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Titre : Berceuse pour un pas-de-Chance

Auteur : Jehan Rictus

Do mon pétiot ; do ma tototte.... Te viens d’ t’effondrer su’ l’ crottoir comme un bestiau à l’abattoir ou comme un qui s’rait en ribotte. V’lan ! Nib de fieu ! Floc ! Never more ! Les passants caus’nt : « C’est h’yeun’ syncope, faurait l’ poser chez l’ pharmacope ! » Toi... tu caus’s pas, pisque t’es mort. Un Mossieu qu’a un beau pardosse dit : « J’ la connais c’est du chiqué ! » Toi, tu t’ostin’s à fair’ la rosse et tu t’ tais pisque t’es claqué. Ton bloum pisseux roulé à terre, ta p’lur’, tes tifs en escaïers, tes sorlots qui montr’nt tes goigts d’ pieds font croir’ qu’ t’es pas un meuyardaire. Voyons un p’tit peu c’ qu’y t’a pris ; on t’ lèv’, on ouvr’ ta requimpette, v’là qu’on voit qu’ t’avais pus d’ liquette et qu’ tes boïaux sont vert-de-gris. Oh ! ça fait voir d’ quoi t’es crevé ; chacun se z’yeute avec malaise, le Mossieu lui... s’ tire à l’anglaise du temps qu’on t’arr’couch’ su’ l’ pavé. Do rataplan ! Do Mad’moiselle... de loin, légers comm’ des gazelles deux sergots s’amèn’nt essouflés, la gueul’ pleine de « Circulez » ! T’as d’ la veine d’êt’ cuit, autrement qué qu’on t’ pass’rait dans l’ genr’ mandales pour t’apprendre à fair’ du scandale et « causer des rassemblements » ! C’mment mon pauv’ vieux, en plein Paris, à deux pas des chouatt’s devantures t’es clamsé faute ed’ nourriture ? Pas possib’, c’était h’un pari ! Tu sauras qu’ c’est pas comme y faut, qu’ ça s’ fait pas en not’ « temps d’ lumière » et qu’ les ceuss’ qui dis’nt el’ contraire, c’est d’ la grain’ d’anars et « d’ Bonnots ». T’as donc pas pu te mette huissier, proprio, barbot, financier ? T’as empoyé ton ézistence à rester parmi les « Pas-d’-Chance » ? Sûr qu’avant d’en arriver là t’as dû t’ cogner à ben des seuils, pus d’eun’ fois rester chocolat, le ventre vide et l’ cœur en deuil. C’est donc ça qu’ t’as pas l’air content, qu’ t’as su’ la tronche un mauvais rire ; en sombrant quoi c’est qu’ t’as pu t’ dire si la Mort t’en a laissé l’ temps ? Tu t’es p’têt ben revu p’tit gas quand, au retour de l’atelier, ton Pepa t’ prenait dans ses bras en t’ disant : « Bonïour mon salé ? » Au temps des preumières quenottes où ta Moman se saoulait d’ toi en t’app’lant : « Mon trésor, mon Roi, mon cien-cien, mon loup, ma tototte ! » Et pis t’ fesait dans les tétés des papatt’s et des çatouillettes, et t’inondait de baisouillettes, du quiqui à la berdouillette comme eun’ puïe d’orage en été. Hein, si a t’ voyait là ta Vieille, A lèv’rait ses pauv’s mains au ciel en disant : « Moi que j’ l’ai nourri, y n’est claqué d’ faim, mon petit ! » Maint’nant t’as p’t-êt’ jamais rien eu que la Solitude et la Peine, t’as p’t-êt’ jamais tété, goulu, que l’ téton mou de la Déveine ! Bah ! à présent, do ma filleule.... Quoi qu’ t’aye pleuré, quoi qu’ t’aye souffert, te v’là sorti de not’ enfer, t’es « arrivé », tu t’ fous d’ nos gueules. Avec eun’ bonne grâce essquise, les flics te lèv’nt à leur hauteur et te balanc’nt comme eun’ marquise d’autrefois, en chaise-à-porteurs. Les mêm’s, qui t’emport’nt au p’tit trot, t’auraient truffé d’ coups d’ bottes ou d’ giffes si t’avais fait grève ou d’ la r’biffe ou bouffé à l’œil chez Bistrot. Les passants qui sont cor émus s’en vont chacun à leu’ z’affaires ; tout à l’heure y n’y pensaient guère, à l’estant y n’y pens’ront pus. Adieu mon p’tit, pars... pour la Morgue. Tout l’ mond’ peut pas, évidemment, s’ procurer pour son enterr’ment les griftons, la grand Messe et l’orgue. Mais si des fois tu vas aux Cieux et qu’ tu t’y but’s dans l’ Fils de Dieu, au nom de nos maigres remords n’y racont’ pas comment qu’ t’es mort. N’y dis pas : « J’arriv’ de Paris moi Seigneur, qu’étais votre Image ! Voilà comme on vous rend hommage, regardez mes boïaux pourris ! Le turbin a pris ma jeunesse ma santé, ma joie, mes désirs ; et vioque on m’a laissé moisir, seul et nu devant la Richesse. Et quand à ces gas économes j’ai d’mandé un peu d’ pain ou d’ pèze ; Y m’ont cité les « Droits de l’Homme » et m’ont chanté « La Marseillaise ».