bals gais, parcourues Par les voitures. Seul, le Fleuve ne rit pas Sous les chalands ventrus et lourds. D’ailleurs, en bas, L’égout vomit l’eau noire aux affreuses écumes, Roulant des vieux souliers, des débris de légumes, Des chiens, des chats pourris qu’emmène le courant, Souillure sans effet dans le Fleuve si grand Dont la lune, œil d’argent, paillette la surface. Mais, qu’importe la vie humaine à l’eau qui passe, Les ordures, la foule immense et les bals gais ? L’eau ne s’attarde pas à ces choses. Les gués Sont rompus, maintenant, en aval de la ville. L’homme a dragué le lit du Fleuve, plus docile Depuis qu’il est si large et si profond. La mer Aux bateaux goudronnés laisse un parfum amer Qui parle des pays lointains où le vent mène. Le Fleuve, insoucieux de l’industrie humaine, Continue à travers la campagne. La nuit S’avance triomphante et constellée, au bruit Des feuilles que l’air frais emperle de rosée. Puis, au matin, encore une ville posée Dans la plaine, bijou de perle sur velours Vert, dont tous ces coteaux imitent les plis lourds ; Des fermes aux grands toits, bas et moussus, tapies Au bord des prés sans fin où voltigent les pies, Richesses qu’à mi-voix ce paysan pensif Évalue en fouettant son vieux mulet poussif. Le Fleuve s’élargit toujours, tant, que les rives Perdent vers l’horizon leurs lignes fugitives. Les coteaux abaissés, le ciel agité, l’air Murmurant et salé, proclament que la mer Est là, terme implacable à la folle équipée De l’eau, qui vers le ciel chaud s’était échappée. La mer demande tout fantasque, et puis, parfois Refuse les tributs du Fleuve, limon, bois, Cadavres, rocs brisés, qu’aux montagnes lointaines, Aux terres grasses, aux hameaux, aux vastes plaines, Il a volé, voulant rassasier la mer. Et tout s’entasse, obstacle au Fleuve. L’homme fier Trouve ici les débris distincts de chaque année, Aux temps obscurs où sa race n’était pas née. Tout le pays est gai. De loin le chant des coqs Fend la brume. Voici les bassins et les docks, Les cris des cabestans, les barques amarrées D’où mille portefaix enlèvent les denrées, Ballots, tonneaux, métaux en barres, tas de blés. Aux cabarets fumeux, les marins attablés Se menacent, avec des jurons exotiques. On trouve tous les fruits lointains dans les boutiques. L’eau du Fleuve s’arrête, un peu troublée, avant De se perdre, innommée, en l’infini mouvant. C’est comme une bataille en ligne régulière : Escadrons au galop, soulevant la poussière, Les vagues de la mer arrivent à grands bruits, Blanches d’écume, ayant des airs vainqueurs, et puis S’en retournent, efforts que le Fleuve repousse Avec ses petits flots audacieux d’eau douce. La mer fuit, mais emporte et disperse à jamais, Rang par rang, tous ces flots, fils des lointains sommets. * Muse hautaine. Muse aux yeux clairs, sois bénie ! Malgré tes longs dédains, ma chanson est finie ; Car tu m’as consolé de tous les bruits railleurs ; Tu m’as montré, parmi mes souvenirs meilleurs, Des lueurs pour teinter l’eau qui court et gazouille, L’eau fraîche où, vers le soir, l’hirondelle se mouille. Et j’ai suivi ses flots jusqu’à la grande mer. Qu’on se lise entre amis ce chant tranquille et fier, Dans les moments de fièvre et dans les jours d’épreuve, Qu’on endorme son cœur aux murmures du Fleuve.

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    C

    Charles-Nérée Beauchemin

    @charlesNereeBeauchemin

    Rayons d’Octobre (II) À peine les faucheurs ont engrangé les gerbes Que déjà les chevaux à l’araire attelés Sillonnent à travers les chardons et les herbes La friche où juin fera rouler la mer des blés. Fécondité des champs ! cette glèbe qui fume, Ce riche et fauve humus, recèle en ses lambeaux La sève qui nourrit et colore et parfume Les éternels trésors des futurs renouveaux. Les labours, encadrés de pourpre et d’émeraude, Estompent le damier des prés aux cent couleurs. De sillons en sillons, les bouvreuils en maraude Disputent la becquée aux moineaux querelleurs. Et l’homme, aiguillonnant la bête, marche et marche, Pousse le coutre. Il chante, et ses refrains plaintifs Évoquent l’âge où l’on voyait le patriarche Ouvrir le sol sacré des vallons primitifs.

