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Titre : Ode sur un commencement d’année

Auteur : Jean-Baptiste Rousseau

L’Astre qui partage les jours, Et qui nous prête sa lumière, Vient de terminer sa carrière Et commencer un nouveau cours. Avec une vitesse extrême Nous avons vu l’An s’écouler ; Celui-ci passera de même, Sans qu’on puisse le rappeler. Tout finit ; tout est, sans remède, Aux Lois du Temps assujetti ; Et par l’instant qui lui succède Chaque instant est anéanti. La plus brillante des journées Passe pour ne plus revenir ; La plus fertile des années N’a commencé que pour finir. En vain par les murs qu’on achève On tâche à s’immortaliser ; La vanité qui les élève Ne saurait les éterniser. La même loi, partout suivie, Nous soumet tous au même sort. Le premier moment de la vie Est le premier pas vers la mort. Pourquoi donc en si peu d’espace De tant de soins m’embarrasser ? Pourquoi perdre le jour qui passe Pour un autre qui doit passer ? Si tel est le destin des hommes Qu’un moment peut nous voir finir, Vivons pour l’instant où nous sommes Et non pour l’instant à venir. Cet homme est vraiment déplorable, Qui, de la fortune amoureux, Se rend lui-même misérable, En travaillant pour être heureux. Dans des illusions flatteuses Il consume ses plus beaux ans ; À des illusions douteuses Il immole des biens présents. Insensés ! votre âme se livre À de tumultueux projets ; Vous mourrez sans avoir jamais Pu trouver le moment de vivre. De l’erreur qui vous a séduits Je ne prétends pas me repaître ; Ma vie est l’instant où je suis Et non l’instant où je dois être. Je songe aux jours que j’ai passés Sans les regretter, ni m’en plaindre : Je vois ceux qui me sont laissés Sans les désirer, ni les craindre. Ne laissons point évanouir Des biens mis en notre puissance Et que l’attente d’en jouir N’étouffe point leur jouissance. Le moment passé n’est plus rien ; L’avenir peut ne jamais être : Le présent est l’unique bien Dont l’homme soit vraiment le maître.