Titre : La Loire à Langeais
Auteur : André Theuriet
Large et lente, la Loire aux clartés de midi
Roule parmi les prés ses eaux éblouissantes;
Le sol brûle, l’air tremble, et le sable attiédi
Étend au grand soleil ses nappes blanchissantes.
Et sur les flots moirés dorment de vertes îles,
Ceintes de peupliers, d’aunes et de bouleaux:
Rameaux flottans, feuillée épaisse, frais asiles
Se bercent reflétés dans la splendeur des eaux.
Ouvrant ses bras d’argent, la royale rivière
Sur son sein frémissant les presse avec amour;
L’eau vers les saules gris, les saules vers l’eau claire,
Attirés et charmés, s’avancent tour à tour.
Des vignes aux blés mûrs tout parle de tendresse,
C’est un murmure sourd, un chant voluptueux;
Loire, tout entière à sa muette ivresse,
Baise avec passion les bords silencieux…
La nuit vient. Au milieu d’une brume empourprée,
Le soleil s’est plongé dans l’onde qui rougit.
Le feuillage frissonne, et la lune dorée
Au sommet des noyers se montre et resplendit.
Et l’on entend dans l’eau, dans les sombres ramées,
Des rires, des baisers et des éclats de voix,
Comme si des amans avec leurs bien-aimées
S’entretenaient d’amour dans les sentiers des bois.
Et l’on croit voir passer de vagues ombres blanches.
Est-ce un frêle brouillard par le vent emporté,
Ou le jeu d’un rayon de lune sur les branches?…
L’air exhale de chauds parfums de volupté.
C’est vous qu’on voit errer, ô splendides maîtresses!
Vous qui dans vos tombeaux sommeillez tout le jour,
Diane, Marguerite, ô reines, ô duchesses,
Fantômes des vieux temps et de la vieille cour!
Vous revenez la nuit: vos amans, vos poètes
Marchent à vos côtés. Fiers, sourians et beaux,
Contant de gais propos, chantant des odelettes,
Les couples enlacés glissent sous les bouleaux.