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Dans l’ombre de ce vallon Dans l’ombre de ce vallon Pointent les formes légères Du Rêve. Entre les bourgeons Et du milieu des fougères Émergent des fronts songeurs Dans leurs molles chevelures, Et des mamelles plus pures Que le calice des fleurs. Ô rêve, de cette écorce Dégage ton souple torse, Tes deux seins roses et blancs, Et laisse dans le branchage Retomber le long feuillage De tes cheveux indolents. Ne sors jamais qu’à demi De cette écorce native Et reste à jamais captive De ce silence endormi, Ô Beauté triste et pensive.

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Je t’apporte ce soir Je t’apporte ce soir ma natte plus lustrée Que l’herbe qui miroite aux collines de juin ; Mon âme d’aujourd’hui fidèle à toi rentrée Odore de tilleul, de verveine et de foin ; Je t’apporte cette âme à robe campagnarde. Tout le jour j’ai couru dans la fleur des moissons Comme une chevrière innocente qui garde Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons. Je fis tout bas ta part de pain et de fromage ; J’ai bu dans mes doigts joints l’eau rose du ruisseau Et dans le frais miroir j’ai cru voir ton image. Je t’apporte un glaïeul couché sur des roseaux. Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ; Mes sonores sabots de hêtre sont ailés Et mon visage a la rondeur pourpre des baies Que donne l’aubépine quand les mois sont voilés. Lorsque je m’en revins, dans les ombres pressées Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d’or ; Les étoiles dansaient cornues et lactées ; Des flûtes de bergers essayaient un accord. Je t’offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine, Le duvet mauve encor suspendu dans les cieux, L’émoi qui fit monter ma gorge sous la laine Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    La maison sur la montagne Notre maison est seule au creux de la montagne Où le chant d’une source appelle des roseaux, Où le bout de jardin plein de légumes gagne La roche qui nous tient dans son âpre berceau. Septembre laisse choir sur les molles argiles La pomme abandonnée aux pourceaux grassouillets. Nous avons dû poser des cailloux sur les tuiles ; Car la bise souvent s’aiguise aux peupliers, Le volet bat la nuit, le crochet de la porte Danse dans son anneau. Nous avons peur et froid. La mare des moutons réveille son eau morte Et soudain un caillou branlant tombe du toit. J’aime, sous mon poirier rongé de moisissures, Des champignons serrés voir surgir le hameau, Un petit dahlia me plaît par ses gaufrures, Mes brebis ont le nez et les yeux du chameau. Notre univers s’étend au gré de notre rêve, Le silence est mouillé par la voix du torrent, La lune de rondeur sort quand elle se lève D’un nid de thym perché sur les monts déclinants. Assise dans le jour de la porte qui pose Son reflet sur la cruche verte et le chaudron, Pour la pomme de terre au ventre dur et rose Je couds des sacs. Je vois blondir le potiron. Les pruneaux violets se rident sur leurs claies, La salade du soir est dans le seau de bois Et des corbeaux goulus qui frôlent les futaies Font en se querellant tomber de vieilles noix. C’est le temps où la feuille aux ramures déborde, La montagne nourrit des herbes de senteur, Notre chèvre s’ennuie et tire sur sa corde Pour atteindre aux lavandes fines des hauteurs. Le maître près d’ici laboure un champ de pierres ; Je vais pour son retour tremper le pain durci, Préparer à sa faim une assiette fruitière Et le verre où le vin palpite et s’assoupit. Nous nous plaisons de vivre à côté de l’espace ; Un vol d’abeilles tourne avec des cris de fleurs, La neige qui l’été reste dans les crevasses Semble se détacher des nuages bougeurs. Des guêpes au long corps tettent les sorbes mûres, La maison qui se hâle a des mousses au dos, La cloche des béliers sonne nos heures pures. Pour nous chauffer, sitôt que la lune a l’oeil clos, Le soleil comme un boeuf fume dans l’aube nue ; Car sur nos pics le ciel de lin tiède est tendu Et notre front obscur est touché par la nue Lorsqu’elle vient dormir dans les chênes tordus.

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    D

    Didier Venturini

    @didierVenturini

    La maison des ombres Il est des ronces et du silence Où se fatiguent moellons et tuiles De cette maison qui prend patience Sur son lopin comme en exil Elle s’abandonne sans aucun cri A cette lente progression du temps Et seul le vent peut suivre ici Ses lézardes et rides de ciment Elle se repose sur cette colline Où l’air vient lui brunir les flancs Dans ses mousses passent encore des rythmes Des soupirs des frisson’ments Elle se laisse porter immobile Par la voix lugubre des orages Et les chênes lui font comme une île Sur les traits sombres de son visage Il est dans les oracles du soir Sous la multitude des jours Dans ces douloureuses langueurs noires Un long rappel des doux séjours Le chant de sa jeunesse passée Quand l’homme frôlait le grain des murs S’ajoute aux cimes des peupliers Dans le solitude de l’azur La vie s’est chargée de désert Puis entraînée loin des paroles Elle s’est défaite de ses repères Comme d’une peau morte qui se désole Alors qu’a-t-elle donc d’éternel Peut-être ces pierres mêlées au lierre Ou ces cailloux cornés de gel Ou bien le spectre de ces lisières.

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    Le chat sous la fenêtre Le chat sous la fenêtre soulève sa petite patte pour pouvoir sortir et ses yeux grands ouverts qui cherchent des regards pour qu’il puisse l’ouvrir Le chat sous la fenêtre tapote doucement avec son coussinet sur quelques marguerites qui se reflètent sur la vitre derrière une ombre bleutée Le chat sous la fenêtre observe les oiseaux, et d’un coup sec s’envole dans le ciel pour attraper le papillon qui a pu s’échapper La chat sous la fenêtre d’un coup a disparu Alors je regarde une corbeille de cerises posée sur le vieux banc cassé La petite patte n’est plus là Le papillon vole un peu plus loin J’entends le son du beau ruisseau qui coule au pied de ma maison il n’y a plus qu’un grand rayon de soleil qui traverse la fenêtre Et c’est bientôt l’été

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    Oiseau de printemps Joli Chardonneret tu es sorti de l’ombre Posé sur la rembarde pour venir me chanter Une ode à la Nature, au Soleil, au Printemps Tu es venu me dire que l’Amour est devant Saute, vrille, vole Et mange toutes les graines que je t’ai données Reviens sur mon balcon, recommence ton chant Qui m’envahit toute entière Ces matins des beaux jours Joli Chardonneret je te veux sur ma route dans ma jolie campagne au pied de mon balcon

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    Promenade blanche de vieille France L’écrasement de la neige sous les bottes Les branches cassées sur le chemin Le cliquetis régulier de quelques gouttes s’échappant des stalactites de glace Des flocons perdus aux quatre vents tombent des arbres aplatis Les cheminées dégagent des parfums de tarte de grand mère Les chalets chauds au pied des pentes raides ou s’étirent jusqu’au firmament les grands sapins Les luges qui glissent sans laisser place au silence de ce lieu la nuit Des cris de joie, Des boules de neige, Le ciel et ses nuages blancs Tout est ici comme l’enfance comme un voyage du temps jadis Tout est ici comme en vieille France Images d’Epinal, simplicité, absence, magie C’est la plus belle promenade blanche de ma vie

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    Promenade bleu caillou Les pierres craquent sous les semelles L’herbe transpire ce matin Un beau soleil de printemps éclate au firmament Sous ce ciel bleu, on perçoit la couleur du vent Au pied de la colline va s’élevant un chemin près d’un étang Les cyprès dansent à l’horizon au dessus des vignes et des blés On entend un petit bruit de moteur tout juste près, tout juste doux Une petite fourgonette passe, c’est le marchand du village d’à côté On marche sur un mur de pierres, un petit pont est devant nous Dessous passe une rivière, couleur de pluie, souffle d’antan Cette promenade bleu caillou, couleur d’amour, je l’aime tant c’est pour moi tout ce qu’il y a de plus pur et de plus beau dans cette vie Couleur d’argent

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    Toile d’hiver La neige est si belle sur les arbres lorsque s’empilent petit à petit tous les flocons qui tombent du ciel Tout est blanc et couleur d’écorce et quelques oiseaux qui brillent comme des étoiles au milieu de ce ciel de jour où le bleu est parti Un rouge-gorge Une mésange Orange virevoltent autour de la mangeoire Et le grand pré est si blanc Blanc Comme une toile moelleuse Comme une toile d’Hiver Où les couleurs de vie ne partiront jamais

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Des fleurs fines et mousseuses comme l’écume Des fleurs fines et mousseuses comme l’écume Poussaient au bord de nos chemins Le vent tombait et l’air semblait frôler tes mains Et tes cheveux avec des plumes. L’ombre était bienveillante à nos pas réunis En leur marche, sous le feuillage ; Une chanson d’enfant nous venait d’un village Et remplissait tout l’infini. Nos étangs s’étalaient dans leur splendeur d’automne Sous la garde des longs roseaux Et le beau front des bois reflétait dans les eaux Sa haute et flexible couronne. Et tous les deux, sachant que nos coeurs formulaient Ensemble une même pensée, Nous songions que c’était notre vie apaisée Que ce beau soir nous dévoilait. Une suprême fois, tu vis le ciel en fête Se parer et nous dire adieu ; Et longtemps et longtemps tu lui donnas tes yeux Pleins jusqu’aux bords de tendresses muettes.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    L’arbre Tout seul, Que le berce l’été, que l’agite l’hiver, Que son tronc soit givré ou son branchage vert, Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine, Il impose sa vie énorme et souveraine Aux plaines. Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans Et les mêmes labours et les mêmes semailles ; Les yeux aujourd’hui morts, les yeux Des aïeules et des aïeux Ont regardé, maille après maille, Se nouer son écorce et ses rudes rameaux. Il présidait tranquille et fort à leurs travaux ; Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ; Il abritait leur sieste à l’heure de midi Et son ombre fut douce A ceux de leurs enfants qui s’aimèrent jadis. Dès le matin, dans les villages, D’après qu’il chante ou pleure, on augure du temps ; Il est dans le secret des violents nuages Et du soleil qui boude aux horizons latents ; Il est tout le passé debout sur les champs tristes, Mais quels que soient les souvenirs Qui, dans son bois, persistent, Dès que janvier vient de finir Et que la sève, en son vieux tronc, s’épanche, Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches, – Lèvres folles et bras tordus – Il jette un cri immensément tendu Vers l’avenir. Alors, avec des rais de pluie et de lumière, Il frôle les bourgeons de ses feuilles premières, Il contracte ses noeuds, il lisse ses rameaux ; Il assaille le ciel, d’un front toujours plus haut ; Il projette si loin ses poreuses racines Qu’il épuise la mare et les terres voisines Et que parfois il s’arrête, comme étonné De son travail muet, profond et acharné. Mais pour s’épanouir et régner dans sa force, Ô les luttes qu’il lui fallut subir, l’hiver ! Glaives du vent à travers son écorce. Cris d’ouragan, rages de l’air, Givres pareils à quelque âpre limaille, Toute la haine et toute la bataille, Et les grêles de l’Est et les neiges du Nord, Et le gel morne et blanc dont la dent mord, jusqu’à l’aubier, l’ample écheveau des fibres, Tout lui fut mal qui tord, douleur qui vibre, Sans que jamais pourtant Un seul instant Se ralentît son énergie A fermement vouloir que sa vie élargie Fût plus belle, à chaque printemps. En octobre, quand l’or triomphe en son feuillage, Mes pas larges encore, quoique lourds et lassés, Souvent ont dirigé leur long pèlerinage Vers cet arbre d’automne et de vent traversé. Comme un géant brasier de feuilles et de flammes, Il se dressait, superbement, sous le ciel bleu, Il semblait habité par un million d’âmes Qui doucement chantaient en son branchage creux. J’allais vers lui les yeux emplis par la lumière, Je le touchais, avec mes doigts, avec mes mains, Je le sentais bouger jusqu’au fond de la terre D’après un mouvement énorme et surhumain ; Et J’appuyais sur lui ma poitrine brutale, Avec un tel amour, une telle ferveur, Que son rythme profond et sa force totale Passaient en moi et pénétraient jusqu’à mon coeur. Alors, j’étais mêlé à sa belle vie ample ; Je me sentais puissant comme un de ses rameaux ; Il se plantait, dans la splendeur, comme un exemple ; J’aimais plus ardemment le sol, les bois, les eaux, La plaine immense et nue où les nuages passent ; J’étais armé de fermeté contre le sort, Mes bras auraient voulu tenir en eux l’espace ; Mes muscles et mes nerfs rendaient léger mon corps Et je criais :  » La force est sainte. Il faut que l’homme imprime son empreinte Tranquillement, sur ses desseins hardis : Elle est celle qui tient les clefs des paradis Et dont le large poing en fait tourner les portes « . Et je baisais le tronc noueux, éperdument, Et quand le soir se détachait du firmament, je me perdais, dans la campagne morte, Marchant droit devant moi, vers n’importe où, Avec des cris jaillis du fond de mon coeur fou.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    L’étable Et pleine d’un bétail magnifique, l’étable, A main gauche, près des fumiers étagés haut, Volets fermés, dormait d’un pesant sommeil chaud, Sous les rayons serrés d’un soleil irritable. Dans la moite chaleur de la ferme au repos, Dans la vapeur montant des fumantes litières, Les boeufs dressaient le roc de leurs croupes altières Et les vaches beuglaient très doux, les yeux mi-clos. Midi sonnant, les gars nombreux curaient les auges Et les comblaient de foins, de lavandes, de sauges, Que les bêtes broyaient d’un lourd mâchonnement ; Tandis que les doigts gourds et durcis des servantes Étiraient longuement les mamelles pendantes Et grappillaient les pis tendus, canaillement.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    La ferme A voir la ferme au loin monter avec ses toits, Monter, avec sa tour et ses meules en dômes Et ses greniers coiffés de tuiles et de chaumes, Avec ses pignons blancs coupés par angles droits ; A voir la ferme au loin monter dans les verdures, Reluire et s’étaler dans la splendeur des Mais, Quand l’été la chauffait de ses feux rallumés Et que les hêtres bruns l’éventaient de ramures : Si grande semblait-elle, avec ses rangs de fours, Ses granges, ses hangars, ses étables, ses cours, Ses poternes de vieux clous noirs bariolées, Son verger luisant d’herbe et grand comme un chantier, Sa masse se carrant au bout de trois allées, Qu’on eût dit le hameau tassé là, tout entier.

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    Emile Verhaeren

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    @emileVerhaeren

    La kermesse Avec colère, avec détresse, Avec ses refrains de quadrilles, Qui sautèlent sur leurs béquilles, L’orgue canaille et lourd, Au fond du bourg, Moud la kermesse. Quelques étals, au coin des bornes, Et quelques vieilles gens, Au seuil d’un portail morne. Et quelques couples seuls qui se hasardent, Les gars braillards et les filles hagardes, Alors qu’au cimetière deux corbeaux, Sur les tombeaux, Regardent. Avec colère, avec détresse, avec blasphème, Mais, vers la fête Quand même, L’orgue s’entête. Sa musique de tintamarres Se casse, en des bagarres De cuivre vert et de fer blanc, Et crie et grince dans le vide, Obstinément, Sa note acide. Sur la place, l’église, Sous le cercueil de ses grands toits Et les linceuls de ses murs droits, Tait les reproches Solennels de ses cloches ; Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, Vend à grands cris la vie ; Puis échange, contre des sous, Son remède pour loups garous Et l’histoire de point en point suivie, Sur sa pancarte, D’un bossu noir qu’il délivra de fièvre quarte. Et l’orgue rage Son quadrille sauvage. Et personne, des hameaux proches, N’est accouru ; Vides les étables — vides les poches, Et rien que la mort et la faim Dont se peuple l’armoire à pain ; Dans la misère qui les soude On sent que les hameaux se boudent, Qu’entre filles et gars d’amour La pauvreté découd les alliances Et que les jours suivant les jours Chacun des bourgs Fait son silence avec ses défiances. L’orgue grinçant et faux, Dans son armoire D’architecture ostentatoire, Criaille un bruit de faux Et de cisailles. Dans la salle de plâtre cru, Où ses cris tors et discors, dru, Contre des murs de lattes Éclatent, Des colonnes de verre et de jouants bâtons — Clinquant et or — tournent sur son fronton ; Et les concassants bruits des cors et des trompettes Et les fifres, tels des forets, Cinglent et trouent le cabaret De leurs tempêtes Et vont là-bas Contre un pignon, avec fracas, Broyer l’écho de la grand’rue. Et l’orgue avec sa rage S’ameute une dernière fois et rue Des quatre fers de son tapage Jusqu’aux lointains des champs, Jusqu’aux routes, jusqu’aux étangs, Jusqu’aux jachères de méteil, Jusqu’au soleil ; Et seuls dansent aux carrefours, Jupons gonflés et sabots lourds, Deux pauvres fous avec deux folles.

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    Emile Verhaeren

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    @emileVerhaeren

    La plaine La plaine est morne et ses chaumes et granges Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus, La plaine est morne et lasse et ne se défend plus, La plaine est morne et morte — et la ville la mange. Formidables et criminels, Les bras des machines hyperboliques. Fauchant les blés évangéliques, Ont effrayé le vieux semeur mélancolique Dont le geste semblait d’accord avec le ciel. L’orde fumée et ses haillons de suie Ont traversé le vent et l’ont sali : Un soleil pauvre et avili S’est comme usé en de la pluie. Et maintenant, où s’étageaient les maisons claires Et les vergers et les arbres allumés d’or, On aperçoit, à l’infini, du sud au nord, La noire immensité des usines rectangulaires. Telle une bête énorme et taciturne Qui bourdonne derrière un mur, Le ronflement s’entend, rythmique et dur, Des chaudières et des meules nocturnes ; Le sol vibre, comme s’il fermentait Le travail bout comme un forfait, L’égout charrie une fange velue Vers la rivière qu’il pollue ; Un supplice d’arbres écorchés vifs Se tord, bras convulsifs, En façade, sur le bois proche ; L’ortie épuise aux cœurs sablons et oche Et les fumiers, toujours plus hauts, de résidus : Ciments huileux, platras pourris, moellons fendus, Au long de vieux fossés et de berges obscures Lèvent, le soir, leurs monuments de pourritures. Sous des hangars tonnants et lourds, Les nuits, les Jours, Sans air et sans sommeil, Des gens peinent loin du soleil : Morceaux de vie en l’énorme engrenage, Morceaux de chair fixée, ingénieusement, Pièce par pièce, étage par étage, De l’un à l’autre bout du vaste tournoiement. Leurs yeux, ils sont les yeux de la machine, Leurs dos se ploient sous elle et leurs échines, Leurs doigts volontaires, qui se compliquent De mille doigts précis et métalliques, S’usent si fort en leur effort, Sur la matière carnassière, Qu’ils y laissent, à tout moment, Des empreintes de rage et des gouttes de sang. Dites ! l’ancien labeur pacifique, dans l’Août Des seigles mûrs et des avoines rousses, Avec les bras au clair, le front debout Dans l’or des blés qui se retrousse Vers l’horizon torride où le silence bout. Dites ! le repos tiède et les midis élus, Tressant de l’ombre pour les siestes. Sous les branches, dont les vents prestes Rythment, avec lenteur, les grands gestes feuillus, Dites, la plaine entière ainsi qu’un jardin gras, Toute folle d’oiseaux éparpillés dans la lumière, Qui la chantent, avec leurs voix plénières, Si près du ciel qu’on ne les entend pas. Mais aujourd’hui, la plaine, elle est finie ; La plaine, est morne et ne se défend plus : Le flux des ruines et leurs reflux L’ont submergée, avec monotonie. On ne rencontre, au loin, qu’enclos rapiécés Et chemins noirs de houille et de scories Et squelettes de métairies Et trains coupant soudain des villages en deux. Les Madones ont tu leurs voix d’oracle Au coin du bois, parmi les arbres ; Et les vieux saints et leur socle de marbre Ont chu dans les fontaines à miracles. Et tout est là, comme des cercueils vides Et détraqués et dispersés par l’étendue, Et tout se plaint ainsi que les défunts perdus Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide. Hélas ! la plaine, hélas ! elle est finie ! Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus. La plaine, hélas ! elle a toussé son agonie Dans les derniers hoquets d’un angelus.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Le péché Sur sa butte que le vent gifle, Il tourne et fauche et ronfle et siffle Le vieux moulin des péchés vieux Et des forfaits astucieux. Il geint des pieds jusqu’à la tête, Sur fond d’orage et de tempête, Lorsque l’automne et les nuages Frôlent son toit de leurs voyages. L’hiver, quand la campagne est éborgnée, Il apparaît une araignée Colossale, tissant ses toiles Jusqu’aux étoiles. C’est le moulin des vieux péchés. Qui l’écoute, parmi les routes, Entend battre le cœur du diable, Dans sa carcasse insatiable. Un travail d’ombre et de ténèbres S’y fait, pendant les nuits funèbres, Quand la lune fendue Gît-là, sur le carreau de l’eau, Comme une hostie atrocement mordue. C’est le moulin de la ruine Qui moud le mal et le répand aux champs, Infini, comme une bruine. Ceux qui sournoisement écornent Le champ voisin en déplaçant les bornes ; Ceux qui, valets d’autrui, sèment l’ivraie Au lieu de l’orge vraie ; Ceux qui jettent les poisons clairs dans l’eau Où l’on amène le troupeau ; Ceux qui, par les nuits seules, En brasiers d’or font éclater les meules, Tous passèrent par le moulin Encore : Les conjureurs de sorts et les sorcières Que vont trouver les filles-mères ; Ceux qui cachent dans les fourrés Leurs ruts et leurs spasmes vociférés ; Ceux qui n’aiment la chair que si le sang Gicle aux yeux, frais et luisant ; Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges, Volets fermés, au fond des bouges ; Ceux qui flairent l’espace Avec, entre leurs poings, la mort pour tel qui passe, Tous passèrent par le moulin. Aussi Les vagabonds qui habitent des fosses Avec leurs filles qu’ils engrossent ; Les fous qui choisissent des bêtes Pour assouvir leur rut et ses tempêtes ; Les mendiants qui déterrent les mortes Rageusement et les emportent ; Les couples noirs, pervers et vieux, Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ; Tous passèrent par le moulin. Enfin : Ceux qui font de leur cœur l’usine, Où fermente l’envie et cuve la lésine ; Ceux qui dorment, sans autre vœu, Avec leurs sous, comme avec Dieu ; Ceux qui projettent leurs prières, Croix à rebours et paroles contraires ; Ceux qui cherchent un tel blasphème Que descendrait vers eux Satan lui-même ; Tous passèrent par le moulin. Ils sont venus sournoisement, Choisissant l’heure et le moment, Les uns lents et chenus Et les autres mâles et fermes. Avec le sac au dos. Ils sont venus des bourgs perdus Gagnant les bois, tournant les fermes, Les vieux, carcasses d’os, Mais les jeunes, drapeaux de force. Par des chemins rugueux comme une écorce, Ils sont montés — et quand ils sont redescendus, Avec leurs chiens et leurs brouettes Et leurs ânes et leurs charrettes, Chargés de farine ou de grain, Par groupes noirs de pèlerins, Les grand’routes charriaient toutes, Infiniment, comme des veines, Le sang du mal parmi les plaines. Et le moulin tournait au fond des soirs, La croix grande de ses bras noirs, Avec des feux, comme des yeux, Dans l’orbite de ses lucarnes Dont les rayons gagnaient les loins. Parfois, s’illuminaient des coins, Là-bas, dans la campagne morne Et l’on voyait les porteurs gourds, Ployant au faix des péchés lourds, Hagards et las, buter de borne en borne. Et le moulin ardent, Sur sa butte, comme une dent, Alors, mêlait et accordait Son giroiement de voiles Au rythme même des étoiles Qui tournoyaient, par les nuits seules. Fatalement, comme ses meules.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Les fièvres La plaine, au loin, est uniforme et morne Et l’étendue est veule et grise Et Novembre qui se précise Bat l’infini, d’une aile grise. De village en village, un vent moisi Appose aux champs sa flétrissure ; L’air est moite ; le sol, ainsi Que pourriture et bouffissure. Sous leurs torchis qui se lézardent, Les chaumières, là-bas, regardent Comme des bêtes qui ont peur, Et seuls les grands oiseaux d’espace Jettent sur les chaumes et leur frayeur, Le cri des angoisses qui passent. L’heure est venue où les soirs mous Pèsent sur les terres envenimées Où les marais visqueux et blancs, Dans leurs remous, À longs bras lents. Brassent les fièvres empoisonnées. Sur les étangs en plates-bandes Les fleurs, comme des glandes, Et les mousses comme des viandes, S’étendent. Bosses et creux et stigmates d’ulcères, Quelques saules bordent les anses, Où des flottilles de viscères, À la surface, se balancent, Parfois, comme un hoquet, Un flot pâteux mine la rive Et la glaise, comme un paquet, Tombe dans l’eau de bile et de salive. L’étang s’apaise, qui remuait ses rides, Les crapauds noirs, à fleur de boue, Gonflent leur peau et leur gadoue. Et la lune monstrueuse préside : Telle l’hostie De l’inertie. De la vase profonde et jaune D’où s’érigent, longues d’une aune, Les herbes d’eaux et les roseaux, Des brouillards lents comme des traînes, Déplient leur flottement, parmi les draines ; On les peut suivre, à travers champs, Vers les chaumes et les murs blancs ; Leurs fils subtils de pestilence Tissent la robe de silence, Gaze verte, tuile blême, Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène. La fièvre, Elle est celle qui marche, Sournoisement, courbée en arche, Et personne n’entend son pas. Si la poterne des fermes ne s’ouvre pas, Si la fenêtre est close, Elle pénètre quand même et se repose, Sur la chaise des vieux que les ans ploient, Dans les berceaux où les petits larmoient Et quelquefois elle se couche Aux lits profonds où l’on fait souche. Avec ses vieilles mains dans l’âtre encor rougeâtre, Elle attise les maladies Non éteintes, quoique engourdies ; Elle se mêle au pain qu’on mange À l’eau morne changée en fange ; Elle monte jusqu’aux greniers, Dort dans les sacs et les paniers Et, comme une impalpable cendre, Sans rien voir, on sent d’elle la mort descendre. Inutiles, vœux et pèlerinages Et seins où l’on abrite les petits Et bras en croix vers les images Des bons anges et des vieux Christs. Le mal have s’est installé dans la demeure. Il vient, chaque vesprée, à tel moment Déchiqueter la plainte et le tourment, Au régulier tic-tac de l’heure ; Les mendiants n’arrivent plus souvent À la porte ni à l’auvent Prier qu’on les gare du froid, Les moineaux francs quittent le toit, Et l’horloge surgit déjà Celle, debout, qui sonnera, Après la voix éteinte et la raison finie, L’agonie. En attendant, les mois se passent à languir. Les malades rapetissés Leurs habits lourds, leurs bras cassés, Avec, en main, leurs chapelets, Quittant leur lit, s’y recouchant, Fuyant la mort et la cherchant, Bégaient et vacillent leurs plaintes, Pauvres lumières, presque éteintes. Ils se traînent de chaumière en chaumière Et d’âtre en âtre, Se voir et doucement s’apitoyer Sur la dîme d’hommes qu’il faut payer, Atrocement à leur terre marâtre ; Des silences profonds coupent les litanies De leurs misères infinies ; Et, longuement, parfois, ils se regardent Au jour douteux de la fenêtre, Et longuement, avec des pleurs, Comme s’ils voulaient se reconnaître Lorsque leurs yeux seront ailleurs. Ils se sentent de trop autour des tables Où l’on mange rapidement Un repas pauvre et lamentable ; Leur cœur se serre atrocement, On les isole et les bêtes les flairent Et les jurons et les colères Volent autour de leur tourment. Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas, Ils s’agitent entre leurs draps, Songeant qu’aux alentours, de village en village, Les brouillards blancs sont en voyage, Voudraient-ils ouvrir la porte Pour que d’un coup la fièvre les emporte, Vers les étangs en plates-bandes Où les plantes comme des glandes Et les mousses comme des viandes S’étendent, Où s’écoute, comme un hoquet, Va flot pâteux minant la rive Où leur corps mort, comme un paquet, Choirait dans l’eau de bile et de salive. Mais la lune, là-bas, préside, Telle l’hostie De l’inertie.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Pèlerinage Où vont les vieux paysans noirs Par les chemins en or des soirs ? A grands coups d’ailes affolées, En leurs toujours folles volées, Les moulins fous fauchent le vent. Le cormoran des temps d’automne jette au ciel triste et monotone Son cri sombre comme la nuit. C’est l’heure brusque de la terreur, Où passe, en son charroi d’horreur, Le vieux Satan des moissons fausses. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux silencieux Quelqu’un a dû frapper l’été De mauvaise fécondité : Le blé haut ne fut que paille, Les bonnes eaux n’ont point coulé Par les veines du champ brûlé ; Quelqu’un a dû frapper les sources Quelqu’un a dû sécher la vie, Comme une gorge inassouvie Vide d’un trait le fond d’un verre. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux et leur misère ? L’âpre semeur des mauvais germes, Au temps de mai baignant les fermes, Les vieux l’ont tous senti passer. Ils l’ont surpris morne et railleur, Penché sur la campagne en fleur; Plein de foudre, comme l’orage. Les vieux n’ont rien osé se dire. Mais tous ont entendu son rire Courir de taillis en taillis. Or, ils savent par quel moyen On peut fléchir Satan païen, Qui reste maître des moissons. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux et leur frisson ? L’âpre semeur du mauvais blé Entend venir ce défilé D’hommes qui se taisent et marchent. Il sait que seuls ils ont encore, Au fond du coeur qu’elle dévore, Toute la peur de l’inconnu ; Qu’obstinément ils dérobent en eux Son culte sombre et lumineux, Comme un minuit blanc de mercure, Et qu’ils redoutent les révoltes, Et qu’ils supplient pour leurs récoltes Plus devant lui que devant Dieu. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux porter leur voeu ? Le Satan noir des champs brûlés Et des fermiers ensorcelés Qui font des croix de la main gauche, Ce soir, à l’heure où l’horizon est rouge Contre un arbre dont rien ne bouge, Depuis une heure est accoudé. Les vieux ont pu l’apercevoir, Avec ses yeux dardés vers eux, D’entre ses cils de chardons morts. Ils ont senti qu’il écoutait Les silences de leur souhait Et leur prière uniquement pensée. Alors, subitement, En un grand feu de tourbe et de branches coupées lis ont jeté un chat vivant. Regards éteints, pattes crispées, La bête est morte atrocement, Pendant qu’au long des champs muets, Sous le gel rude et le vent froid, Chacun, par un chemin à soi, Sans rien savoir s’en revenait.

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Vieille ferme à la toussaint La ferme aux longs murs blancs, sous les grands arbres jaunes, Regarde, avec les yeux de ses carreaux éteints, Tomber très lentement, en ce jour de Toussaint, Les feuillages fanés des frênes et des aunes. Elle songe et resonge à ceux qui sont ailleurs, Et qui, de père en fils, longuement s’éreintèrent, Du pied bêchant le sol, des mains fouillant la terre, A secouer la plaine à grands coups de labeur. Puis elle songe encor qu’elle est finie et seule, Et que ses murs épais et lourds, mais crevassés, Laissent filtrer la pluie et les brouillards tassés, Même jusqu’au foyer où s’abrite l’aïeule. Elle regarde aux horizons bouder les bourgs ; Des nuages compacts plombent le ciel de Flandre ; Et tristement, et lourdement se font entendre, Là-bas, des bonds de glas sautant de tour en tour. Et quand la chute en or des feuillage effleure, Larmes ! ses murs flétris et ses pignons usés, La ferme croit sentir ses lointains trépassés Qui doucement se rapprochent d’elle, à cette heure, Et pleurent.

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    Esther Granek

    @estherGranek

    Promenade Un banc, des coteaux, des fleurs, une treille, rayons de soleil me chauffant le dos. Des troncs noirs et hauts. Émois du matin… Que je me sens bien ! Bocages, ramures. Un toit qui rassure. Abri où je dure. Du rêve. Un piano. Des livres à gogo. Pour moi un festin ! Que je me sens bien ! Et quittant la rade, parfois en balade ou en randonnée, je prends le sentier, coeur et pied légers. Appel quotidien… Que je me sens bien ! S’allongent les lieues. Au vent mes cheveux. Fatigue aux mollets. Un coin oublié. Un silence ailé. Gazouillis soudain… Que je me sens bien ! Des baies, des épines. Et l’air qui burine. Odeurs de résine et de chèvrefeuille. Un saut d’écureuil. Soleil au déclin… Que je me sens bien ! Chemin du retour. Rougeoiement du jour. Et paix alentour. Au loin en beauté, mon toit, mon grenier. En moi un refrain… Que je me sens bien !… Que je me sens bien !… Que je me sens bien !… Que je me sens bien !…

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